Seul le ministère des Affaires étrangères a délivré plusieurs documents aux juges d’instruction saisis de l’assassinat des sept trappistes. Cette demande avait été formulée après les révélations explosives d’un général français en poste à Alger au moment de la tuerie.
Une levée partielle du secret-défense pour tenter de lever un léger coin du voile. Le ministère des Affaires étrangères a transmis, lundi 9 novembre, des documents internes aux deux juges chargés de l’instruction sur la mort des sept moines de Tibéhirine, tués en 1996 en Algérie.
Selon Bernard Valero, le porte-parole du Quai d’Orsay, « cette transmission est intervenue immédiatement après l’avis rendu le 5 novembre par la Commission consultative du secret de la défense nationale », compétente en la matière.
La requête de Marc Trévidic et d’Yves Jannier, les magistrats antiterroristes, avait pour destinataires Hervé Morin, le ministre de la Défense, Bernard Kouchner, celui des Affaires étrangères, et Brice Hortefeux, le titulaire de l’Intérieur. Elle visait surtout le rapport de François Buchwalter, auteur de révélations fracassantes concernant les conditions dans lesquelles les sept moines trappistes auraient été tués après avoir été enlevés, dans la nuit du 26 au 27 mars, en leur monastère isolé de Notre-Dame de l’Atlas, au sud-est d’Alger.
Leurs têtes furent exhumées deux mois plus tard, en mai, tandis que leurs corps n’ont curieusement jamais été retrouvés.
Selon le général en retraite, attaché militaire de l’ambassade de France à Alger entre 1995 et 1998, les religieux français auraient été involontairement tués par l’Armée nationale populaire (ANP) algérienne lors d’un raid aérien contre l’une des sections des Groupes islamiques armés (GIA), dirigés par Djamel Zitouni et repliés dans le fameux « triangle de la mort » de la Mitidja.
Il avait livré cette information le 25 juin au juge Trévidic, expliquant détenir ce renseignement du frère d’un cadre intermédiaire de l’armée algérienne. Insistant, François Buchwalter avait en outre rapporté au magistrat l’attitude singulière de l’ambassade de France, ordonnant immédiatement le silence total sur ces informations explosives…
« Jamais jusqu’à moi »
Ces assertions avaient contraint Nicolas Sarkozy à monter au créneau. Le président de la République avait instamment demandé, le 9 juillet, la « vérité » sur le massacre des moines, estimant que les relations entre la France et l’Algérie ne pouvaient être fondées sur « le mensonge ».
Il avait aussitôt assuré qu’il lèverait le secret-défense sur tous les documents demandés par la justice française. « Il n’y a pas d’autre façon de faire la vérité », avait-il insisté. Une semaine plus tard, Charles Millon, ministre de la Défense à l’époque des faits, déclarait à L’Express n’avoir jamais été le récipiendaire d’un quelconque rapport du général Buchwalter, ni n’avoir été informé d’hypothèses impliquant l’ANP.
« On ne m’a jamais parlé d’une “bavure” de l’armée algérienne. Je n’ai jamais été informé de l’existence d’une note de l’attaché militaire de l’ambassade de France à Alger concernant le sort des moines », avait-il assuré. « Je ne connais pas le général Buchwalter, dont le nom même m’est inconnu. S’il a fait un rapport, il n’est jamais remonté jusqu’à moi », avait-il certifié.
Ces révélations tonitruantes demeurent d’autant plus embarrassantes des deux côtés de la Méditerranée qu’elles provenaient, pour la première fois, d’un haut gradé français, sans lien avec des militaires algériens dissidents de l’ANP, dont Mohamed Samraoui et Abdelkader Tigha (lire nos éditions du 9 juillet).
Me Patrick Baudouin, l’avocat des familles des victimes, avait sollicité cette transmission de documents – aujourd’hui en partie exaucée – auprès des magistrats instructeurs afin de confronter les propos tenus par François Buchwalter à ce qui avait été porté à l’exacte connaissance du gouvernement français au sujet de ces sept décapitations.
Le juge Trévidic avait en outre sollicité l’accès aux rapports rédigés sur cette « affaire d’Etats » par le général Philippe Rondot, envoyé en Algérie pour le compte de la DST, en quête, à l’époque, de renseignements complémentaires. En vain. Pour le moment.
(France Soir)