L’Algérie était la plus importante des 28 délégations représentées ce vendredi 15 août dans le Sud de la France, à l’occasion des célébrations du 70e anniversaire du débarquement de Provence. Présents aux côtés du Premier Ministre Abdelmalek Sellal, 12 vétérans algériens ayant participé à l’opération se sont vus remettre la Légion d’Honneur de la République française par son ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian (photo). Une reconnaissance tardive pour ceux qui constituaient, pourtant, l’un des plus gros contingents de soldats débarqués ce jour-là pour libérer l’Europe du joug nazi.
“J’étais avec mon régiment en Corse”, raconte à RFI Benyoucef Makarni, ex-tirailleur algérien présent ce vendredi aux célébrations. “Nous étions préparés pour un débarquement. On ne nous disait pas où nous allions aller demain ou après-demain. Non. On nous donnait notre destination en haute mer. Le débarquement, c’est militaire. Le militaire, c’est la discipline, c’est les ordres,” témoigne celui qui avait 25 ans en 1944.
Le débarquement en Provence a été décidé en même temps que celui de Normandie. Le premier devait être l’enclume -”Anvil” en anglais, l’un de ses noms de code- le second le marteau -”Hammer”. C’est ainsi que 200 000 combattants alliés, accompagnés de 250 000 soldats de “l’Armée B” française -dont près de la moitié “d’indigènes”, tirailleurs sénégalais et algériens, goumiers et tabors marocains, pieds-noirs et marsouins du Pacifique et des Antilles- débarquent sur les plages du Var au matin du 15 août 1944. Profitant de l’effet de surprise et de la faiblesse des lignes allemandes à cet endroit, les troupes des généraux Patch et De Lattre de Tassigny libèrent quelques jours plus tard Toulon et Marseille, avant de remonter le Rhône jusqu’à établir la jonction avec le Général Patton, débarqué 10 semaines plutôt sur les côtes normandes.
Ce n’est pourtant pas cette impression de facilité qui a marqué Allaoua Mokrane, lui aussi vétéran algérien de l’opération. “La moitié ont été jetés à la mer. C’était le débarquement à la nage. Il y avait des morts [1 000 le premier jour, ndlr]. Et on est venu à pieds jusqu’à Toulon. A Toulon, on a trouvé de la résistance, et il y a eu un peu de casse,” se souvient celui qui était âgé de 21 ans à l’époque.*
Une reconnaissance par petits pas du rôle de l’Algérie
La participation de l’Algérie aux commémorations des 70 ans du débarquement de Provence n’a pas suscité de polémique, contrairement au tollé qu’avait provoqué la présence de trois militaires algériens lors du défilé du 14 juillet dernier sur les Champs-Élysées.
Il y a tout juste dix ans, le 15 août 2004, l’Algérie et son Président Abdelaziz Bouteflika étaient invités pour la première fois à célébrer l’anniversaire de l’opération militaire alliée. Interviewé à cette occasion par le journal Le Jeune Indépendant, l’historien Benjamin Stora soulignait toute la portée de ce geste.
“En France, les soixante dernières années ont été marquées par l’omniprésence d’un certain récit historique. Une mythologie “résistancialiste” très forte donnait la priorité aux troupes françaises. On ignorait en France – on l’ignore toujours – que, en grande partie, ce sont les tirailleurs algériens qui, les premiers, sont entrés à Marseille pour la libérer. On ne sait pas non plus que ce sont les régiments algériens qui sont remontés le long de la vallée du Rhône pour jouer un rôle décisif dans la libération de Lyon. Ces faits ne figurent pas dans les manuels scolaires,” dénonçait alors l’universitaire, tout en rappelant l’importance cruciale de la Seconde Guerre mondiale dans la formation militaire et l’éveil des aspirations à la liberté chez les futurs leaders de l’indépendance algérienne -Ben Bella et Ouamrane en tête.
Le processus de réconciliation entre l’Algérie et la France est fait de petits pas, surtout en ce qui concerne la reconnaissance du rôle joué par l’ancienne colonie dans la libération de la métropole. La réévaluation symbolique en 2007 de la pension des anciens combattants, après le film “Indigènes” de Rachid Bouchareb, en est un. L’attribution, ce vendredi, de la Légion d’Honneur aux vétérans algériens du débarquement de Provence, en est un autre.
*En 2012, d’autres témoignages -que vous pouvez retrouver en cliquant ici– avaient été recueillis et compilés par les élèves du Lycée International Alexandre Dumas d’Alger, dans un ouvrage intitulé “Mémoires d’Hommes – La participation des soldats algériens au débarquement de Provence et à la libération de la France”.