Le jour. Déambuler entre les stands du marché de Ghardaïa, située au cœur de la vallée du M’zab, c’est avant tout faire appel à chacun de ses cinq sens. L’odeur des épices, la vue de fruits juteux, le touché d’herbes sèches, l’écoute du cri des vendeurs. Et le goût ? Durant le mois sacré du Ramadhan, les délices du souk millénaire de Ghardaïa restent interdits au jeûneur. Un véritable supplice ! La nuit. Après la rupture du jeûne, ragaillardis par un copieux repas, adultes et enfants partent à la recherche de sensations fortes à la fête foraine, qui a pris ses quartiers sur les hauteurs de la ville. Une journée Ramadanesque, deux ambiances. Récit.
Ce sont d’abord par ces odeurs envoûtantes que le promeneur découvre pour la première fois le marché millénaire du ksar de Ghardaïa. Ces mille et unes saveurs qui se mêlent et s’entremêlent dans l’air brûlant éveillent les sens et surtout l’appétit du jeûneur. Engourdi par les 48 degrés qu’affiche le thermomètre, celui-ci se fraye un chemin entre les étales à fruits et légumes, les vêtements traditionnels suspendus et les motos qui, au raz-du-sol, slaloment entre les corps humains, fatigués et certainement déshydratés, en ce cinquième jour du mois sacré du Ramadhan. Exposés le long des rues étroites du marché, couvertes à certains endroits par d’immenses bâches, ne laissant filtrer que quelques rayons lumineux, ces beaux fruits, aux courbes si parfaites, apparaissent aux yeux du jeûneur comme un mirage. Bien réels, ces pastèques, melons d’eau, bananes etc. sont en fait importés de l’extrême ouest du pays car la température locale rend impossible leur culture ici, explique un marchand du souk de Ghardaïa.
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A la nuit tombée, une toute autre ambiance
Le soleil touche à peine à son zénith que déjà les vendeurs du souk, comme un seul homme, rangent leurs marchandises et s’apprêtent à fermer boutique. C’est tout pour aujourd’hui. Durant le mois du Ramadhan, le marché de Ghardaïa fonctionne en semi-régime : il ouvre uniquement entre 9 H et 13 H, indique un commerçant, un peu plus endurant. A quelques mètres de là, un promeneur pique une sieste au pied de ces cageots de fruits. Il s’est sûrement oublié dans ses rêves, négligeant la fermeture. Aux côtés des travailleurs, le regard du visiteur ne peut faire l’impasse sur ces silhouettes, assises à même le sol, drapées dans des robes dont les motifs trahissent leurs origines. Ces femmes, pour la plus part des veuves, accompagnées de leurs bambins, n’ont ni le sous ni la volonté de rentrer à la maison. De retourner au Mali d’où elles affluent de plus en plus nombreuses, chassées par la perte d’un époux, la faim et la peur de représailles. Mais Ghardaïa semble ne rien avoir à offrir à ces naufragées du désert. Certains l’ont bien compris et mendient quelques dinars pour s’offrir un voyage vers Alger et quitter enfin cet enfer.
A la nuit tombée, une toute autre ambiance. Une datte, un verre de lait, un bol de chorba. C’est un peu avant 20 h que les habitants de Ghardaïa rompent le jeûne. Alors, la nonchalance matinale cède à l’euphorie de l’amusement. Bien sûr, on n’est ni à Alger ni à Oran. Mais à Ghardaïa aussi le jeûneur part au crépuscule, après le ftour, en quête de nouvelles sensations. Il y a ces groupes d’enfants, libres comme l’air, qui jouent une partie de football au beau milieu de la route. Ces commerces qui ré-ouvrent leurs portes et accueillent leurs premiers clients nocturnes, à la recherche d’une douceur ou d’une boisson fraîche. Ces anciens, le chèche noué avec application autour de la tête, qui papotent sur le pas de leur porte.
Quand les jeûneurs exultent
Plus surprenant, ces faisceaux lumineux du parc d’attraction installé sur les hauteurs, qui balayent le ciel de cette ville conservatrice, dont le quotidien est rythmé par les appels à la prière. Là, les jeûneurs les plus téméraires exultent. Parmi eux, des hommes très élégants dans leur djellaba blanche, des jeunes filles portant le hidjab et même des « bouaouina», ces femmes ibadites qui, sous leur haïk, ne voient le monde extérieur qu’à travers un seul œil. Oui, c’est tout ce beau monde, qui la journée prend soin de s’éviter, qui flâne entre les différents stands de jeu en cette soirée Ramadanesque. Au volant d’auto-tamponneuse, les femmes voilées s’aventurent même à bousculer les automobilistes barbus. Prenant place dans « la balançoire », une attraction impressionnante aux allures de soucoupe volantes, qui envoie valser dans les airs tout en tournant sur elle-même ses passagers, une jeune fille voilée découvre ses chevilles jusqu’au mollet. Mais, à Ghardaïa, les réflexes conservateurs ne s’oublient pas si vite. Et, dans les files d’attente, les hommes et les femmes patientent chacun de leur côté.
Texte Djamila Ould Khettab – Photos Collectif Makkouk
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