Algérie : le surcoût pour la réalisation de l’autoroute Est-Ouest est-il crédible ?

Redaction

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Le Ministre des travaux publics a affirmé le 22 décembre 2011 que le coût de la route Est/Ouest, réalisé à 90%, n’a pas subi de réévaluation et s’inscrit dans les normes internationales. Selon le Ministre, le coût du km, sans tenir compte de l’entretien, atteindrait 27 millions d’euros le km en Italie, 15 millions en France et 14 millions aux USA. Ces données globales présentées sans mentionner des cas précis sont-elles crédibles ?

Ayant accès au dossier technique et financier de cet important projet, je n’ai pas attendu ces affirmations où depuis plus de trois années, j’ai attiré l’attention des pouvoirs publics et ce bien avant les scandales financiers pour avoir estimé le coût prévisionnel de la route Est Ouest à plus de 11 milliards de dollars sans les annexes, à plus de 13 milliards de dollars avec les annexes, sans compter les coûts d’entretien, montrant d’importantes réévaluations par rapport au coût initial estimé à 7 milliards de dollars. Cela montre la non maîtrise de la gestion de la dépense publique. Qu’en sera-t-il du nouveau programme des travaux publics alloué de l’ordre de 3100 milliards de dinars ( 41 milliards de dollars) au titre du plan sectoriel quinquennal 2010-2014 devant distinguer la part devises et la part dinars et surtout le coût par rapport aux normes internationales ?

Le coût de la route Est-Ouest en décembre 2011

Tout projet doit montrer clairement la hiérarchie des objectifs, les résultats escomptés par secteurs, ainsi que la portée, les indicateurs performance, les indicateurs des objectifs et des échéanciers précis et enfin l’hypothèse de risques. Or les responsables de ce projet s’en tiennent vaguement au descriptif technique qui est le suivant : linéaire – 1216 Km, profil en travers – 2×3 voies, vitesse de base – 100 à 120 Km/h, nombre d’échangeurs – 60 échangeurs environ (avec option de péage), 24 Wilayas desservies, équipements- aires de repos, stations service, relais routiers et centres d’entretien et d’exploitation de l’autoroute. L’autoroute Est-Ouest ne modifiera pas le paysage routier national puisqu’elle va pour l’essentiel suivre le tracé des nationales 4 et 5, qui rallient Alger à Oran et Alger à Constantine. En revanche, elle risque de bouleverser la vie économique des 19 wilayas directement traversées et des 24 desservies. Dans un pays où 85% des échanges commerciaux s’effectuent par la route, l’impact risque de se faire sentir rapidement. Onze tunnels devaient être percés sur deux fois trois voies et 390 ouvrages d’art réalisés, dont 25 viaducs, pour joindre les frontières tunisiennes, à l’est, et marocaine, à l’ouest, et réaliser l’autoroute trans-maghrébine. Deux groupements chinois et japonais ont remporté le marché de l’autoroute Est-Ouest algérienne, le plus grand chantier de l’histoire du pays sur 1216 Km de bitumes. Le groupement CITIC-CRCC chinois avait des contrats de 5,2 milliards de dollars signés au printemps 2006 pour la réalisation des tronçons Ouest (399 km) et centre (169 km). Mais a été exigée par la suite une rallonge de 650 millions de dollars. Le groupement chinois a en effet proposé en mars 2007 une autre solution pour la chaussée que celle prévue par le cahier des charges. Il s’agit du « bitume modifié », largement utilisé dans les pays développés. Alors que selon certains experts, dans les cas les plus limites « le recours à l’enrobé à module élevé provoque 10 à 15% de coûts supplémentaires ». Ainsi, le coût de réalisation de cet important projet autoroutier est estimé officiellement à plus de 11 milliards de dollars en décembre sans les annexes, établi suite à une analyse technique et financière réalisée par un bureau d’études canadien qui accompagne l’ANA, ayant été approuvé par la commission nationale des marchés publics. Le coût du kilomètre provisoire serait ainsi estimé à 9,95 millions d’euros le km », sous réserve que n’existent pas d’autres réévaluations. Selon certains experts, l’autoroute Est-Ouest devrait coûter entre 13,5 milliards et 15 milliards de dollars avec toutes les annexes contre une prévision initiale d’environ 7 milliards de dollars. En effet, à ce montant il faudra ajouter les équipements annexes dont le programme d’équipement n’a reçu son budget qu’en 2010. Et ce suite à de nombreux observateurs, en sus des automobilistes, qui s’étonnaient de voir un tel mégaprojet livré parcimonieusement et de surcroît dépourvu d’équipements annexes comme les aires de repos, les stations-service et les stations de péage. Le programme d’équipement consiste en la réalisation de 42 stations-service, 76 aires de repos (motels, aires de stationnement, aires de jeux…), 57 gares de péage, 70 échangeurs et 22 postes de garde de la gendarmerie et autant de points de garde de la Protection civile.

Comparaisons internationales

On oublie souvent qu’une route s’entretient et selon les normes internationales, cela varie entre 70.000 euros à 100.000 euros par an et par km. Cela pose le problème du coût du péage qui selon les responsables du Ministère des Travaux publics 80% seront assumés par les poids lourds. Mais il ne faut jamais oublier l’entretien aussitôt la route achevé qui varie selon les normes internationales entre 70.000 euros à 100.000 euros par an et par km. Pour les comparaisons internationales, existe des variations selon qu’il y ait contrainte ou pas tournant autour d’une moyenne de 5 à 8 millions d’euros par km. Le rapport officiel de la documentation française pour 2006/2007 sur une route à deux voies donne une moyenne de 5,4 millions d’euros au km hors taxes. Cela n’étant qu’une moyenne car en affinant l’on constate selon les régions, une moyenne fluctuant entre 3,6 et 6 millions d’euros hors taxes dans un environnement non contraint et une moyenne fluctuant entre 4,9 et 7,6 dans un environnement contraignant. Pour l’Europe existe selon une intéressante l’étude de la direction des routes danoises (2006) d’importantes disparités en moyenne générale selon les contraints et non contraints. Ainsi, l’Espagne, le Portugal, le Danemark, la Suède le coût au kilomètre est de 2/3 millions d’euros construit, la France et l’Allemagne se situant dans une fourchette intermédiaire 4/6 millions d’euros pour le km (selon le contraint ou le nom contraint en fonction ou pas des ouvrages d’art). Prenons trois exemples pour le Maroc. La récente mise en service de l’autoroute Casablanca-El Jadid d’une longueur de 81 km avec un coût global de 1.760 millions de DH hors taxes,(173 millions d’euros ) donc 2, 1 millions d’euros le km a été financé à hauteur de 1.600 millions de DH par des emprunts octroyés par la Banque Européenne d’Investissement (BEI), le Fonds Koweïtien pour le Développement économique arabe (FKDEA) et le Fonds arabe pour le développement économique et social (FADES). Quant à l’autoroute, Marrakech Agadir le coût a été d’environ 5000 environ dirhams pour 233 km soit 2,3 millions d’euros par km. Pour l’autoroute du Maghreb Fes-Oujda longue d’une longueur de 328km, avec certainement un perspective de jonction avec l’autoroute algérienne Ouest-Est, est d’un coût prévisionnel d’environ 6000 millions de dh (640 millions d’euros) soit 1,9 millions d’euros le km. Aussi, pour des comparaisons fiables, il faut éviter des comparaisons hasardeuses.

En Algérie, tous les facteurs sont favorables. La main d’œuvre est au moins 10 fois moins chère qu’en Europe ; il n’y a relativement presque pas d’intempéries ; les matériaux utilisés en grande quantité, les agrégats (tuf, sables et graviers) ne coûtent pratiquement que leurs frais d’extraction et le concassage, le carburant est 5 à 7 fois moins cher, les loyers, l’électricité et le gaz aussi, les occupations temporaires de terrains qui coûtent des fortunes en Europe ne sont même pas payantes en Algérie lorsqu’il s’agit de terrains relevant du domaine public. Mais il y a des problèmes administratifs et des de procédures bureaucratiques sans compter les expropriations et les démolitions qui sont sources de surcoûts.

La maîtrise de la dépense publique suppose un contrôle démocratique

Le guide de management des grands projets d’infrastructures économiques et sociales élaboré par la Caisse nationale d’équipement pour le développement (CNED) et la soumission de toute réévaluation des projets au delà de 15%, à l’aval du Conseil des ministres, contribuera –il –affiner l’action des pouvoirs publics en matière d’efficience des dépenses publiques ? Mais qu’en sera-t-il sur le terrain car ces orientation et textes le sont en intentions, les pratiques contredisant souvent les textes juridiques si louables soient- ils. Un contrôle doit être global : il doit concerner en plus du contrôle routinier des services de sécurité, l’ensemble de la société supposant un Etat de droit la réhabilitation du contrôle de la société civile, du parlement, de la cour des comptes, institution dépendante de la présidence de la République car l’inspection générale des finances dépendant du Ministre des Finances ayant un impact limité car relevant de l’exécutif. Sans une gouvernance rénovée, une visibilité et cohérence de la politique socio-économique supposant l’intégration de la sphère informelle produit du dysfonctionnement des appareils de l’Etat, produisant la corruption, le contrôle budgétaire sera un vœu pieux avec un impact limité.

Pourquoi donc le coût de la route Est/ouest dépassera 11 millions d’euros sans les annexes, avec les annexes 13 millions d’euros le km, alors que la norme internationale d’une autoroute fluctue entre 5 et 7 millions d’euros et au maximum 8/9 millions d’euros avec les annexes et même moins pour des pays voisins au niveau du Maghreb et pour certains pays d’Afrique ? Le problème est posé et ces surcoûts exorbitants ne concernent pas seulement la route Est-Ouest, mais la majorité, avec de rares exceptions, des projets sectoriels (habitat, transport, industrie, énergie – prestations de services etc.). Cela pose la problématique d’un véritable contrôle démocratique loin du juridisme et des contrôles techniques. Et la facilité devant les problèmes est de se réfugier derrière des lois (l’Algérie a les meilleures lois du monde mais rarement appliquées) ou des aspects techniques qui en fait produisent du fait de la gouvernance mitigée et du pouvoir bureaucratique inefficient l’effet contraire. Jamais depuis l’indépendance politique la corruption n’a atteint une telle ampleur où nous assistons à un Etat riche (plus de 180 milliards de dollars de réserves de change en septembre 2011 grâce aux hydrocarbures et non à l’intelligence) mais une population dans sa majorité de plus en plus pauvre avec une inégalité entre couches sociales de plus en plus criardes. Or, prenant en compte des performances de l’éducation, de la santé, de la qualité de vie, le dynamisme économique et l’environnement politique, le grand hebdomadaire financier américain Newsweek très influent dans les milieux d’affaires avec l’appui d’éminents experts internationaux dont le prix Nobel et professeur à Columbia University Joseph E. Stiglitz, McKinsey & Co, le directeur du Bureau Byron Auguste, le directeur fondateur de l’Institut de l’Université McGill pour la santé et la politique sociale et le professeur à l’université Geng Xiao, directeur de la Colombie-Global Centre Asie de l’Est ,dans une enquête fouillée , vient de classer fin 2011 l’Algérie à la 85ème position sur un échantillon de 100 pays. Ce rapport montre clairement un déphasage entre le discours officiel algérien et la réalité, considérant que l’Algérie risque à terme de se vider de ses cerveaux, de sa substance essentielle, un pays sans son élite étant considéré comme un corps qui se vide de son sang.

Professeur Abderrahmane MEBTOUL

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