"Bezzzef", trois questions à Mustapha Benfodil

Redaction

ben 1- Comment est née l’idée de la création du collectif « Bezzzef » et quel est l’objectif recherché ?

Le groupe « Bezzzef » a été créé le 30 octobre dernier, à Alger, lors d’une réunion avec mes amis, les écrivains Kamel Daoud, Adlène Meddi et Chawki Amari. Voilà un moment déjà que nous essayions de fédérer nos forces et nos imaginaires autour d’une action commune. De mon côté, j’avais déjà prévu de faire une « lecture sauvage », par effraction, au sein du SILA. Adlène avait suggéré d’organiser des lectures autour de Kateb Yacine pour les 20 ans de sa mort et j’ai tout de suite acquiescé.

Il nous a paru important de nous réapproprier Yacine, ses idéaux et sa parole qui est très très actuelle. Mais voilà que l’actualité nous a submergé avec l’affaire « Poutakhine ». Il fallait faire quelque chose. Des libraires à Alger étaient entendus par la police. Le domicile de l’auteur perquisitionné. Cela augurait une nouvelle fois d’un Salon du livre placé sous le signe de l’imprimatur.

Cette actualité nous a confrontés donc à une urgence : celle de dénoncer la censure. C’est sans doute ce fait qui a précipité la création du groupe « Bezzzef ! », mot qui, comme vous le savez, signifie « C’est trop ! », « y en a marre ! », mais également « beaucoup », « nombreux ». Il nous semble que nous sommes nombreux à nous sentir inquiétés par l’état général du pays, les atteintes répétées aux libertés, la situation préoccupante sur les plans politique, social, moral. L’état d’urgence qui perdure. Le troisième mandat. Les contingents de harraga, les disparitions forcées et impunies, l’absence d’une enquête parlementaire sur le terrorisme. Et j’en passe. Je dois toutefois m’empresser de souligner que « Bezzzef » n’est pas un parti politique. Ni un syndicat, ni une secte. C’est juste un territoire symbolique qui entend fédérer nos colères intimes et les ramasser autour d’actions ponctuelles. Cela recoupe, en définitive, la problématique de la place de l’écrivain dans la société.

2- Certains, parmi eux des journalistes algériens, vous reprochent à vous Mustapha Benfodil (1), d’avoir été sélectif dans votre choix des livres censurés à défendre lors de votre action au SILA. Ils parlent également d’un mouvement déconnecté du peuple, qu’ils considèrent comme « bobo ». Que leur répondez-vous ?

Ce sont des reproches que je comprends parfaitement, et qui émanent des mêmes personnes. Ces personnes partent du postulat que « Mustapha Benfodil est un agent déguisé des moukhabarate », et qu’il aurait la trouille de citer des livres comme « La sale guerre » de Habib Souaidia, « La maffia des généraux » de Hichem Aboud, « Qui a tué à Bentalha » de Nasallah Yous ou encore « Chronique des années de sang » de Mohamed Samraoui.

Je le dis et le redis : je n’ai absolument aucun problème, ni avec ces titres, ni avec leurs auteurs, et je n’ai, mais alors là, aucune, mais aucune crainte à les citer publiquement. Il se trouve que dans une tribune publiée par El Watan, j’avais cité les cas de livres qui me sont venus les premiers à l’esprit pour avoir défrayé la chronique au SILA 2008. Je pense au « Village de l’Allemand » de Boualem Sansal, « Ô Maria » de Anouar Benmalek, et d’autres. Peut-être que le fait que je sois romancier moi-même m’a fait penser avant tout à des romans. Mais la littérature « qui-tue-quiste » ne me gêne nullement.

Au reste : un livre comme « Les geôles d’Alger » de Mohamed Benchicou dont on a lu des extraits, n’est guère tendre avec le régime. Si j’avais lesdits livres en ma possession, croyez bien que j’en aurais donné lecture sans problème. Au reste, nous avons invité via Internet les gens à ramener tout ouvrage ou texte frappé de censure. Enfin, moi, je pose la question à nos détracteurs : qu’est-ce qui les aurait empêché de venir avec ces livres et les défendre au SILA ? Moi, je les aurais rejoint volontiers s’ils avaient pris une telle initiative, et j’aurais lu publiquement des extraits de ces ouvrages.

Vous me dites : on est déconnectés du peuple et qu’on est un groupe de « bobos », de « petits-bourgeois » se la jouant anars. Je vous rétorquerais de la même manière : qu’est-ce qui empêche d’autres secteurs de la société qui pourraient jouir d’un meilleur ancrage, de proposer d’autres initiatives ? Je leur exprime par avance toute ma disponibilité militante. Au reste, je me dois de préciser, comme je le disais plus haut, que nous ne sommes pas un parti politique. Ce sont les politicards qui réfléchissent en termes d’audience et de « gains électoraux ». Moi, je réfléchis en termes de prise de position, comme écrivain avant tout, et comme citoyen ensuite. Chacun est son propre directeur de conscience, loin de toute rhétorique populiste.

3- Vous dénoncez l’apparition d’un autre collectif « Bezzzef »(2), qui serait selon vous crée par le DRS et appuyé par deux journaux, Echourouk et Ennahar dans le but de casser votre action. D’où tenez-vous ces informations et comment comptez-vous réagir?

Ce qui m’amène à subodorer que le DRS a de fortes chances d’être l’instigateur de ces « coups bas » : d’abord, la concordance troublante entre les textes et les photos parus simultanément dans Echourouk et Ennahar, et qui nous accusent d’être des appendices de l’ambassade de France à Alger. Ce fait montre clairement que leur action participe de la même stratégie, laquelle stratégie relève bien du plan de com’ du DRS : papiers non signés, messages grossiers, maladresse dans la rédaction, manque flagrant de professionnalisme.

Au reste, le fait que nous ayons nommément cité le colonel Fawzi en créant notre ironique prix littéraire baptisé « Prix Fawzi » par allusion à l’ingérence de ce personnage dans l’attribution de prix littéraires, tout cela a largement de quoi titiller son orgueil, ce que nous comprenons parfaitement. Il est donc tout à fait plausible que ces mêmes services aient entrepris de nous casser en lançant un groupe fantoche sur facebook qui usurperait notre identité tout en épinglant les membres fondateurs. Comment allons-nous réagir ? En continuant à agir. Tout simplement. Et à écrire surtout…

Propos recueillis par Fayçal Anseur

(1) Mustapha Benfodil, auteur et journaliste à El Watan. Membre fondateur du groupe « Bezzzef ! »

(2) Pour info: un autre groupe « Bezzzef » vient d’être crée sur instigation du
DRS pour casser notre initiative. C’est un coup qui abonde dans le même
sens que la sordide manipulation des journaux Echourouk et Ennahar qui,
fait curieux, ont publié exactement le même texte (concocté par les services du colonel Fawzi). Soyons vigilants. Le bras de fer avec le Léviathan BTZ (Bouteflika/Toufik/Zerhouni) ne fait que commencer.
( Communiqué publié par Mustapha Benfodil sur sa page Facebook)

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