Tamantit et Tamassakht : deux ksars qui se battent contre l’indifférence

Redaction

Tamantit, Tamassakht. Deux bouts du monde, deux anciens comptoirs caravaniers terrés au milieu du désert algérien, à 1 600 km au sud-ouest des capitales, et dissimulés derrière de vastes palmeraies, comme toutes les villes du Sud de l’Algérie. Mais, contrairement à ces deux là, toutes ne peuvent se targuer d’avoir plusieurs fois tutoyé l’Histoire et accueilli des légions de civilisations cosmopolites au cours de leurs quelques vingt siècles d’existence. Avant les Algériens, Amazighs, Juifs, Ottomans, Français ont pris les armes pour les conquérir. Aujourd’hui, les derniers locataires de ces ksars capitulent, délaissant ces murs en terre pigmentés rouge pour des habitats plus modernes. Et, dans l’indifférence totale, les bourrasques de vent sablé balayent ces deux témoignages uniques de l’histoire de l’Algérie, jusqu’à menacer de les engloutir.

C’est au bout d’une route bitumée, traversant le plat pays de la région de Touat, au cœur de la wilaya d’Adrar, bordée de palmiers et de dunes, qu’il apparaît comme un mirage du Sahara. Un paysage lunaire où un plateau rocailleux, qui s’étend à perte de vue, surplombe la cité millénaire de Tamassakht. Vestiges d’une mer qui s’est retirée dans un lointain passé, d’immenses blocs de granit policés délimitent au loin ce décor de cinéma naturel semblable à celui immortalisé sur pellicule par les frères Taviani dans « Kaos ». « On trouve même encore des coquillages entre ces rochers », assure un vieil homme, venu en voisin, adossé au mausolée qui marque l’entrée du ksar. Un silence abyssal enveloppe ces murs en terre couleur brique. Seul le choc du souffle du vent sur ces parois polies et le pas lourd du visiteur sur le sol sablé dérangent la profonde et troublante tranquillité des lieux. Mais où sont passés ses habitants ? A vrai dire, pas très loin : ils ont élu domicile dans les maisons encore inachevées qui ont poussé comme des champignons le long de la route bitumée à l’entrée du vieux ksar. Les dernières familles à s’installer dans cette nouvelle ville de Tamassakht sont arrivées au milieu des années 1980. Une longévité à l’intérieur de la cité millénaire presque inconcevable considérant la malheureuse vétusté du ksar : plafonds en bois de palme qui tombent en lambeau, toits arrachés, murs rongés par le temps comme les ermites attaquent le bois. Il ne reste plus grand-chose de ce comptoir multiethnique itinérant, de ce lieu de passage obligé sur la route du commerce et du troc, à l’architecture arabo-subsaharienne. Des touffes de cheveux enfouies dans les murs rouges rappellent discrètement la présence d’une importante communauté juive à Tamassakht et à Tamantit, pour qui le cheveu, sacré, ne peut être négligemment jeté. Une communauté contrainte à se convertir à l’Islam après la conquête arabo-musulmane ou forcer à l’exile par le Cheikh Ali Ar-Ramlî.

Le balcon d'une maison qui tombe en ruine à Tamassakht. Photo Collectif Makkouk.
Le balcon d’une maison qui tombe en ruine à Tamassakht. Photo Collectif Makkouk.

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« Une bande d’administrateurs qui ne comprend rien à la culture » !

Tamassakht l’ancienne s’éteint à petits feux dans l’indifférence générale. Sa population lui a tourné le dos, lui préférant des villas qui répondent aux codes architecturaux occidentaux. Dans le nouveau Tamassakht, marginalisant les coutumes locales et ancestrales, les familles ont monté leur mur à l’aide de cirons. Et les climatiseurs pullulent. Si la cité paraît aujourd’hui aussi déserte que le climat dans lequel elle baigne, en réalité, ceux qui l’ont quittée continuent de rôder dans ce labyrinthe de ruines. Des ruines transformées en étables, bergeries et poulaillers par ses anciens occupants, toujours propriétaires des lieux. Des ruines devenues le terrain de jeu favori des jeunes casse-cous, qui, tels des hommes-araignées, escaladent sans bruit ces murs qui menacent de s’effondrer. Ils reviennent là sur les traces de leurs parents, qui ont fait le choix de quitter ce précaire château de cartes. Mais ce ksar est surtout boudé par les autorités publiques qui ferment les yeux sur la lente disparition de ce patrimoine à la valeur inestimable. Le site de Tamassakht n’est toujours pas classé par le ministère de la Culture algérien. Scandaleux, quand on sait que près de vingt siècles d’histoire ont caressé ses pierres.

Regardez l’interview vidéo de Abderrhamane Nadjmi, maire durant trois mandats consécutifs de Tamantit. Il se bat aujourd’hui pour préserver ce patrimoine inestimable :

A près de trente kilomètres de là, le ksar Tamantit, littéralement « le sourcil de l’œil » en berbère, a lui été reconnu « patrimoine national » par le ministère de la Culture. Label cache-misère ou sérieuse politique culturelle ? Lorsqu’on pose la question à ceux qui y habitent, les esprits s’échauffent très vite contre cette « bande d’administrateurs qui ne comprend rien à la culture et qui n’est bonne qu’à rédiger des rapports». Après les pluies diluviennes qui se sont abattues sur ces maisons en terre en 1985, Abdelmalek Sellal, alors wali d’Adrar, a alerté les autorités nationales sur la nécessité d’œuvrer à la conservation de ce site historique. Parce que « Tamantit n’appartient pas qu’aux habitants de Tamantit, il appartient  à toute l’Algérie », comme aime à le rappeler ceux qui y vivent. Engagé à leurs côtés, le Wali Sellal a fait, à l’époque, appel à l’Ecole polytechnique d’architecture d’Alger. Le site est alors devenu un laboratoire pour les étudiants de cet établissement, qui ont bénéficié en 1992 d’une enveloppe de trois milliards de dinars, alloués par le ministère de l’Habitat, pour des interventions ponctuelles d’urgence. Et depuis ? Pas grand chose si ce n’est la générosité de quelques rares mécènes algériens et surtout la volonté incompressible de ces habitants, qui mesurent l’importance de ce que l’histoire de l’Algérie leur a légué.

L’esprit ksourien subsiste 

Contrairement à Tamassakht, Tamantit, fondée avant cette première, n’a pas encore fait fuir tous ces habitants. Encore en 2013, environ un millier d’irréductibles s’accrochent à ces murs ocres et au mode de vie de leurs aïeuls. Bien sûr, depuis le temps, quelques ajustements se sont ajoutés au décor, comme ces câbles électriques et climatiseurs. Mais l’esprit ksourien subsiste. Et à la force du poigné, les résidants de Tamantit  restaurent eux-mêmes leur maison. A l’image d’Abderrhamane Nadjmi, ancien chef de l’APC de Tamantit, qui, au cours de l’année écoulée, a investi de sa poche pas moins d’un million de dinars pour retaper la bâtisse familiale, en veillant à utiliser exclusivement des matériaux locaux, principalement de la terre et du bois de palmier.  Plus, 800 000 dinars pour la réhabilitation d’une seconde maison, qui accueillera un atelier artisanal où des jeunes filles exerceront bientôt leur talent devant un métier à tisser. Celui qui a servi trois mandats consécutifs à la tête de l’APC dit avoir appris le « métier de restaurateur » des professeurs de l’Ecole d’architecture d’Alger. Ce notable de la région de Touat ne compte pas vivre dans le ksar. Avec cette maison-témoin et son atelier artisanal, Abderrhamane Nadjmi espère encourager le tourisme dans la région afin d’éveiller les consciences. Une bataille contre l’indifférence qui force le respect.

Texte Djamila Ould Khettab – vidéo et photos Collectif Makkouk

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