Algérie : l’enfer bureaucratique

Redaction

C’était une promesse du gouvernement : Réussir « le processus de réforme et l’amélioration du service public». Plusieurs mois après cet engagement, des documents administratifs ont été supprimés, mais le piston, le népotisme et le favoritisme n’ont pas été éradiqués. La mentalité de l’administration publique algérienne n’a pas changé.  Reportage.

« Mon fils a 26 ans. Il est étudiant. Pour renouveler son dossier de bourse,  on lui a demandé les extraits de rôles de son père et de sa mère. Pour moi, ce n’est pas normal, mais c’est une réalité. »,  tempête   Abelwahab Benssedik, un commerçant de M’sila. Et pour conclure, il se demande : « Je ne sais si vraiment on lui demandera encore ces documents lorsqu’il aura trente ans ».

La folie de l’administration algérienne

En ce mois de  septembre, les trois écrivains publics qui activent à côté de la porte de la mairie de Boufarik sont complètement dépassés. Les citoyens qui les sollicitent pour le remplissage d’un formulaire ou pour la rédaction d’une demande doivent faire la queue. Tant que la paperasse marche, ça travaille, pour ces écrivains. Ici, nous avons rencontré Zoubir, un retraité d’une entreprise publique. Il vient  de quitter les guichets  d’état civils.  Fatigué, il ne retient plus sa colère. « Moi, je n’ai jamais vu une haute autorité faire la queue pour acheter du pain. En Algérie on n’a jamais  réglé les problèmes. Ça n’a pas changé et ça ne changera jamais », lance-t-il. Un autre citoyen ne comprend pas pourquoi on lui demande, à l’école,  à chaque rentrée scolaire, les extraits de naissance de ses enfants.  Aujourd’hui, il    délivre un extrait d’un acte  de naissance pour son  enfant qui redouble sa troisième année secondaire. « Je ne sais pas pourquoi, à chaque  rentrée scolaire, on nous demande un extrait d’acte de naissance des enfants. Chaque enfant a pourtant un dossier scolaire  qui l’accompagne de la première année primaire jusqu’au lycée. », s’interroge-t-il.

Aux services fiscaux de  Boufarik, pour se faire établir un extrait des rôles, l’administré doit présenter  un extrait d’acte de naissance n°12, une photocopie d’une pièce d’identité légalisée et un certificat de résidence. Alors que dans d’autres régions du pays, pour la délivrance d’un extrait des rôles, l’administration fiscale ne demande qu’une photocopie de la pièce d’identité de l’intéressé seulement. Etrangement, à la daïra de Birtouta, pour la délivrance d’un passeport on exige des administrés travaillant  chez un privé la  légalisation à la mairie de la copie originale du certificat de travail. Dans cette même daïra, par excès de zèle ou par incompétence,  pour le renouvellement d’un passeport, si on a changé l’activité, l’administration nous exige un justificatif de la  radiation de précédente fonction  indiquée dans le  passeport à renouveler. Cette mesure touche les personnes exerçant des professions libérales. Autre incongruité : si on est retraité et qu’on ne bénéficie pas d’une pension, l’administration oblige à présenter une attestation de non activité pour la constitution d’un passeport ! Même la photo pose problème. Récemment, dans une  daïra de la wilaya d’Alger, une femme  n’a pu récupérer sa carte d’identité nationale. En cause : cette dame portait un foulard, contrairement aux  photos prises pour sa pièce d’identité… L’époux a même du intervenir pour régler le problème.

Mohamed, la vingtaine, nous raconte son désarroi. Las de travailler comme serveur dans un café maure de son patelin, il pense à s’engager dans la protection civile. Mais il ne veut pas déposer son dossier administratif car il n’a plus confiance en l’administration locale de cet organisme.  «  Je cherche une connaissance pour déposer mon dossier à la direction générale de la protection civile. D’après ce que j’ai entendu dire, à la direction de M’sila, on n’envoie à Alger qu’une dizaine de dossiers. Le reste des dossiers ira à la poubelle. », rapporte-t-il .

Le cas de Mohamed évoque ce document appelé  « accusé de réception ». Il est très rare que l’administration publique remette un accusé de réception, une fois un dossier, une requête ou autre demande déposés. Allez demander au procureur de la république ou aux services de  la police judiciaire un accusé de réception d’une plainte que vous avez déposé !

 Une bureaucratie qui vise à immobiliser les citoyens

Par une simple lettre postée à l’agence postale du  douar le  plus reculé d’Algérie, un retraité du régime français peut entamer les démarches administratives  pour bénéficier de sa pension de retraite. Sa caisse de retraite, en France,  lui accuse  réception,  lui fournit le nom et la ligne téléphonique de son correspondant. Elle l’aide à effectuer les recherches pour compléter son relevé de carrière. C’est ainsi qu’il  finit par  bénéficier de sa pension de retraite.  En Algérie, c’est la course, c’est la queue. L’administration publique fait subir aux algériens le supplice des déplacements  et leur fait perdre beaucoup de temps … Et lorsqu’on opte pour le courrier, la réponse ne vient jamais. Pourtant, ce ne sont ni les  moyens humains ni les  moyens matériels qui manquent. La bureaucratie vise à immobiliser le citoyen. «  On nous demande les documents pour nous ligoter. », estime un jeune qui vient de se faire délivrer un certificat de résidence pour un dossier d’emploi qu’il compte déposer au niveau de l’ entreprise turque chargée de réaliser une ligne ferroviaire entre Birtouta et Zéralda. Une entreprise étrangère qui demande un certificat de résidence ?  « Je trouve ça  normal du moment que l’administration de cette entreprise  est gérée par des Algériens. », répond-il. Et à son compagnon de commenter : « On naît avec un document, on meurt avec un autre. ».

Djemai. B