Une dizaine de jours après les aveux du terroriste Redouane Kachniti, membre du Groupe islamique armé (GIA), sur le rapt et l’assassinat des sept moines de Tibéhirine, en 1996, un nouveau témoignage accable cette fois les services secrets algériens. Les différents scénarios sur cette affaire judiciaire, jamais élucidée, resurgissent.
L’enquête judiciaire sur le drame, qui s’es déroulé entre mars et mai 1996, dans le fief terroriste montagneux de Médéa, où sept moines du monastère Notre-Dame de l’Atlas, dans le village de Tibéhrine, ont été enlevés puis décapités, aboutira-t-elle un jour ? 19 ans après les faits, la question reste d’actualité. Jusqu’à ce jour, trois scénarios sur cette affaire encore non élucidée demeurent plausibles.
La thèse de l’implication des services secrets algériens vient, de nouveau, d’être évoquée. Un homme se présentant comme un ex-agent des services secrets algériens, entendu par le juge antiterroriste français Marc Trévidic le 21 janvier, met en cause l’ANP, indique ce vendredi une dépêche AFP, citant une source proche du dossier. Mourad B., âgé de 34 ans, résidant en Savoie, région montagneuse du sud-est de la France, menacé d’expulsion, a expliqué au magistrat français avoir intégré les services secrets algériens fin 2006-début 2007. Ces derniers l’ont chargé d’infiltrer les rangs islamistes sous le pseudonyme « Abou Nadil », a-t-il raconté au juge Trévidic. Selon son témoignage, les agents secrets s’étaient largement introduits au sein des groupes jihadites, sévissant durant la décennie noire. « Des terroristes téléphonaient et j’ai entendu des conversations », a -t-il ainsi dit au juge français, ajoutant aussi : « J’ai vu des mères de terroristes venir au centre militaire d’investigations et on leur donnait de l’argent ».
Le DRS impliqué ?
Mourad B. dit avoir demandé à quitter les services secrets fin 2009-début 2010 mais que l’un de ses supérieurs s’y était opposé, le prévenant qu' »on ne sortait pas de chez eux comme on y entrait ». Par la suite, l' »infiltré » aurait reçu des menaces plus sérieuses. « Si tu nous trahis, on fera ce que le colonel […] a fait aux moines », l’aurait averti un officier du DRS, selon les déclarations faites au juge Trévidic. Début 2011, Mourad B. parvient toutefois à quitter l’Algérie, direction la France. Mais son titre de séjour a depuis expiré, ce qui le place sous la menace d’une expulsion vers son pays natal, là où il se dit en danger.
D’après le scénario imputant la responsabilité de l’assassinat des sept moines de Tibéhirine au Département algérien du renseignement et de la sécurité, le chef du GIA, Djamel Zitouni, alias Abou Abderahmane Amine, était en réalité un agent double. L’opération à Tibéhirine aurait eu pour but de disqualifier les terroristes dans une région montagneuse où les islamistes étaient relativement influents et de mettre la pression sur les autorités françaises afin d’obtenir leur soutien dans la guerre contre le terrorisme des années 1990, toujours selon cette thèse. Une autre version de cette thèse suppose que l’opération à Tibéhirine aurait échappé au contrôle de Djamel Zitouni et les moines, enlevés par le groupe « infiltré » par Zitouni, seraient ensuite tombés entre les mains d’un groupuscule plus radical.
Le témoigne de Mourad B., accablant les services de sécurité algériens, est toutefois à prendre avec précaution, de l’aveu même de l’avocat des familles des sept cisterciens trappistes. « Cette audition apporte un élément supplémentaire dans le sens de l’implication des services algériens » mais il faut être prudent « témoignage n’étant pas direct », a ainsi commenté Me Patrick Baudouin, contacté par l’AFP.
La thèse officielle : Le GIA, seul responsable
La prudence est aussi de mise étant donné que ce témoignage indirect intervient moins de deux semaines après les aveux du terroriste Redouane Kachniti, membre du GIA. Ce dernier, lors de son procès près la cour d’Alger, le 5 février dernier, a reconnu avoir fait partie du groupe de djihadiste qui, sur ordre de l’émir de la Katiba d’Ouled Slama, a enlevé et égorgé les sept moines de Tibéhirine et les a séquestrés avec des éléments du groupe El Djazaara, dissident du GIA, juste après le début des opérations de ratissage de l’armée nationale dans la région. Kachniti et les siens, membres du groupe dirigé par Djamel Zitouni, ont ensuite égorgé les sept moines de Tibéhirine et jeté leur tête à Médéa, a-t-il avoué durant son procès.
Ce scénario est la thèse officielle défendue par les dirigeants algériens. Pour eux, aucun doute, Djamel Zitouni, leader du GIA, est le principal coupable dans cet assassinat. Selon la thèse officielle, le GIA aurait voulu renforcer son autorité dans la région de Médéa par un coup d’éclat contre des cibles symboliques.
Bavure militaire ?
Un dernier scénario, que les autorités algériennes refusent d’entendre, évoque une bavure militaire. Cette thèse est apparue en juin 2009 lorsque le général français François Buchwalter, attaché militaire de la France en Algérie durant la décennie noire, a indiqué au juge Trévidic que les sept moines de Tibéhirine ont été victimes d’une « bavure » militaire. Buchwalter dit tenir cette information d’un ami officier algérien, qui lui-même la tient de son frère, pilote de l’armée algérienne ayant participé à cette bavure. Selon cette information, encore jamais confirmée, les sept moines de Tibéhirine ont été tués, par erreur, par des tirs d’hélicoptères de l’armée algérienne sur leur lieu de détention, peu après l’enlèvement. Les militaires se seraient ensuite poser au sol et, constant la bavure, ils auraient décidé de maquiller leur erreur en rejetant la faute sur les terroristes du GIA. D’après cette thèse non-officielle, les militaires auraient eux-mêmes décapité les corps inertes des moines de Tibéhirine.