Tamassit (Kabylie) : la belle renaissance de l’huilerie traditionnelle des Frères Kessi

Redaction

C’est une huilerie traditionnelle fondée à la fin des années 1930. Complètement détruite par l’armée française durant la guerre de libération nationale, elle est reconstruite juste après l’indépendance du pays. Fermée de nouveau dans les années 1990, elle est rouverte en 2001. Aujourd’hui, elle retrouve un formidable essor et fonctionne à plein régime grâce au courage et à la pugnacité de son gérant.

Une savoureuse senteur de l’huile d’olive caresse les narines à des dizaines de mètres de l’huilerie traditionnelle des Frères Kessi. Au village Tamassit, situé au pied du versant sud du Mont Tamgout, dans la commune des Aghribs, cette huilerie traditionnelle qui existe depuis la fin des années 30, fonctionne encore au grand bonheur des amoureux de l’huile d’olive. Ses clients viennent des quatre coins de la Kabylie, mais aussi d’autres wilayas éloignées du pays. La qualité de l’huile qu’on presse chez les frères Kessi fait courir des clients de lointaines contrées. Une huile extraite de manière traditionnelle des olives. Une huile qui se distingue par une saveur, un gout, et un arôme des plus raffinés.

Du pain chaud et croustillant, à savourer avec de l’huile d’olive 

Les visiteurs et clients sont invités à déguster à volonté cette huile avec du pain bien croustillant en guise de bienvenue. «C’est la cerise sur le gâteau. Les employés sont d’une grande politesse. Ils ont un accueil très chaleureux » nous dit Charef Khodja Mohammed, un client de longue date des frères Kessi. La moustache bien fournie, Dda Mohand trempe son morceau de pain dans le plat rempli de l’huile et le savoure délicieusement. «Je suis d’Azeffoun, et je travaille à Alger. Je viens chaque week-end en Kabylie, et je passe très souvent par cette huilerie pour m’acheter de l’huile d’olive. C’est une huile qui a un gout magnifique » dit-il encore. Tout au long de la journée, la boutique ne désemplit pas. Des clients viennent en famille, et côtoient les employés dans cet espace dédié à ce fruit qui fait la réputation de la Kabylie. «Chez nous, c’est une tradition qui a toujours existé. Quand quelqu’un vient dans notre huilerie, que ce soit des clients, des visiteurs ou de simples passants, nous offrons gratuitement du pain chaud et croustillant, à savourer avec de l’huile d’olive», s’enorgueillit Rabah, le gérant de l’huilerie avec ses frères, tous fiers d’avoir réussi à sauvegarder cette tradition.

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«Je viens de Timizart. On m’a parlé de cette huilerie et de la qualité de l’huile qu’ils font ici. Depuis que j’ai gouté, je reviens très souvent. Je ramène même mes olives pour extraire l’huile ici», nous dit Dda Amar, un vieux retraité de Sonatrach qui vient déposer une bonne dizaine de sacs remplis d’olives chez les frères Kessi.

En fait,  le secret de la réussite des frères Kessi et de leur huilerie traditionnelle n’est pas tombé du ciel du jour au lendemain. Rabah Kessi gère cette huilerie depuis son retour de France en 2006.  Son allure de « chic man » aux yeux bleus étincelants et cheveux gominées est trompeuse. Car quand il se met au travail, il n’est pas du tout du genre à avoir peur de se « salir les mains ». «Pour faire de la bonne huile d’olive, il ne suffit pas d’avoir du matériel. Mais il faut aussi et surtout un savoir-faire. Nous, on fait partie de la quatrième génération de ma famille qui exploite cette huilerie. Ce métier, je l’ai appris de mon père, qui, lui-même l’a appris de mon grand-père. Au fil des années, nous avons développé notre méthode de travail » témoigne-t-il. «Je suis revenu de France, après avoir vécu cinq ans là-bas, avec une ferme volonté de donner un nouveau souffle à notre huilerie, et ainsi perpétuer ce lègue ancestral. Nous avons acheté quelques petites machines comme le séparateur de l’huile et de la margine (amurej). Nous avons renouvelé les Escourtins (Thisnathine). Aujourd’hui, notre huilerie fonctionne à plein régime, nous employons huit ouvriers. C’est une entreprise qui fonctionne très bien » nous dit-il.

Un savoir-faire sauvé grâce à la passion 

C’est avec une grande passion que Rabah explique le fonctionnement de son huilerie traditionnelle. « Les olives sont versées dans la vessie à olives qui les fait remonter dans le broyeur. Ce broyeur qui fonctionnait avant à l’aide de chevaux est branché actuellement à un moteur électrique. La pâte des olives qu’on extrait du broyage est mise dans des escourtins, puis pressée avec des pressoirs. Le liquide qui en sort est drainé par un cours vers le séparateur qui met l’huile d’un côté et la margine de l’autre » explique-t-il. «Mais il faut toujours qu’on soit prudent, car les olives sont différentes et chaque qualité à sa manière d’extraire son huile. Les olives sèches ne sont pas traitées de la même la manière que les olives moins mûres. Nous faisons très attention au climat aussi, on ne travaille pas de la même manière quand il fait froid et quand il faut chaud. C’est des paramètres qu’il faut maitriser pour faire une bonne huile » confie notre interlocuteur. Et c’est là où intervient le savoir-faire des frères Kessi. Un savoir-faire développé depuis la fin des années 30 «qui a failli disparaître dans les années 90 », lors de l’introduction des huileries modernes dans notre pays, mais sauvé grâce à la pugnacité et la détermination de cette famille.

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Rabah Kessi est le jeune gérant de cette huilerie qui puise son savoir-faire dans un passé lointain. Il a su aujourd’hui préserver ce patrimoine impressionnant

En fait, lors des premières années de son démarrage, fin des années 1930, l’huilerie des frères Kessi, gérée par El Hocine Kessi appelé familièrement Dda L’hocine et Hadj Mohand Bwarav. Ils ont mis à la disposition de leurs clients à cette époque-là deux chevaux pour acheminer leurs sacs d’olives des villages environnant, Tifrit Aghribs, Azazga, Fréha et autres. Au début de la guerre de Libération Nationale, les défunts Mohand Bwarav et Dda L’hocine remettaient une grande part de leurs recettes aux combattants et l’ALN pour aider la révolution. L’armée française, ayant eu vent de la collaboration a détruit complètement l’huilerie et déclare le village Tamassit Zone rouge. Par principe, les deux compères reconstruisent l’huilerie au même endroit, en 1963, juste après l’indépendance du pays. Ils la font fonctionner jusqu’au début des années 1980. Fatigués et vieillis, ils prennent leur retraite, et confient le flambeau à Dda Lounès, le père de Rabah qui y travaille jusqu’au début des années 1990. Celui-ci est contraint de mettre la clef sous le paillasson après l’introduction des huileries modernes. Mais toujours déterminés à faire revivre cette huilerie traditionnelle, ils redémarrent le travail en 2001 après quelques rénovations. Après un début timide, l’huilerie a trouvé son rythme de croisière en 2006, lors du retour de Rabah Kessi de France après cinq ans passés à Paris.

Aujourd’hui, cette huilerie emploie huit personnes et génère des revenus  pour ses propriétaires. «Nous maintenons cette méthode traditionnelle d’extraction de l’huile d’olive telle quelle. C’est notre manière de faire, mais c’est aussi et surtout à la demande de nos clients » se réjouit enfin Rabah Kessi.

Arezki IBERSIENE