Bouguerra Soltani: «L’abstention, c’est juste un épouvantail»

Redaction

Bouguerra Soltani, président du Mouvement de la société pour la paix.

La direction politique du Mouvement de la société pour la paix (MSP) assume pleinement ses choix, qui ont été réitérés par son président, M. Bouguerra Soltani, à l’occasion de cet entretien. Accusé, à tort ou à raison, de s’être écarté de la ligne originelle du mouvement, Bouguerra s’explique. Le MSP demeure adepte du principe de l’opposition positive, martèle-t-il. Tout en attestant de la positivité du bilan de Bouteflika et la caution, par deux, apportée à son programme, le chef de file du MSP reconnaît implicitement que des brèches sont à colmater et méritent toute l’attention lors du prochain mandat. Sur le plan strictement politique, Bouguerra estime que l’amnistie générale constitue une suite logique au processus de règlement définitif de la crise amorcé par le président de la République depuis son investiture en 1999.

Le Jeune Indépendant : Le MSP bonifie les acquis du Président et assume avec lui tous les échecs et les acquis lors du second mandat. Ceci est votre déclaration. Qu’en est-il alors de votre principe fondateur «d’opposition positive» ?

Bouguerra Soltani : Assumer les charges avec leurs aspects aussi bien positifs que négatifs ne veut pas dire ne pas critiquer ni taire les erreurs et les échecs. Nous faisons la distinction entre la critique et l’auto-critique, et nous sommes au pouvoir, depuis 10 ans, en participant au gouvernement, et celui-ci a réalisé beaucoup de choses, mais a commis aussi des erreurs. Cela dit, nous assumons tout le bilan, et nous appelons à son parachèvement, notamment les chantiers qui demeurent ouverts. Toutefois, cela ne nous empêche pas de marquer une halte devant les insuffisances afin d’attirer l’attention et rattraper le coup lors des cinq prochaines années. Par conséquent, nous n’avons pas abandonné notre ligne politique originelle qui consiste à avoir un pied au pouvoir et un autre dans l’opposition.

Si l’on comprend bien, vous êtes en train de dire implicitement que le bilan des cinq dernières années n’est pas tout à fait positif ?

Effectivement, en dépit des réalisations, il reste trois brèches à colmater ou plus exactement des chantiers ouverts, auxquels nous demandons d’accorder un intérêt particulier et qu’ils soient pris sérieusement en charge durant le prochain mandat du président de la République. Je cite notamment trois axes principaux : la sécurisation de la population, la jeunesse et le front social.

Même si la sécurité et la paix sont de retour maintenant, il y a d’autres formes d’insécurité qui ont pris place au sein de la société.
On parle actuellement de kidnapping, de harraga, de suicide et d’autres fléaux sociaux. Le citoyen a besoin de se sentir en sécurité.
Il y a ensuite le problème de la jeunesse qu’il faut considérer comme une priorité. Le taux du célibat des hommes et des femmes est inquiétant et les jeunes se sentent marginalisés. C’est pour cela qu’il faudrait accorder à la jeunesse une plus grande importance et lui donner les moyens de son épanouissement. Et, enfin, le front social dans toute sa composante.

A l’État d’encourager le mariage, la construction du logement et la prise en charge des enfants par leur famille afin de protéger la cellule familiale et éviter que des rapports entre les membres de la famille, structure essentielle de la société, soient fondés sur l’aspect matériel et dénués de rapports humains.

Est-ce que cela va être soumis au président de la République dans les propositions que vous comptez lui remettre ?

Lorsque le président de la République a parlé, dans son discours d’annonce de candidature, de promotion de l’histoire, écriture et enseignement, cela entre dans la formation d’un aspect qui est resté vacant dans l’identité civilisationelle de l’Algérien. Quand il évoque les droits de l’homme, la jeunesse, le droit de la femme d’avoir une meilleure place dans les instances politiques, tout cela entre, dans le cadre des priorités pour le prochain quinquennat. Il faut faire en sorte que chaque jeune aime son pays, aime sa religion et aime sa langue. Cela est compris dans le programme du président de la République mais il devrait l’être en priorité. Comme l’a été la réconciliation nationale dans son programme pour 2004-2009, la question de la jeunesse devrait l’être pour 2009-2014.

On revient au discours du Président dans lequel il a évoqué la promotion de la réconciliation nationale. Quelques jours auparavant, vous aviez parlé de la même question, avez-vous des informations ?

Non.

Pensez-vous que nous allons vers une amnistie générale ?

Cela fait dix années que nous travaillons avec le président de la République. Avec le temps et l’expérience, nous avons appris à faire des lectures et à déceler surtout ses idées et ce, en référence à ce qu’il a proposé lors de ses précédents programmes. Donc, nous prévoyons que le Président ajoute une pierre à son édifice ou une dose supplémentaire du remède à travers la promotion de la réconciliation nationale. Pourquoi ?

Parce que le processus de paix, depuis 1999, a donné ses résultats. Plutôt depuis 1995, avec la loi de la rahma, promulguée par Liamine Zeroual, qui a permis aux membres de l’AIS de décider unilatéralement de déposer les armes. En arrivant au pouvoir, M. Bouteflika a fructifié ces résultats en transformant cette loi en concorde civile. En 2005, il lui donne une plus grande dimension, la baptisant Charte pour la paix et la réconciliation. Maintenant, il apparaît inadmissible que tous ces aspects positifs ne soient pas capitalisés. Seulement, nous, au mouvement, nous préconisons que les choses se fassent dans le cadre d’un calendrier et par étape. D’abord en 2010-2011, on procède à la levée de l’état d’urgence. En 2011-2012 , on demande le recouvrement des droits politiques de tout Algérien qui rejette la violence comme moyen d’arriver au pouvoir et de s’y maintenir, de respecter la Constitution et les lois de la République.

Y compris les membres du parti dissous…

Les membres du parti dissous activaient dans un parti légal. Après sa dissolution, chacun d’eux a choisi sa voie. Tout Algérien se conformant aux lois de la République a le droit de recouvrir ses droits, sa pleine citoyenneté et l’activité politique, mais le carré rouge des années de la violence est totalement rejeté, on n’y reviendra pas là-dessus.

Pensez-vous qu’il y a une éventualité d’aller vers cette amnistie générale ?

Il fut un temps où l’amnistie générale faisait peur et relevait du tabou car il s’agissait d’amnistier des milliers de personnes. Maintenant, il ne reste qu’une poignée, des résidus. Même s’il y a amnistie générale, le nombre des bénéficiaires sera minime. Je précise, cependant, qu’on parle de l’amnistie générale politique, il ne faut pas faire l’amalgame avec l’amnistie fiscale, économique, ou des détenus. De toutes les manières, qu’il y ait ou pas amnistie, cela ne changera pas grand-chose. Car, en se référant à la déclaration du président de la République relative à la consolidation de la réconciliation nationale, l’élargissement de celle-ci peut être considéré comme une amnistie générale.

Maintenant, on revient à la campagne électorale du Président. Quelle place prendra le MSP, d’autant qu’il n’a pas de présence importante dans le staff choisi par M. Bouteflika ?

Pour être sincère, et sans accuser qui que soit, nous n’avons pas été demandeurs. Le programme tracé par nos partenaires politiques s’articule autour de quatre axes : d’abord celui exclusivement consacré au président de la République, celui consacré à l’alliance, ensuite aux partis séparément, et en dernier au travail de proximité et au mouvement associatif.

En tant que mouvement, nous avons choisi cette fois-ci de consentir nos efforts dans quelques wilayas du pays mais surtout à l’étranger. Nous voulons amener la communauté algérienne à s’impliquer davantage dans la vie politique du pays.

Comment comptez-vous vous y prendre pour mobiliser les électeurs, alors que vous-même aviez déclaré l’échec des partis politiques au sein de la société à jouer leur rôle de catalyseur ?

Le citoyen algérien n’aime pas l’adhésion ou l’appartenance à un parti politique, mais aime bien participer à de grands événements nationaux. C’est pour cela qu’on le trouve à chaque fois au rendez-vous lors des élections.

Je l’ai constaté lors des campagnes pour les précédentes consultations électorales. La population dans les quatre coins du pays répond favorablement en étant présente à nos rassemblements et meetings.

Donc, vous ne craignez pas le spectre de l’abstention ?

L’abstention est devenue cet épouvantail qu’on nous sort à chaque rendez-vous électoral. En 1999, on l’a évoqué, en 2004 aussi, lors des législatives de 2007 on nous l’a encore sorti, mais le jour de l’élection, les taux de participation à chaque fois étaient là pour apporter un démenti formel aux tenants de cette option. De toutes les manières, le phénomène de l’abstention n’est pas propre à l’Algérie mais existe dans tous les pays, même en France, aux Etats-Unis d’Amérique ou ailleurs. Je pense qu’en Algérie, il est disproportionné par rapport à sa réalité et on veut lui donner plus d’ampleur qu’il n’en a. L’avenir le prouvera. C’est juste un épouvantail.

Nefla B., Le Jeune Indépendant, 21 février 2009