Jemâa et Mabroka, maîtresses de l’artisanat de Tamantit

Redaction

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A Tamantit, oasis situé dans la wilaya d’Adrar, la poterie est devenue une affaire de femme. La technique est restée la même au fil des siècles mais le nombre de petites mains qui s’y attellent se restreint comme peau de chagrin. Derrière leurs traits juvéniles, Jemâa et Mabroka portent le flambeau d’une tradition artisanale régionale. Dans une société patriarcale et conservatrice, ces deux célibataires de 34 ans démontrent chaque jour qu’une femme peut mener librement sa barque. Portrait.

Tamantit. Jeudi 18 juillet, deuxième semaine du mois sacré de Ramadhan. L’horloge affiche midi, le thermomètre plus de 50° degré à l’extérieur et presque autant entre les quatre murs de « L’atelier de poterie noire » de la ville, sommairement aménagé dans un ancien hangar il y a un an par Abderrhamane Nadjmi, ancien chef de l’APC, avec l’aide d’un mécène algérien. Au plafond, deux puits de lumière laissent échapper les rayons du soleil blanchâtres et aveuglants. Et le ventilateur installé au fond de ce hangar municipal ne suffit pas à rendre l’air supportable. Dans cette fournaise, les jeunes filles de l’atelier sont donc contraintes de chômer. « Comme on ne peut pas boire, on ne peut pas travailler pendant le Ramadhan», explique Mabroka, les yeux pétillants. A ses côtés, sa collègue et amie Jemâa ferme aussi boutique durant le mois sacré de Ramadhan, la chaleur étouffante de Tamantit ayant raison de sa passion pour la poterie.

Scolarité interrompue faute de moyens de transports

Ces deux jeunes femmes ont le grand mérite de maintenir vivant un métier ancien menacé d’extinction. Sans leur doigté et leur amour débordant du métier, la poterie de Tamantit se conjuguerait au passé et ne serait qu’un simple sujet d’études pour archéologues. Déjà, les hommes ont déserté le domaine à cause des faibles revenus qu’ils peuvent espérer en tirer. Aujourd’hui, il ne reste plus que six femmes pour transformer la matière comme leurs aïeux s’y appliquaient autrefois. C’est pour défendre cette activité traditionnelle que Jemâa et Mabroka, qui, du haut de leurs 34 ans, paraissent sortir de l’adolescence, servent de trait d’union entre les générations, prenant par la main la relève afin que le passé affaibli par les époques se modèle un futur. Sûrement parce que ces deux bouts de femmes, au sourire facile, tiennent autant à la terre ocre qui les a vues naître qu’à la terre d’argile à laquelle elles donnent forme. « J’enseigne régulièrement à des jeunes filles. Si je pouvais, je donnerais des cours à tout le monde tellement j’aime ce métier », clame ainsi Jemâa.

Le métier de potier, c’est toute petite qu’elles l’ont découvert. « Mon père était dans le milieu. Après l’école primaire, j’ai commencé à travailler dans son atelier », raconte Jemâa, qui a dû interrompre précocement sa scolarité, faute de moyens de transports publics pour la conduire à Adrar où se situaient à l’époque les seuls établissements d’études secondaires des environs. Même trajectoire pour Mabroka. C’est le père de Jemâa qui lui a aussi communiqué ce goût pour la poterie. « Il m’a encouragé sur cette voie alors j’ai poursuivi », glisse-t-elle. Si aujourd’hui elles regrettent de ne pas avoir pu rester sur les bancs d’école, comme les garçons à qui était réservée une résidence sur Adrar, simplement pour« enrichir [leurs] connaissances sur le monde », ces deux enfants de Tamantit ne troqueraient leur vie pour aucune autre.

«J’ai déjà plusieurs fois montré mes poteries à Alger, en France et en Espagne»

C'est cette couleur noire métallisée qui fait toute la réputation de la poterie de Tamantit. Photo Collectif Makkouk.
C’est cette couleur noire métallisée qui fait toute la réputation de la poterie de Tamantit. Photo Collectif Makkouk.

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Du chemin, elles en ont parcouru pour s’imposer dans ce milieu et surtout faire accepter leur choix de vie dans une société conservatrice dominée par les hommes. A la mort de son père, Jemâa a pris la relève. Et depuis plusieurs années, la jeune femme célibataire gère seule d’une main de fer le magasin familial et d’une main de velours continue, sans se lasser, de façonner des bibelots en tout genre. Bougeoirs, chaussures, vases etc. Des œuvres que Jemâa expose bien au-delà du désert saharien. « J’ai déjà plusieurs fois montré mes poteries à Alger, en France et en Espagne », confie-t-elle d’un filet de voix, avant d’ajouter par modestie : « C’est grâce à mon défunt père dont la réputation n’est plus à faire. Avant moi, il était souvent reçu à l’étranger pour exposer sont travail ». Drapées dans une couche noire métallisée, marque de fabrique de la poterie noire de Tamantit, ces pièces d’argiles, reconnaissables parmi des milliers, ont de quoi fasciner, tout autant que la méthode ancestrale que Jemâa et Mabroka suivent à la lettre. Première étape : pétrir la matière à l’intérieur d’un moule en pierre pour lui donner la forme voulue. Elles passent ensuite toute une journée au four ces modèles. La touche finale : un coup rapide de pinceau noir pour couvrir cette terre battue et un coup agile de crayon pour lui donner cet éclat si particulier, qui fait tout son charme. Elles ont beau recevoir une formation pour savoir faire fonctionner le tour, gracieusement offert par un mécène, ces doigts de fée ne se résignent toujours pas à abandonner un savoir-faire millénaire.

Texte Djamila Ould Khettab – photos Collectif Makkouk

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