Par Saâd Doussi
Sitôt après en avoir fini avec Sarkozy, les Algériens se tournent vers le jeudi, jour des législatives pour élire, démocratiquement, si c’est possible, une nouvelle Assemblée populeuse et budgétivore avec 462 bras à lever, en cas d’assiduité, pour faire bonne figure. De l’histoire de l’Algérie, nulle campagne électorale n’aura laissé et lassé des citoyens aussi indifférents et ennuyés par trois semaines de discours, promesses et déclarations d’amour de la part de candidats aussi charismatiques qu’un pneu dégonflé sur les routes de l’Algérie inutile.
Durant cette campagne électorale, les Algériens ont découvert, à leur corps défendant, des candidats défilant en boucle, gênés devant la caméra, incapables de sourire et débitant un programme que même les plus crédules ne croiraient pas. Des visages improbables, inconnus de la scène politique, coincés, récitant, par cœur cinq minutes d’une rédaction apprise. Cette campagne a été celle de tous les clichés, du folklore local en passant par les leçons de morale distillées par des chefs de partis, qui étaient, pas plus tard qu’hier, bouffons à la cour.
Des promesses de travail, de logement, de mariage, d’une vie meilleure, de visas, d’une véritable démocratie, d’une télévision professionnelle, de la moralisation des sphères du pouvoir, ressassées dans la bouche de ces candidats puis recrachées au visage des présents, des militants loués à l’heure ou ramenés des villages environnants en contre partie d’un casse-croute ou d’un billet de 500 balles. Et, parmi tous ces discours à la carte, un leitmotiv qui revient comme une vague d’automne, celui du vote. Le « Allez voter » servi à toutes les sauces. « Celui qui aime l’Algérie, vote », « Le boycott c’est haram », des voix et ses échos se font entendre partout pour inciter un peuple mort à se lever le matin et se diriger vers les urnes.
Le matraquage des médias publics et des journaux assimilés, les sermons des imams CCP, les sms officiels, rien n’y fait et les sondages promettent un record d’abstention pour le 10 mai. Le responsable de ce désintérêt est tout trouvé. Les méchants boycotteurs sont désignés du doigt. Les adeptes du « N’allez pas voter » sont mis au banc des accusés, accusés de vouloir torpiller l’Algérie de demain. Coupables d’anti-patriotisme, ils sont traqués, mis en quarantaine et trainés dans les commissariats de la République. Ils sont frappés d’apostasie, voués aux gémonies alors que le dépositaire officiel des droits de l’homme au palais d’El Mouradia appelait à châtier, emprisonner, écarteler les Algériens qui ne votent pas.
Alors même que les derniers bastions des libertés individuelles étaient grignotés par des lois faites sur mesure, le droit d’aller voter ou pas est remis en question. Demain, ce n’est pas seulement l’obligation d’aller à l’isoloir qui sera faite à l’Algérien mais de regarder le jité de 8h, de s’habiller Sonitex, de rouler Sonacome, d’avoir un poster de Boutef accroché à sa conscience, d’apprendre Kasaman ainsi que tous les sigles des partis politiques, réciter le Coran en intégralité et d’enregistrer tous les discours présidentiels.
Au-delà du libre choix individuel, la volonté de « criminaliser » les gens qui ne votent pas est une première très grave, même si, implicitement, l’obligation de présenter sa carte de vote pour retirer un papier administratif était, un certain temps, une épée de Damoclès sur la tête des abstentionnistes. Cette incursion présage d’un avenir incertain et ce n’est certainement pas cette nouvelle APN qui sera un rempart contre un total autoritarisme.