Algérie-France : La Relation Bilatérale à l’Épreuve du Feu

Redaction

Algérie-France : La Relation Bilatérale à l'Épreuve du Feu

L’histoire entre l’Algérie et la France est celle d’une relation complexe, parfois passionnelle, souvent douloureuse. Aujourd’hui, en ce début d’automne 2024, les nuages qui obscurcissent le ciel de cette relation ne semblent pas prêts de se dissiper. Bien au contraire, les tensions s’accumulent, les incompréhensions se multiplient, et l’avenir de la relation bilatérale semble s’écrire en pointillés.

Alors que l’Algérie est sans ambassadeur à Paris depuis plusieurs mois, un signal fort de la détérioration des relations, la perspective d’une rencontre entre le président Abdelmadjid Tebboune et son homologue français Emmanuel Macron s’éloigne de jour en jour. La situation actuelle, marquée par un ensemble de crises et de non-dits, pourrait bien être le prélude à une rupture profonde entre les deux nations. Mais comment en est-on arrivé là ? Quels sont les enjeux qui sous-tendent cette relation tourmentée, et quelles sont les perspectives pour l’avenir ?

Le Contexte : Un Début d’Automne sous Haute Tension

Une Réélection et des Promesses Non Tenues

La relation algéro-française n’a jamais été un long fleuve tranquille. Depuis l’indépendance de l’Algérie en 1962, les deux pays ont entretenu des liens complexes, marqués par des périodes de rapprochement et de vives tensions. Pourtant, ces dernières années, les signaux négatifs se sont multipliés, creusant un fossé toujours plus large entre Alger et Paris.

La réélection d’Abdelmadjid Tebboune en septembre 2024 aurait pu être l’occasion de redéfinir les bases de cette relation. Mais les promesses de rapprochement, notamment évoquées lors de l’entretien téléphonique de mars dernier entre Tebboune et Macron, semblent aujourd’hui bien loin. L’absence d’ambassadeur algérien à Paris, en réponse aux décisions controversées de la France, témoigne de la profondeur du malaise.

La Question Sahraouie : Une Pomme de Discorde

L’un des éléments déclencheurs de cette détérioration des relations est la question du Sahara occidental. En juillet dernier, Emmanuel Macron a décidé de reconnaître la souveraineté marocaine sur ce territoire disputé, une décision perçue comme un véritable casus belli par Alger. Cette prise de position en faveur du Maroc a immédiatement conduit au rappel de l’ambassadeur algérien à Paris, marquant un nouveau tournant dans les relations bilatérales.

Pour l’Algérie, le soutien au droit à l’autodétermination du peuple sahraoui est une question de principe, inscrite dans sa politique étrangère depuis des décennies. En prenant parti pour le Maroc, la France a non seulement brisé un équilibre délicat, mais elle a aussi jeté de l’huile sur le feu d’une relation déjà fragilisée par des années de tensions non résolues.

Une Relation Sous la Pression de la Politique Intérieure Française

La Montée de la Droite et de l’Extrême-Droite en France

En France, la politique maghrébine est depuis longtemps un enjeu de politique intérieure, et la relation avec l’Algérie n’échappe pas à cette règle. Depuis plusieurs années, la droite et l’extrême-droite françaises exercent une pression croissante sur Emmanuel Macron pour qu’il « rééquilibre » sa politique en faveur du Maroc, jugée trop favorable à l’Algérie. Cette pression s’est accentuée avec la nomination de Bruno Retailleau au poste de ministre de l’Intérieur, un ténor de la droite connu pour ses positions hostiles à l’Algérie.

Retailleau, fervent opposant à l’accord de 1968 sur l’immigration algérienne en France, est également un adversaire acharné du projet de réconciliation mémorielle cher à Macron. Sa nomination envoie un signal clair à Alger : la politique française à l’égard de l’Algérie est en train de changer, et pas forcément dans le sens d’un rapprochement.

La Politique Migratoire : Un Bras de Fer Inévitable ?

L’immigration est un autre point de tension majeur entre Paris et Alger. Depuis plusieurs années, la France reproche à l’Algérie de ne pas coopérer suffisamment pour le rapatriement des clandestins algériens. Cette question, déjà épineuse, risque de devenir un véritable bras de fer avec la montée en puissance de figures politiques comme Retailleau, qui prônent une ligne dure sur l’immigration.

L’Algérie, de son côté, perçoit ces pressions comme une ingérence dans ses affaires internes et un manque de respect pour la souveraineté nationale. Le risque est de voir les relations se dégrader encore davantage, avec des répercussions sur d’autres aspects de la coopération bilatérale, notamment économique.

Une Politique Maghrébine Française sous Influence

Le Maroc, Nouveau Pilier de la Stratégie Française en Afrique ?

Au-delà des enjeux de politique intérieure, la réorientation de la politique française en faveur du Maroc semble également répondre à des considérations géopolitiques plus larges. Face à une influence déclinante en Afrique, notamment dans la région du Sahel, la France cherche à renforcer ses alliances dans le Maghreb. Dans cette perspective, le Maroc apparaît comme un partenaire stratégique clé, soutenu par des puissances comme les Émirats arabes unis.

Pour Paris, l’enjeu dépasse largement la question du Sahara occidental. Le rapprochement avec Rabat pourrait être une tentative de la France de reprendre pied en Afrique, en s’appuyant sur des partenaires considérés comme plus fiables. Cette stratégie, cependant, ne fait qu’exacerber les tensions avec l’Algérie, pour qui le Sahara occidental représente une ligne rouge infranchissable.

L’Économie : Un Autre Terrain de Discorde

Les relations économiques entre la France et l’Algérie sont également mises à mal par ces tensions politiques. Les contentieux s’accumulent, notamment autour de la question du retour des constructeurs automobiles français en Algérie. Alors que le groupe Stellantis, propriétaire de Peugeot et Citroën, semble bénéficier de la réouverture du marché algérien des véhicules, d’autres acteurs comme Renault peinent à reprendre pied dans le pays. Cette situation alimente les critiques de la part de Paris, qui accuse Alger de favoriser certains partenaires au détriment des entreprises françaises.

Un autre point de friction est la perte du marché algérien des céréales, traditionnellement dominé par la France. L’Algérie, en diversifiant ses sources d’approvisionnement, a réduit sa dépendance vis-à-vis des exportations françaises, ce qui n’est pas sans susciter des tensions. Ces différends économiques viennent s’ajouter aux désaccords politiques, rendant la relation bilatérale encore plus complexe.

Le Dossier Mémoriel : Dernier Bastion du Rapprochement ?

La Mémoire, Une Arène de Confrontation

Le dossier mémoriel reste l’un des rares domaines où Emmanuel Macron tente de maintenir un dialogue avec l’Algérie. Lors d’une récente réunion avec la commission mixte d’historiens, le président français a réitéré son engagement en faveur d’un travail de « mémoire, de vérité et de réconciliation » sur le passé colonial de la France en Algérie. Mais ce geste, aussi symbolique soit-il, semble de plus en plus isolé dans un contexte de détérioration générale des relations.

Le timing de cette réunion n’est pas anodin. Elle survient peu après la nomination de Retailleau au ministère de l’Intérieur, un homme connu pour son opposition farouche à toute concession à l’Algérie sur la question mémorielle. Cette dualité dans l’approche française reflète un déséquilibre au sein du gouvernement, tiraillé entre la volonté de Macron de poursuivre le dialogue et les pressions de son propre camp politique.

Une Mémoire à Double Tranchant

Pour l’Algérie, la question mémorielle est centrale. Le passé colonial, marqué par des violences et des injustices profondes, continue de hanter les relations entre les deux pays. Les gestes de Macron, aussi bienvenus soient-ils, sont perçus avec méfiance à Alger, où l’on craint que ces initiatives ne soient que des manœuvres pour masquer d’autres intentions moins louables.

La mémoire est ainsi devenue une arène de confrontation, où chaque camp tente de faire valoir sa vision de l’histoire. Pour Paris, poursuivre ce travail mémoriel pourrait être une manière de sauver ce qui reste de la relation avec Alger. Mais avec un gouvernement de plus en plus influencé par des courants politiques hostiles à cette réconciliation, les marges de manœuvre de Macron semblent se réduire de jour en jour.

L’Avenir de la Relation : Vers une Rupture Inévitable ?

Les Signes Avant-Coureurs d’une Rupture

La situation actuelle laisse peu de place à l’optimisme. Entre les tensions politiques, les désaccords économiques et les divergences mémorielles, la relation entre l’Algérie et la France semble au bord de la rupture. Le retrait de l’ambassadeur algérien à Paris, combiné aux signaux négatifs envoyés par la France, pourrait être le prélude à une dégradation encore plus profonde des relations.

L’Algérie se prépare d’ailleurs à cette éventualité. Le scénario d’une France dirigée par l’extrême-droite en 2027, avec un discours encore plus dur à l’égard de l’Algérie, n’est plus considéré comme une simple hypothèse, mais comme une possibilité réelle. Dans ce contexte, Alger pourrait être amenée à repenser complètement sa politique vis-à-vis de la France, voire à envisager une rupture définitive si les tensions venaient à s’exacerber.

Quels Scénarios pour l’Avenir ?

Face à ces incertitudes, plusieurs scénarios peuvent être envisagés. Le premier, et le plus probable, est celui d’une dégradation progressive des relations, avec une coopération réduite au minimum et des tensions récurrentes sur des dossiers sensibles comme l’immigration ou la politique maghrébine. Dans ce scénario, les deux pays continueraient à entretenir des relations diplomatiques, mais sans véritable profondeur ni ambition commune.

Un deuxième scénario, plus alarmant, est celui d’une rupture complète, avec la fermeture des ambassades, la suspension des accords bilatéraux et un isolement mutuel sur la scène internationale. Ce scénario, bien que moins probable, ne peut être exclu si les tensions actuelles devaient dégénérer.

Enfin, un troisième scénario, plus optimiste, serait celui d’un sursaut diplomatique, où les deux pays décideraient de mettre de côté leurs différends pour se concentrer sur les enjeux communs. Ce scénario supposerait un changement de cap à Paris, avec une politique moins influencée par les considérations intérieures et plus ouverte au dialogue avec Alger.

Conclusion : Une Relation à Réinventer

La relation entre l’Algérie et la France est à un tournant décisif. Après des années de tensions et de malentendus, les deux pays doivent maintenant décider de la direction à suivre. Pour l’Algérie, il s’agit de défendre ses intérêts tout en gardant la porte ouverte à un dialogue constructif. Pour la France, il est temps de clarifier ses intentions et de choisir entre une politique de confrontation ou de coopération.

Dans ce contexte, le rôle des dirigeants des deux pays sera crucial. Abdelmadjid Tebboune et Emmanuel Macron, malgré leurs divergences, ont encore la possibilité de redéfinir les bases d’une relation bilatérale apaisée. Mais pour cela, il faudra des actes forts, des gestes de bonne volonté et, surtout, la volonté de tourner la page des malentendus pour construire un avenir commun.