Le secteur de l’habitat serait-il à la veille d’une révolution ? On pourrait en tous cas le croire si on en juge par les déclarations récentes des responsables de ce secteur. Au cours des dernières mois, ils n’ont eu pas de mots assez forts et semblent rivaliser de superlatifs pour décrire la nouvelle politique mise en œuvre par le gouvernement dans ce domaine.
On a franchi un nouveau cap la semaine dernière lorsque le ministre de l’habitat et le DG du CPA ont annoncé en chœur « La plus grosse opération de financement par concours bancaire dans l’histoire de l’Algérie.» Le Crédit populaire d’Algérie (CPA) venait de signer une convention de financement pour lancer le chantier de logements promotionnels publics. Objectif : construire plus de 150 000 logements. Des habitations réservées généralement à la classe moyenne, dont le revenu mensuel ne lui permet pas de bénéficier ni du logement social, ni du logement AADL. Une convention qui complète un accord conclu fin avril, qui prévoit la réalisation de 100 000 logements publics de type location-vente sur les 150 000 logements que l’Agence nationale de l’amélioration et du développement du logement compte fournir d’ici les deux prochaines années. Au total, 1 200 milliards de dinars (soit 15 milliards de dollars) sont versés par l’ensemble des banques publiques algériennes pour mener à bien ce projet immobilier.
Il s’agit de « la plus grosse opération de financement par le concours bancaire dans l’histoire de l’Algérie et l’une des plus importantes opérations au niveau mondial », a annoncé triomphalement Mohamed Djellab, le PDG de CPA. Un enthousiasme partagé par le ministre de l’Habitat et de l’urbanisme, Abdelmadjid Tebboune, pour qui « L’Algérie vient, grâce à ces conventions, de franchir une étape extrêmement importante dans la reconversion de l’économie nationale grâce à la nouvelle stratégie du secteur de l’habitat qui vise à alléger les charges sur le Trésor en impliquant les banques publiques dans la réalisation de ses projets. »
Contrairement à ce que semble indiquer le flot ininterrompu de déclarations des responsables du secteur depuis le mois de septembre dernier, il ne faut malheureusement pas s’attendre à des bouleversements au cours des prochains mois voire des prochaines années. Pour la plupart des spécialistes du secteur qui tentent de décrypter les messages envoyés et les décisions prises dans le secteur de l’habitat depuis la formation du gouvernement Sellal, les résultats risquent fort de ne pas être à la hauteur des ambitions affichées.
Qui va payer pour le logement ?
On peut, pour tenter de clarifier les idées, identifier une série d’enjeux dans la politique annoncée au cours des derniers mois. Le premier intéresse, pour l’instant, surtout les économistes. Il s’agit en gros de savoir qui va payer la politique du logement ? Au cours des dernières décennies, c’était surtout le rôle du Trésor public. En 2011 et en 2012 par exemple le Trésor a déboursé chaque année environ 300 milliards de dinars (4 milliards de dollars ) pour financer à travers le budget de l’Etat à la fois la construction de logements sociaux, les aides apportées aux différents segments d’offre dans le logement social participatif et la location vente ainsi que les aides frontales à l’auto-construction. Comparé à ce montant, les financements octroyés aux particuliers par les banques commerciales sous forme de crédits immobiliers, même s’ils ont été en augmentation très sensible dans la période récente, ont seulement franchi pour la première fois la barre du milliard de dollars à fin 2012.
C’est ce modèle de financement que le gouvernement tente de réformer . Demander aux banques publiques de payer à la place de l’Etat, qui est également propriétaire unique des banques publiques, risque fort de se révéler un simple tours de passe- passe comptable au lieu de la révolution annoncée. Dans ce domaine, les spécialistes en sont convaincus, seule la poursuite de l’effort entamé au cours des dernières années par les banques commerciales en matière de développement du crédit immobilier est susceptible de modifier structurellement le financement du logement dans notre pays. En attendant il continuera encore, pour beaucoup d’années sans doute, d’avoir la particularité, quasiment unique au monde, de reposer essentiellement sur l’appel aux ressources de l’Etat.
Vers une augmentation sensible de l’offre ?
Le deuxième enjeu essentiel de la politique du logement au cours des prochaines années est plus proche des préoccupations urgentes d’une grande partie de la population. Il concerne la quantité de logements mise sur le « marché ». Dans ce domaine , on n’a pas produit au cours des 2 derniers plans de développement les millions de logements annoncés. Le point de départ de la nouvelle démarche du gouvernement dans ce domaine est un constat d’échec qui a d’ailleurs valu sa place à l’ancien ministre de l’habitat M. Nouredine Moussa. Le nouvel exécutif a dressé un bilan sans concession des réalisations du secteur au cours des 2 derniers quinquennats. Entre les restes à réaliser et les nouveaux programmes, c’est le chiffre astronomique de 2,5 millions de logements à réaliser qui sont inscrits au titre du plan 2010-2014. Sur ce total, on enregistrait globalement à la fin de l’été 2012, un peu plus de 450 000 logements réalisés (mais pas forcement livrés), environ 750 000 logements en cours de réalisation avec des taux d’avancement très variables et en général assez faibles et surtout près de 1,3 million de logements non lancés. Circonstance aggravante, les logements réalisés sont dans une proportion supérieure à 40% des logements ruraux réalisés en auto-construction grâce à l’aide frontale de la CNL qui a été portée en 2010 à 700 000 dinars. Un bilan décevant qui a fait dire ouvertement au nouveau ministre de l’habitat que les capacités nationales annuelles de production de logements ( comprendre en milieu urbain) ne dépasse pas 100 000 unités.
C’est ce qui explique l’option la plus vigoureuse adoptée jusqu’ici par le nouvel exécutif. Le recours massif au partenariat international aurait pu, en d’autres temps, soulever un tollé. Le gouvernement le justifie par la nécessité de sauver le bilan du quinquennat en livrant au total un peu plus d’1 million de logements à fin 2014 tout en lançant la totalité des programmes en attente. Les contacts se sont multipliés depuis la fin de l’été 2012. Ils ont abouti en un temps record à la signature de protocoles d’accords et à la création de très nombreuses sociétés mixtes avec des partenaires italiens, espagnols et portugais notamment. Le principal effet attendu de ce changement de cap radical est une augmentation sensible de l’offre ainsi qu’une modernisation accélérée de l’outil de réalisation national avec à la clé une réduction des délais ainsi que l’amélioration de la qualité des logements. On jugera sur pièce les effets de cette nouvelle politique qui risque de se révéler très onéreuse financièrement et dont les premiers résultats significatifs ne seront pas connus avant au moins une année.
Des logements pour les classes moyennes ?
Un dernier aspect de la nouvelle démarche du gouvernement s’inscrit dans une stratégie de diversification de l’offre de logements au profit des classes moyennes nationales. La formule est attribuée à Abdellatif Benachenhou : « En Algérie pour avoir un logement, il faut être soit très riche soit très pauvre.» L’ancien ministre des finances résume ainsi un système de financement du logement basé sur le recours massif aux ressources de l’Etat et qui s’est traduit par une offre de logement dominée depuis des décennies par les diverses variantes du logement social locatif ou « participatif ». Les classes moyennes étant les grandes oubliées d’un dispositif fondé sur la « distribution » administrative de l’offre disponible.
Le gouvernement Sellal semble s’inspirer largement de ce constat à travers d’une part la relance du programme AADL, bloqué et finalement abandonné par le gouvernement Ouyahia puis désormais renforcé et qui affiche déjà un programme de plus de 150 000 unités. La formule ne s’éloigne cependant du « logement social participatif » et de ses limites bien connues que par la qualité présumée de la construction et des charges élevées destinées à assurer l’entretien et la maintenance du parc.
Un autre volet de cette démarche est plus neuf. Il a déjà conduit à la naissance en juin 2009 de l’ENPI, une structure publique chargée d’absorber les 17 anciens EPLF et de promouvoir le logement de type promotionnel « destiné aux catégories de personnes qui ne répondent pas aux critères d’éligibilité pour le logement social ou autres formes d’aide ». Une démarche suivie par l’annonce toute récente de la création de la nouvelle catégorie des logements promotionnels publics (LPP) dont les bénéficiaires seront les ménages dont le revenu mensuel est compris entre 6 et 12 fois le SMIC. Une clientèle potentielle dont les effectifs se sont renforcés à la faveur des récentes augmentations de salaires de beaucoup de professions (médecins , enseignants du supérieur , cadres de l’administration et des entreprises des secteurs publics et privés) que le gouvernement tente d’intégrer dans une nouvelle stratégie sociale en cours d’élaboration et dont de nombreux aspects ne sont pas encore clarifiés.