Les violences politiques ont persisté dans tout le pays, faisant au moins 491 morts, un nombre plus élevé qu’en 2006. Beaucoup de victimes ont été tuées à la suite d’attentats à l’explosif qui ont été revendiqués par un groupe se faisant appeler l’Organisation d’Al Qaïda au Maghreb islamique. Des personnes soupçonnées de participation à des activités terroristes ont été retenues dans des lieux de détention secrets et sans contact avec le monde extérieur. Elles risquaient d’être soumises à la torture et aux mauvais traitements. Plusieurs personnes soupçonnées de terrorisme et qui avaient été renvoyées en Algérie par des gouvernements étrangers ont été condamnées à des peines d’emprisonnement à l’issue de procès qui ne respectaient pas les normes internationales d’équité. Des défenseurs des droits humains et des journalistes ont été harcelés. Le gouvernement a pris des initiatives encourageantes en vue de protéger les femmes contre les violences et d’abolir la peine de mort. Rien n’a été fait, en revanche, pour mettre un terme à l’impunité dont bénéficient les membres des groupes armés et des forces de sécurité responsables d’atteintes flagrantes aux droits humains commises dans le cadre du conflit interne des années 1990.
Contexte
Le faible taux de participation aux élections législatives qui ont eu lieu en mai traduisait, semble-t-il, le manque de confiance de la population dans l’efficacité des autorités à régler les problèmes de la sécurité, du chômage, du manque de logements et de la pénurie d’eau, entre autres. Le mécontentement était exacerbé par les problèmes de corruption, les revenus provenant des exportations croissantes de pétrole et de gaz ne bénéficiant pas à l’ensemble de la population. Le flux de migrants en partance pour l’Europe n’a pas cessé.En novembre, le Comité des droits de l’homme [ONU] a recommandé au gouvernement de prendre des mesures pour agir sur les problèmes persistants de l’impunité, de la détention secrète, du recours à la torture, de la discrimination à l’égard des femmes et des restrictions à la liberté d’expression.
Homicides à caractère politique
Principal groupe islamiste armé en Algérie, l’Organisation d’Al Qaïda au Maghreb islamique, connue auparavant sous le nom de Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), a mené des attaques contre des cibles civiles et militaires. L’organisation a revendiqué les attentats à l’explosif perpétrés à Alger en avril et en décembre ainsi que ceux commis à Batna et Delles en septembre, qui ont fait au total au moins 130 morts – civils pour la plupart – et plusieurs centaines de blessés. En septembre, les autorités ont annoncé que Hassan Hattab, premier chef du GSPC, s’était rendu.Les forces gouvernementales ont tué des dizaines de membres présumés des groupes armés au cours d’opérations de ratissage et d’affrontements. Peu de détails étaient disponibles, mais on craignait que certains de ces homicides ne soient des exécutions extrajudiciaires.
Violations des droits humains dans le cadre de la lutte contre le terrorisme
Détention secrète
Le Département du renseignement et de la sécurité (DRS), service de renseignement militaire, continuait de détenir des personnes soupçonnées d’actes de terrorisme. Incarcérés sans contact avec le monde extérieur dans des lieux de détention secrets, le plus souvent des casernes de l’armée, ces prisonniers risquaient d’être torturés ou maltraités.Parmi eux figuraient plusieurs Algériens renvoyés dans leur pays par des gouvernements étrangers.
• Mohamed Rahmouni a été arrêté le 18 juillet par des membres des forces de sécurité à proximité de son domicile, à Bourouba, un quartier d’Alger. La famille de cet homme s’est enquise de son lieu de détention. Un mois après l’interpellation, sa mère a été convoquée au bureau de la police judiciaire de Bourouba, où on lui a indiqué que son fils était détenu par le DRS et qu’il était bien traité. Toutefois, à la fin de l’année, on ignorait le lieu de détention de Mohamed Rahmouni ainsi que les charges éventuellement retenues à son encontre. Ses proches n’étaient par ailleurs toujours pas autorisés à lui rendre visite.
• Deux hommes (l’un désigné par l’initiale « K » en raison de restrictions légales et l’autre s’appelant Reda Dendani) ont été arrêtés respectivement le 20 et le 24 janvier par des agents du DRS à leur arrivée à Alger. Ils venaient d’être renvoyés dans leur pays par les autorités britanniques au motif qu’ils représentaient une menace pour la sécurité du Royaume-Uni. « K » a été libéré sans inculpation le 4 février après avoir été retenu sans possibilité de consulter un avocat au-delà de la durée maximale de douze jours. Détenu par le DRS jusqu’au 5 février, Reda Dandani a ensuite été transféré en prison dans l’attente de son procès (voir plus loin). Les deux hommes ont été gardés dans un lieu tenu secret, probablement une caserne de l’armée à Alger ; ils n’ont pas été autorisés à rencontrer leurs proches.
Procès inéquitables
Les personnes soupçonnées d’actes de terrorisme étaient jugées dans le cadre de procès ne respectant pas les normes d’équité. Dans certains cas, les détenus n’étaient pas assistés d’un avocat lors de leur première comparution devant un juge. Des prisonniers ont affirmé qu’ils n’avaient pas dénoncé les actes de torture ou les mauvais traitements qui leur avaient été infligés par des agents du DRS par peur de représailles. Quoi qu’il en soit, les autorités judiciaires n’ont ordonné aucune enquête sur les allégations de torture et de mauvais traitements formulées par les détenus, même lorsque des « aveux » qui auraient été obtenus sous la torture ou la contrainte étaient retenus à titre de preuve lors de leur procès.
• Un homme désigné par l’initiale « H » et qui avait été renvoyé en Algérie par les autorités britanniques a été condamné, le 10 novembre, à trois ans d’emprisonnement pour « appartenance à un groupe terroriste opérant à l’étranger ». Au cours de son procès, il a affirmé que des agents du DRS l’avaient torturé et qu’ils l’avaient contraint à signer une déclaration dont il n’avait pas été autorisé à prendre connaissance avant d’être présenté aux autorités judiciaires. Le tribunal a retenu cette déclaration à titre de preuve à charge, sans ordonner une enquête sur les allégations formulées par « H ». Celui-ci a également affirmé que l’ambassade d’Algérie à Londres lui avait donné l’assurance qu’il bénéficierait des mesures d’amnistie promulguées en 2006 en cas de renvoi en Algérie, mais le tribunal n’en a pas tenu compte.
• Reda Dendani a été condamné en novembre à huit ans d’emprisonnement pour « appartenance à un groupe terroriste opérant à l’étranger ». Il a affirmé au cours de son procès que des agents du DRS l’avaient battu quand il avait voulu lire une déclaration qu’ils avaient préparée et qu’ils lui demandaient de signer. Il a ajouté qu’il n’en avait pas parlé lors de sa première comparution devant un juge, car les membres du DRS l’avaient menacé. Le tribunal n’a mené aucune enquête sur ces allégations.
Impunité
Le gouvernement n’a pris aucune mesure pour tenter de remédier aux atteintes flagrantes et massives aux droits humains commises par les groupes armés et les forces de sécurité lors du conflit interne des années 1990, au cours duquel près de 200 000 personnes ont été tuées.En novembre, le Comité des droits de l’homme [ONU] a demandé au gouvernement de modifier les articles 45 et 46 de l’Ordonnance n° 06-01 portant mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale. Entré en vigueur en 2006, ce texte accorde l’impunité aux forces de sécurité et rend passible de poursuites toute critique du comportement de celles-ci.
Disparitions forcées
L’Algérie a signé, le 6 février, la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, mais aucune initiative n’a été prise pour élucider le sort de milliers de personnes disparues. Par ailleurs, l’Ordonnance n° 06-01 est restée en vigueur ; elle prévoit l’indemnisation des familles des disparus après la délivrance par les autorités d’une notification écrite de la mort de leurs proches. Des familles ont affirmé que les autorités avaient fait pression sur elles pour qu’elles sollicitent ce document. D’autres ont refusé de le faire car elles craignaient que cette démarche n’exclue définitivement toute possibilité d’investigation. Les autorités ont déclaré au Comité des droits de l’homme qu’elles avaient retenu 6 233 demandes d’indemnisation et classé quelque 17 000 cas dans la catégorie des « terroristes tués » ; elles n’ont toutefois fourni aucun détail sur les disparus dont il s’agissait. Des familles ont reçu des notifications de décès indiquant que leurs proches disparus avaient été tués parce qu’ils étaient membres de groupes armés. On ignorait le nombre de familles indemnisées.
• Aucun progrès n’a été accompli dans le cas de Salah Saker, un enseignant disparu après son arrestation en 1994 par des agents de l’État. Le Comité des droits de l’homme avait pourtant réclamé, en 2006, l’ouverture immédiate d’une enquête sur le sort de cet homme.
• En juillet, le Comité des droits de l’homme a rendu ses conclusions sur les cas de Mohamed Grioua et de Mourad Kimouche, disparus après leur arrestation par des agents de l’État en 1996. Le Comité, qui a conclu que l’État n’avait pas protégé la vie et les droits de ces deux hommes, a réclamé l’ouverture d’une enquête approfondie permettant la comparution en justice des responsables présumés.
Liberté d’expression
Des défenseurs des droits humains et des journalistes ont été harcelés par les autorités.Un certain nombre d’entre eux ont fait l’objet de poursuites et ont été menacés d’emprisonnement pour diffamation. Ces manœuvres visaient selon toute apparence à les dissuader de critiquer la politique gouvernementale et les agents de l’État, ou à les punir pour l’avoir fait. Bien que le Comité des droits de l’homme ait demandé aux autorités algériennes de modifier la législation et de dépénaliser la diffamation, aucune mesure n’a été prise dans ce sens.
• Amine Sidhoum, un avocat défenseur des droits humains, a été inculpé de diffamation en raison de propos qui lui avaient été attribués dans un article paru en 2004 dans la presse. L’auteur de l’article a lui aussi été inculpé, à la fin du mois d’octobre. Le procès des deux hommes, qui devait s’ouvrir en novembre, a été ajourné à janvier 2008. En mars, Amine Sidhoum et sa consœur Hassiba Boumerdessi, elle aussi spécialisée dans la défense des droits humains, ont été relaxés dans une autre affaire : ils étaient poursuivis pour avoir remis des objets à des clients détenus sans en avoir obtenu l’autorisation.
• Mohamed Smaïn, président de la section de Relizane de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme (LADDH), a été déclaré coupable, le 27 octobre, de « dénonciation de crimes imaginaires ».Il avait affirmé que les corps d’une vingtaine de personnes ayant « disparu » après avoir été capturées par des milices locales armées par l’État avaient été enterrés dans une fosse commune située à Sidi Mohamed Benaouda. Mohamed Smaïn a été condamné à deux mois d’emprisonnement assortis d’une peine d’amende et de dommages et intérêts. Le tribunal, qui l’avait déclaré coupable en 2002, le rejugeait à la suite d’une décision de la Cour suprême. Mohamed Smaïn a de nouveau interjeté appel ; il était maintenu en liberté à la fin de l’année.
• Hafnaoui Ghoul, un journaliste défenseur des droits humains et membre de la section de Djelfa de la LADDH, a été avisé, en septembre, que le commandant de la brigade de gendarmerie de Djelfa l’avait inculpé de diffamation et qu’il devait se présenter une fois par semaine à la gendarmerie. Cet homme avait été emprisonné pendant six mois en 2004 après avoir été reconnu coupable de diffamation envers des responsables locaux.
Réfugiés et migrants
Les réfugiés, les demandeurs d’asile et les migrants en situation irrégulière risquaient d’être arrêtés et maltraités et de faire l’objet d’expulsions collectives. Bien qu’il soit difficile d’obtenir des informations précises, on estimait que plusieurs milliers de personnes avaient été renvoyées vers des pays d’Afrique subsaharienne sans avoir la possibilité de solliciter l’asile ni d’interjeter appel de la décision d’expulsion.
• En août, 28 personnes originaires d’Afrique subsaharienne et reconnues réfugiées par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) ont été expulsées vers le Mali après avoir été jugées, en l’absence d’avocat et sans bénéficier de l’assistance d’un interprète, pour avoir pénétré clandestinement sur le territoire algérien. Ces migrants ont été abandonnés sans nourriture ni eau ni assistance médicale dans une région désertique à proximité de la ville de Tinzaouatene, où opère un groupe armé malien. Ils sont restés bloqués à cet endroit pendant plusieurs jours en raison de l’insécurité, avant de pouvoir rejoindre la capitale malienne.
Violences et discrimination à l’égard des femmes
La rapporteuse spéciale des Nations unies sur la violence contre les femmes s’est rendue en Algérie en février. Tout en saluant les modifications importantes adoptées en 2005 en vue de réduire la discrimination envers les femmes, elle a attiré l’attention sur certains aspects du Code de la famille qui établissent un traitement inégal en matière de logement et de succession. Elle s’est également inquiétée de savoir si les victimes de viol et d’esclavage sexuel durant le conflit interne avaient été indemnisées.Le Comité des droits de l’homme a demandé que la législation algérienne soit modifiée, de manière à garantir l’égalité entre hommes et femmes dans les domaines du mariage, du divorce et du logement, et à ériger le viol conjugal en infraction pénale.
Peine de mort
Les autorités ont maintenu un moratoire de facto sur les exécutions ; des condamnations à mort continuaient toutefois d’être prononcées. Plusieurs dizaines de membres de groupes armés ont été condamnés à la peine capitale, dans la plupart des cas par contumace, pour des actes de terrorisme. En novembre, l’Algérie a coparrainé une résolution à l’Assemblée générale des Nations unies qui réclamait un moratoire au niveau mondial sur les exécutions.
Documents d’Amnesty International