Tamantit, l’école de la tolérance

Redaction

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Ecole de piété, sanctuaire de spiritualité, la Medersa Sidi Ahmed Didi est un monument qui mérite d’être connu et reconnu. Tolérance, ouverture d’esprit, amour du prochain et solidarité avec l’autre, notamment les nécessiteux et les miséreux, les valeurs humanistes prônées par cette école coranique ont attiré des milliers de fidèles apprentis originaires de toute l’Algérie et de l’Afrique sub-saharienne. Voyage au cœur d’une Medersa qui veille sur un véritable trésor patrimonial.

Au cœur du désert rocailleux et hostile par sa chaleur étouffante, Tamantit défie le temps, l’espace et le soleil brûlant. Près de 10 000 habitants vivent dans cette oasis célèbre par son histoire millénaire qui fut jadis la capitale du Touat, une région prospère par ses caravanes qui assuraient le commerce entre le Sahara et les cités de l’Afrique noire.  Mais aujourd’hui, ce passé glorieux est confiné dans la mémoire collective. La Tamantit de 2013 recherche désespérément à retrouver ses lettres de noblesse. Et son Ksar majestueux avec ses murs ocres et ses toitures construites avec du bois de palmier dattier ne suffit pas pour convaincre les autorités publiques de lui consacrer un plan de développement. Une route bitumée, quelques commerces, un pâté de maisons neuves, une mairie et des infrastructures publiques de base toujours en cours de réalisation, à Tamantit, les  habitants prenant leur mal en patience passent leur journée à flirter avec les vents de sable aux pieds de leurs palmiers dattiers séculaires. En été, à Tamantit, les mots « canicule », « chaleur extrême », « fournaise » et « étouffoir » ne sont pas assez puissants sémantiquement pour qualifier les températures volcaniques qui fouettent toute cette région. Des conditions de vie difficiles, l’éloignement, la précarité et l’hostilité du climat, tout est réuni de prime abord pour refouler le visiteur de passage en ce mois de Ramadhan.

La théologie comme passion

Dieu merci, les apparences sont trompeuses. Un joyau ne dévoile nullement sa splendeur que lorsqu’on tente de le libérer de son écrin. Une fois entre les mains, l’admiration et l’éblouissement n’ont plus aucune limite. Il faut dire qu’à Tamantit, il n’y a pas que les montagnes arides et rocailleuses et leurs cavernes mystérieuses où les palmeraies verdoyantes qui ensorcellent les visiteurs. Il y a d’abord cette institution incontournable qui a fait la gloire de la ville pendant des générations entières : l’école coranique Sidi Ahmed Didi. Cette école a repris le flambeau de la confrérie El Bikria, une des confréries religieuses les plus rayonnantes dans le Sahara algérien. Le Cheikh Sidi Ahmed Didi (1878-1951), l’un des descendants de Sid El Bekri, le fondateur en 1646 de la confrérie El Bikria, a instauré de son vivant le régime de l’internat au profit des élèves qui venaient des régions les plus lointaines pour suivre son enseignement coranique. Et depuis, l’initiation théologique proposée par cette école n’a jamais cessé d’attirer les disciples du savoir et les admirateurs de la splendeur de la lettre coranique. Se basant sur le rite Malékite, l’une des plus célèbres écoles d’exégèse coranique qui a été fondée par l’Imâm Mâlik Ibn Anas en 795, l’école de Sidi Ahmed Didi diffuse un savoir qui repose sur la connaissance approfondie de la vie du Prophète Muhammed (QSSL) et le développement de l’Ijtihâd, à savoir la quête interminable du sens caché du Coran suivant les travaux de recherches des plus grands érudits de l’Islam. D’autre part, inscrite dans la droite ligne de l’école de Mâlik, Sidi Ahmed Didi a instruit ses disciples, pour vivre pleinement leur religion, de recourir au Coran , puis la sunna, puis le consensus des savants (ijmâ‘ ), puis les coutumes médinoises (‘amalu ahli al-Madîna), l’effort d’interprétation personnelle (Ijtihâd), l’opinion personnelle (ra’y) qui découle de la réflexion (fikr) (en l’absence du texte sacré), la préférence personnelle en vue du bien (istihsân), ainsi que le raisonnement par analogie (qiyâs), et la prévention de l’inconvénient (Sadd al-ddarâi‘).  A travers ce cheminement théologique, les étudiants de Sidi Ahmed Didi ont acquis une érudition qui leur a permis de cerner les enjeux de la vie religieuse et de faire face aux différentes problématiques auxquelles leur communauté est confrontée. Et aujourd’hui, forte de cette expérience théologique, l’école coranique de Sidi Ahmed Didi est pleinement engagée dans la lutte contre l’extrémisme religieux et le salafisme.

Le soufisme comme remède à l’obscurantisme

Des manuscrits scientifiques, philosophiques et astronomiques, datant du 11ème siècle, sont conservés de manières rustique dans la bibliothèque de cette école coranique.
Des manuscrits scientifiques, philosophiques et astronomiques, datant du 11ème siècle, sont conservés de manières rustique dans la bibliothèque de cette école coranique.

Découvrez la beauté de l’école coranique de Tamantit en photos ici

«Nous ne sommes pas comme les salafistes qui prônent l’anarchie doctrinale et sèment le trouble en tentant de discréditer les écoles coraniques tariqas du soufisme. Pendant notre formation, nous avons appris la science du hadith, le fiqh et la langue arabe. Les salafistes, eux, ils apprennent 4 ou 5 livres par cœur et ils prétendent détenir la vérité», nous confie à ce sujet Abdelhamid Bekri, docteur en islamologie et l’un des encadreurs de cette école coranique. Âgé de 38 ans, notre interlocuteur, un descendant du Cheikh Sidi Ahmed Didi, souligne sans ambages que le soufisme est le remède contre l’obscurantisme ravageur qui menace l’avenir de notre pays. «La réconciliation, la communion, la Rahma, toutes ces valeurs sont essentielles dans notre enseignement. Nous ne cultivons jamais l’exclusion ou la discrimination. Les arguments des salafistes, nous les connaissons et nous pouvons les démonter et les déconstruire. Les obscurantistes ne tiennent jamais longtemps dans les débats qui nous opposent à eux», assure encore Abdelhamid Bekri. Pour ce jeune chercheur et théologien, qui a grandi sous le toit séculaire de l’école de son aïeul Sidi Ahmed Didi, l’Algérie a besoin de ces écoles coraniques qui donnent naissance à des hommes de religion et des imams bien formés et bien instruits capables d’inculquer la tolérance à la société civile. Justement, la tolérance, c’est le combat que mène l’école de Sidi Ahmed Didi tous les jours depuis de longues années. Un combat qu’elle mène seule avec le soutien de la population de Tamantit qui adhère entièrement à la lutte théologique engagée par les différents Cheikhs qui ont supervisé cette prestigieuse école. Et pour ce faire, un fonds documentaire d’une richesse inestimable est caché dans la bibliothèque protégée comme un trésor précieux par les descendants de Sidi Ahmed Didi. Communément appelée la khizana de Sid El Bekri, toujours en référence au penseur et fondateur de la zaouïa de la confrérie El Bikria, cette bibliothèque possède plus de 3 500 livres et manuscrits écrits par les plus virtuoses savants musulmans. Datant de plusieurs siècles, ces manuscrits sont encore jalousement conservés à Tamantit grâce à des herbes traditionnelles qui protègent les livres des bactéries. Des traités d’astronomie, de mathématiques, de logique et des exégèses islamiques, ces livres respirent l’histoire, la sagesse et l’érudition. La plupart de ces manuscrits ont été rédigés sur la peau d’une chèvre et leur origine remonte jusqu’au 11ème siècle ! Protégé avec des moyens rustiques dans une salle climatisée aménagée au cœur de l’ancien Ksar de Tamantit, l’école de Sidi Ahmed Didi veille sur ce patrimoine à la richesse incommensurable sans le moindre soutien des autorités publiques. Ni le ministère de la Culture, ni ses diverses instances pourtant pourvues d’importants budgets, n’ont accordé la moindre attention à ces livres précieux qui font la fierté et la gloire de toute l’Algérie.

Un Saint Coran unique au monde

«Sous d’autres cieux, ces livres auraient été numérisés, scannés et répertoriés afin de les conserver pour les générations futures. Des universités auraient consacré d’interminables travaux de recherche pour exploiter ce trésor de l’esprit. Mais dans notre pays, on délaisse ces manuscrits et on méprise ce patrimoine», regrette ainsi amèrement notre guide Abdelhamid Bekri qui retient difficilement sa colère à chaque fois qu’on lui rappelle l’existence du ministère de la Culture. Un ministère dont la simple évocation suscite la colère de tous les habitants de Tamantit qui sont condamnés à protéger, à eux-seuls, des manuscrits qui témoignent du génie algérien à travers des siècles entiers. Pis encore, la khizana de Sid El Bekri a déploré la disparition d’au moins 24 manuscrits qui ont été prêtés à la Bibliothèque Nationale (BN) située à Alger. Ces livres rares ont tout simplement disparu et aucune trace n’a été retrouvée dans les archives de la BN, révèle avec beaucoup de peine dans le cœur Abdelhamid Bekri avec lequel nous avons visité une partie de cet immense fonds documentaire. 200 livres nous ont été présentés et nous avons eu l’immense privilège de feuilleter des ouvrages qui datent de plus de 10 siècles. Mais à Tamantit, un autre trésor est secrètement caché et aucun visiteur, sauf le Président de la République, Abdelaziz Bouteflika, et une poignée de privilégiés, ne peut l’apercevoir. Il s’agit de l’un des plus anciens  manuscrits coraniques de tout le monde musulman. Datant du Xe siècle, un Saint Coran est conservé par l’école de Sidi Ahmed Didi. Ramené par le premier ancêtre des Bekraouine, Sidi Amar Ben Mohamed, cet exemplaire unique en son genre est un Othmania, un Coran écrit en ancien arabe à l’époque du troisième calife de l’Islam, Othman ibn Affân. Selon des sources bibliographiques concordantes, il n’existe que 4 version de ce Coran à travers le monde. C’est dire qu’il représente une pièce à la valeur inestimable. C’est, d’ailleurs, pour cela que presque personne ne peut le voir à Tamantit. Les étrangers sont triés sur le volet et pour le dévoiler, il faut attendre les fêtes religieuses. A l’école coranique de Sidi Ahmed Didi, on explique toutes ces précautions par les convoitises qu’attise ce trésor. Et comme les langues se délient difficilement, on nous a indiqué, tout de même, que des parties marocaines ne cessent de réclamer ce manuscrit prétextant qu’il revient au patrimoine matériel culturel du royaume chérifien. Chose dont les habitants et notables de Tamantit refusent d’entendre parler. Ce trésor est algérien et il le demeurera jusqu’à l’éternité, voilà le serment que les fidèles de Tamantit ont fait depuis ce passé lointain où le thourath (patrimoine) n’était guère un vain mot. Malheureusement, aujourd’hui, ce n’est plus une priorité et nos décideurs semblent se préoccuper de choses beaucoup plus mercantiles et d’enjeux plus simplistes. Peu importe, à Tamantit, ce centre de production de manuscrits au XVIe siècle, on ne peut jamais « violer un serment inviolable »…

Regardez l’interview vidéo de Abdelhamid Bekri, docteur en islamologie, qui raconte l’histoire de cette école coranique :

Texte Abdou Semmar – Vidéo et photos Collectif Makkouk

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