« L’Algérie c’est pire que l’Egypte », s’indigne Idriss Mekkideche, membre du Comité des pré-emplois, affilié au Syndicat national autonome des personnels de l’administation publique (SNAPAP). Réuni dans les locaux d’Amnesty International, le Collectif des familles de disparus en Algérie (CFDA) présentait jeudi son rapport sur les droits humains intitulé « Le régime algérien à l’épreuve des droits de l’Homme. L’illusion du changement ».
Ce bilan critique couvrant la période 2011-2013, revient sur des questions centrales comme l’accès à la santé, l’emploi, les droits civiques, mais aussi sur l’évolution de la justice.
Les intervenants et membres du CFDA, ont dénoncé la double illusion qui frappe l’Algérie d’aujourd’hui et qui fausse la perception de ceux qui la regardent de loin. Le premier mirage, cultivé par le régime d’Abdelaziz Bouteflika, est celui d’un pays qui aurait déjà fait sa révolution en 2011 à coups de « réformes démocratiques ».
La deuxième idée reçue est celle d’un peuple endormi, dont la protestation serait atone. Loin d’être silencieuse, l’indignation des Algériens s’appuie sur une contestation dynamique volontairement pacifique: raison pour laquelle les observateurs ont tendance à la négliger dans le vacarme des révolutions arabes.
« L’Algérie est en régression »
En levant l’état d’urgence en février 2011, les autorités algériennes ont voulu donner l’impression d’avoir laissé derrière elles les sombres années de violence de la « décennie noire ». Mais la marche vers la modernité et l’Etat de droit n’était pas pour autant entamée. Pour Mouloud Boumghar, professeur de droit international et membre du CFDA, cette levée est plus formelle qu’effective. Car comme l’indique le rapport , la levée du décret n’a mené à aucune amélioration dans l’exercice des libertés de réunion et de manifestation. Les manifestations sont toujours interdites sur la voie publique.
« L’Algérie est en régression », explique le professeur de droit. Le meilleur exemple est l’évolution de la liberté d’association depuis la mise en place, en janvier 2012 de réformes « pour le changement démocratique ». Le rapport explique comment l’arrivée de ces nouvelles lois a fait basculer l’Algérie dans un régime non plus de « déclaration » mais d’ « autorisation ». Ainsi, pour être validée, une association doit s’engager à ne pas s’occuper des affaires internes du pays sous peine d’être dissoute. C’est le cas du CFDA.
Par ailleurs, toute appartenance, ou soutien, à une association non autorisée est punie par la loi. Ce « délit de solidarité » a valu au militant des droits de l’Homme, Abdelkader Kherba, une condamnation en mai dernier à 6 mois avec sursis et 20 000 dinars d’amende (soit plus d’un smic en Algérie) pour appartenance à une association non autorisée.
Tombées dans la clandestinité malgré eux, les associations sont victimes de menaces au quotidien. D’après Nassera Dutour, porte-parole du CFDA, la police a arrêté en pleine journée devant chez lui, un jeune militant qui fréquentait le bureau du collectif à Alger. « Quelques jours après son arrestation un garde de la sécurité est venu me voir et m’a dit: ‘Alors il vient toujours chez vous ou il a compris la leçon?’ «
Mais la contestation ne faiblit pas
« Il ya une banalisation des arrestations, mais nous ne renonçons pas à notre droit de manifester. Il y a encore quelques jours, nous avons été tabassés par la police alors que nous manifestions pacifiquement », témoigne Idriss Mekkideche, qui a participé à plusieurs manifestations de travailleurs précaires. En plus d’être systématiquement arrêtés, les participants sont victimes d’intimidation via des politiques de fichages: « on nous traite de ‘collaborateurs’. On se sent surveillés dans notre travail, chez nous, partout. Les autorités n’hésitent plus à s’immiscer dans la vie syndicale et encouragent les employés à ne pas choisir de syndicats indépendants », explique-t-il. Mais ces obstacles ne les ont pas fait faiblir. Cette semaine encore, des militants se sont donnés rendez-vous devant le siège présidence de la république et devant la Grande Poste.
Un rassemblement pacifique des contractuels du pré-emplois
Le pouls de l’indignation algérienne ne cesse donc pas de battre. « Non seulement cette indignation est bien présente mais la contestation et l’action aussi », s’exclame Mouloud Boumghar. Moins spectaculaire que la révolte égyptienne ou tunisienne, la force de la contestation algérienne réside dans sa dynamique non-violente, « le régime a peur des combats pacifiques, car il n’a plus l’excuse du risque de la violence sociale et du terrorisme. Il ne peut plus jouer avec la peur des gens. »
Lu sur L’Express