Au début, c’était une utopie. Personne n’y croyait réellement. Qui aurait pu croire qu’une colline rocailleuse pouvait se transformer en «une cité idéale». Une cité qui reflète parfaitement l’héritage culturel et architectural d’une région millénaire. Une cité qui propose un environnement rationnel de l’habitat en impliquant les institutions sociales traditionnelles.
A Ghardaïa, le projet d’une nouvelle ville où la modernité et l’authenticité se mélangent harmonieusement semblaient utopique au regard de sa complexité et de son caractère avant-gardiste. Ceci dit, cette nouvelle ville a bel et bien vu le jour. Son nom : Tafilelt. Tout a commencé lorsqu’un homme a cru en son rêve. Le rêve d’offrir enfin une alternative à la crise du logement qui frappe durement toute la vallée du M’zab. Une crise si aiguë qu’elle martyrise toute la jeunesse de Ghardaïa et ses environs dont le nombre des habitants ne cesse de croître au fur et à mesure des années.
Entraide sociale et autofinancement
Il fallait donc puiser dans ce génie mozabite qui a réussi durant des siècles à dompter le Sahara pour remédier à ce mal terrible. Ahmed Nouh, un notable mozabite, originaire du ksar Béni Isguen et président de la Fondation Amidoul, a imaginé une nouvelle cité pour répondre aux besoins des demandeurs de logements. Une cité basée, d’abord, sur une philosophie citoyenne où les valeurs du civisme sont érigées en un véritable code de conduite. Fort de ces principes, il ne restait donc qu’à bâtir une nouvelle petite ville inspirée de l’art ksourien. Avec des ruelles étroites qui s’entrecoupent pour se protéger contre les vents chauds, la nouvelle citée imaginée et façonnée par Ahmed Nouh et de jeunes architectes, se compose de maisons construites avec de la pierre, de la chaux et du plâtre ainsi que de matériaux locaux qu’on trouve en abondance dans vallée du M’zab.
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Des matériaux auxquels on ajoute un zeste de ciment et de faïences, là aussi des produits « made in Algérie », pour réaliser des maisons où le style architectural inspiré du savoir-faire des ancêtres distille un impressionnant sentiment de confort. Oui, la cité Tafilelt Tajdite, c’est d’abord un Ksar. Un Ksar qui marche sur les pas de son ancêtre Béni Isguen, cette «casbah saharienne» fondée en 1347. Cette cité comprend aujourd’hui plus de 1000 maisons. Des maisons grandes, petites et moyennes qui correspondent aux besoins de diverses familles. Des maisons qui ont vu le jour grâce à un dispositif d’autofinancement.
Oui, à Tafilelt, il ne faut pas être riche pour y posséder une demeure. Il faut être surtout un jeune dans le besoin et qui travaille dur pour trouver un toit. Et comme les prix du mètre carré et des logements sont devenus excessivement chers à Ghardaïa, comme partout ailleurs en Algérie, Ahmed Nouh a recouru à l’entraide sociale. Cette célèbre pratique qui a fait la gloire et le bonheur de la société mozabite durant des siècles. Des prêts sans intérêts ont été accordés pour qu’un grand terrain soit acheté au sommet d’une colline surplombant le ksar Béni Isguen. En mars 1997, les autorisations ont été obtenues pour commencer le projet. Mais pour débuter, Ahmed Nouh et ses compagnons ont constitué une commission sociale qui sélectionne les bénéficiaires des futurs logements sociaux. Des bénéficiaires triés selon des critères établis en toute transparence. Il faut être marié, jeunes couples, ne jamais avoir bénéficié d’un logement auparavant ou d’une quelconque aide de l’Etat. Les femmes veuves qui ont à leur charge des enfants sont également soutenues. Une fois sélectionné, le bénéficiaire remet un apport personnel initial qui ne dépasse guère les 150 mille DA.
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Tout le travail qui reste à faire par la suite est accompli par cette commission sociale qui se bat jusqu’à récupérer l’aide de la caisse nationale du logement, estimée à 700 mille Da, et lancer les travaux de construction. Le bénéficiaire, pour sa part, s’engage à s’acquitter du prix restant du logement le temps d’un échéancier fixé selon les besoins personnels de chaque bénéficiaire. Pendant ce temps-là, des prêts sans intérêts sont débloqués par des notables généreux qui soutiennent la fondation fondée par Ahmed Nouh. Les travaux avancent et les projets de constructions sont financés grâce ce dispositif. Le coût modéré des matériaux locaux et le prix du mètre carré revendu à un prix très raisonnable, à peine 5000 Da en 2000 et 29 mille Da en 2013, en comptant tous les frais occasionnés par les divers travaux de construction, soit un prix de revient en moyenne 30 % moins cher par rapport aux prix proposés par les OPGI pour les logements sociaux participatifs (LSP), ont conféré à ce projet social une dimension quasi humanitaire et caritative. Et pour cause, le promoteur de Tafilelt, Ahmed Nouh et sa fondation, ne gagnent aucun centime dans ce projet immobilier. Ils refusent de dégager le moindre bénéfice. Tafilelt est une œuvre non lucrative.
Le «compter sur soi», un acte de militantisme
Ahmed Nouh ne cesse jamais de le répéter. En réalité, le projet Tafilalt vise à rétablir certaines coutumes ancestrales basées sur la foi et le «compter sur soi» qui ont permis aux oasis en général et à celles du M’zab, en particulier, d’amadouer un environnement hostile et de bâtir ce qui est maintenant mondialement connu comme étant une architecture millénaire digne de l’appellation «développement durable». Alliant les pratiques et les valeurs de cohésion et d’entraide sociales et les exigences que requiert l’habitat contemporain, Tafilelt est une ville nouvelle qui s’inscrit dans une optique écologique et sociale.
«Tafilelt est pour nous un acte de militantisme. Et le militantisme est loin d’être seulement de la ‘’tchatche’’, sinon des actions concrètes en faveur de la société», nous confie à ce sujet Ahmed Nouh qui, en dépit d’une chaleur exceptionnelle et de la fatigue occasionnée par le jeûne, nous fait visiter le nouveau Ksar. «Notre principal objectif est de rendre le logement à la portée de tout le monde. Toutefois, nous ne voulions pas voir pousser dans notre vallée des cités dortoirs ou des ghettos comme c’est le cas dans le nord», décrète Nouh qui poursuite plus loin : «Le logement traditionnel du M’zab a été notre source d’inspiration dans la réalisation de ce projet. Tout en l’adaptant aux commodités de la vie contemporaine, tel que l’introduction de l’élément «cour» pour augmenter l’éclairage et l’aération de l’habitation ainsi que l’élargissement de ses espaces intérieurs. Nous avons maintenu aussi la hiérarchisation des espaces, l’utilisation des matériaux locaux à l’image de la pierre, le plâtre et la chaux. On a maintenu également le principe des ruelles étroites qui s’entrecoupent pour casser les vents de sable. Tout cela est réalisé pour restituer l’esprit du ksar». Cependant, il n’y a pas que l’aspect urbanistique qui fait la particularité de Tafilelt. Pour figurer parmi les habitants de cette nouvelle cité, il faut également, et surtout, adhérer à une charte citoyenne. A Tafilelt, l’habitant n’est pas uniquement résident. Il est avant tout un citoyen. Un citoyen qui a des droits et des devoirs. Et pour bénéficier d’un logement dans cette cité, il faut s’engager à planter un arbre sauvage, un palmier et un arbre fruitier. Ces arbres il faut les entretenir et les irriguer.
Des médiateurs à la place des policiers
A Tafilelt, les maisons sont regroupées en îlots de 28 à 30 maisons. Et dans chaque îlot, une famille assume pendant une semaine la prise en charge de la propreté des lieux. Et chaque semaine, une autre famille reprend le flambeau. De cette manière, chaque résident est sensibilisé quant à l’importance de l’hygiène publique. Ses règles de vivre-ensemble sont observées par chaque résident. Le résultat ne s’est pas fait attendre. Des espaces verts fleurissants, des ruelles scintillantes, des façades protégées et entretenues, Tafilelt respire le bon vivre. Quant aux relations entre résidents, une association de médiateurs veille sur la résolution des conflits lorsque ces derniers éclatent. A Tafilelt, pas besoin des policiers ou des gendarmes pour résoudre des problèmes de voisinage. Les médiateurs de la cité interviennent pour réconcilier les habitants et assurent un climat visible. En tout, pas moins de 11 associations activent au niveau de Tafilelt dont le nombre des habitants a atteint en 2013 les 6000 personnes. Cette population était à peine quelque centaine personnes lors de la première opération de distribution de logements en 2000. Des salles de sport jusqu’aux crèches, le Ksar est équipé en toutes les infrastructures nécessaires pour offrir des services publics de qualité aux résidents et à des tarifs qui défient toute concurrence. A titre d’exemple, pour inscrire leurs enfants à la crèche, les parents ne paient pas plus de 600 Da ! Le mercantilisme n’a pas sa place à Tafilelt. Au temps de l’entraide, de la solidarité et du partage, la marchandisation n’est guère la bienvenue. Dans un futur proche, l’actuel défi d’Ahmed Nouh est de constituer une ceinture verte autour du Ksar.
Une palmeraie, des potagers et des fermes, ces projets sont en train de voir le jour à Tafilelt. L’écologie, c’est un combat qui a du sens aux yeux d’Ahmed Nouh car le développement durable est à même d’offrir à l’Algérie des alternatives prometteuses. Ainsi, pour trier et récupérer les déchets ménagers de la cité, Ahmed Nouh a imaginé un système ingénieux. Tafilelt s’est équipée d’un poulailler de 15 mille poules et d’une ferme de 500 chèvres. Et si chaque résident ramène un sac de déchets triés, un sac d’épluchures et un autre de morceaux de pains, il aura en guise de récompense un plateau d’œufs ou 5 litres de lait de chèvre. Avec ce système, Tafilelt espère motiver ses habitants à entrer pleinement dans l’écocitoyenneté. Tafilelt, la «cité idéale» a donc encore du chemin à parcourir…
Texte Abdou Semmar – Photos et vidéo Collectif Makkouk
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