Mon grand père racontait souvent cette anecdote : Un jour, un jeune berger de 18 ans, se faisait voler un mouton par un loup. Il paniquait par peur de rentrer à la maison et se faire gronder par son père. À la fin de la journée, ayant rejoint sa famille, il ne pouvait éviter de raconter sa mésaventure à son père et voici ce qu’il lui dit : Papa tu connais Youcef du village d’à côté, il s’est fait voler un mouton. Le père compatissait avec ce pauvre berger et se lamentait pour lui. Et le jeune de continuer, tu sais, même Mohammed, Mustapha les deux autres bergers se sont fait voler un ou deux moutons. Le père qui trouvait l’histoire dramatique compatissait encore avec les autres bergers. Et le jeune de conclure : le loup nous a tous volé un mouton. (klanna gaa aajil, aajil).
Moralité de l’histoire : Ce n’est pas par ce que, quelqu’un d’autre a fait une erreur ou une faille que la nôtre est minimisée et que l’on s’en porte mieux. Nous allons quand même vivre avec les conséquences de notre erreur.
Pourquoi, je vous raconte cela ? Eh, bien, je crois que ce raisonnement est devenu chez nous, monnaie courante. Si vous voulez dénoncer la violence chez nous, on va vous répondre, en France et dans les pays du monde la violence existe aussi. Vous soulevez le problème de la pauvreté en Algérie, et on vous répond que le Maroc compte plus de pauvres. La prostitution existe et se multiplie chez nous, mais ce n’est pas plus grave car le Maroc et les autres pays nous devancent en la matière. Le fanatisme religieux est bien installé au pays mais c’est moins dramatique qu’en Iran. Un corrompu, assez haut placé me récitait souvent qu’il avait beaucoup voyagé et que la corruption battait son plein en haut lieu en Amérique du nord! Bel argument de justification non ?
Je crois qu’en raisonnant ainsi, on fait de l’évitement. On fait le choix de noyer le poisson, puisque les autres le vivent ou l’expérimentent, nous sommes ”normaux”. Le résultat est que nous finissons par nous complaire dans notre médiocrité et rentrer dans une zone de confort où plus rien ne nous dérange sous prétexte que nous ne sommes pas pire que les autres.
J’ai observé ce raisonnement chez les deux sexes qu’ils soient éduqués ou pas, riches ou pauvres, vieux ou jeunes. Je veux ajouter une petite précision pour nos lecteurs analytiques, je ne parle pas de tous les algériens sans exception. Je soulève ce ”mind set” (façon de penser) qui se dégage en général chez nous. L’évitement est devenu notre bouée de sauvetage, notre repose méninges, notre baume au cœur et une des causes principales de notre écroulement en tant que peuple.
Voici un exemple qui illustre assez bien ce sujet. Un jeune ingénieur algérien fraîchement arrivé au Québec me racontait indigné : ”Avec toute l’eau que vous avez ici, ils trouvent le moyen de vous interdire d’arroser votre jardin tous les jours, je trouve cela inapproprié”. Quand, je répondais que cette année, nous avons manqué d’eau car les précipitations de neige ont fait défaut, il me répondait : ”Tu ne trouves pas que c’est exagéré, en Algérie nous manquons d’eau depuis des années, vous ne savez pas ce qu’est une vraie sécheresse! ” Et je me disais, heureusement que les autorités ne réfléchissent pas ainsi. Ce n’est pas par ce que il y a des endroits qui ont moins d’eau que nous ne devons pas nous pencher sur notre problème et prévenir ainsi les conséquences.
Même nos enfants ont appris. N’avez-vous jamais entendu des phrases du genre : ” J’ai eu une mauvaise note, mais tous mes copains ont eu des mauvaises notes aussi” ou ” J’ai insulté la maîtresse mais j’en ai dit moins que mon copain”. En général, cela marche, le père ou la mère va se dire ”eh bien, mon fils (ou ma fille) est comme les autres ». C’est très utile et reposant pour un parent…
En réfléchissant ainsi, on évite de voir la réalité, c’est dur de réaliser que son enfant est un cancre ou un délinquant. On préfère le diluer dans la masse pour ne pas se pencher sur le problème, qu’importent l’état et la situation de la masse. En agissant ainsi, non seulement, on enfonce son enfant mais on l’aide aussi à aller grossir les rangs de la délinquance en cautionnant ses comportements tout en perdant toute crédibilité à ses yeux. C’est un raisonnement très dangereux, on se vautre dans une facilité qui nous permet de ne jamais nous regarder en face comme individu faisant partie d’une société.
Ce raisonnement par l’évitement est une belle pilule dorée dont le peuple algérien et ses dirigeants usent et abusent. Combien de présidents et de leaders algériens ont privilégié le discours de comparaison avec des pays voisins pour souligner que nous allons bien au lieu de focaliser sur nos vraies problèmes. Que de commentateurs nous comparent à des pays africains pour prôner la bonne santé de notre économie. Eh bien, une mise à jour s’impose car dans notre évitement qui nous a aménagé cette si belle zone d’autosatisfaction dans laquelle nous savourons notre léthargie, nous oublions que ces mêmes pays africains que nous pensons encore dépasser, ont mis leurs priorités et leurs énergies sur leur propre avancement et se portent bien mieux que nous.
Nous avons apprivoisé l’évitement qui est devenu un réflexe naturel. Si vous ajoutez à cela le syndrome de la ”justifite, (ce n’est jamais de ma faute, c’est toujours la faute de l’autre)” et que vous saupoudrez cela du réflexe de” notre spécificité, ceci ou cela ne peut s’appliquer en Algérie car nous sommes différents de par notre histoire, notre géographie et notre culture”, nous n’irons pas bien loin!
Les psychologues vous diront que pour régler un problème, il faudrait le nommer, l’accepter et ensuite travailler dessus. Comptez le nombre de sujets tabou autour de vous. Dans notre société, où le paraître a tué l’être, nous ne nommons plus rien. La priorité à gérer est que les gens autour de nous pensent que tout va bien pour nous. Alors, nous sommes passés maîtres dans l’art de faire semblant et la gestion du présent sans jamais penser au moyen et long terme.
En fait, nous optons délibérément pour le choix de renvoyer au monde une image de nous que nous ne sommes pas. Et pour ce faire, nous développons diverses stratégies pour appuyer cette croyance. Le mensonge, la manipulation, le fatalisme (dieu en a voulu ainsi) et le réflexe d’attaquer l’autre pour mieux se défendre. C’est tellement plus agréable de citer les tares de l’autre. Pendant que nous le faisons, nous oublions les nôtres. Nous sommes convaincus que si nous ne parlons pas de la chose, elle va se diluer jusqu’à disparaître. Malheureusement, dans la vraie vie, les choses se passent autrement. Généralement, quand un problème ou un fléau surgit que se soit à l’échelle individuelle ou à l’échelle d’une société, si on ne le traite pas, il ne s’évapore pas par un quelconque miracle, au contraire, il fait boule de neige en quantité et qualité et peut ruiner toute une nation.
Nacera kherbouche, MBA expert en gestion de performance & business coach