Algerie-focus revient sur la guerre d’Algérie à travers un ouvrage fort interessant de Caroline Ulmann-Mauriat sous la direction de Michèle de Bussierre, Cécile Méadel et Caroline Ulmann-Mauria : Radios et télévision au temps des « événements d’Algérie » 1954-1962.
Souvent qualifiée de première guerre retracée par l’audiovisuel en France, la guerre d’Algérie, ou plutôt les « événements d’Algérie » tels qu’ils sont définis par le gouvernement de l’époque, accordent un rôle prépondérant aux médias, notamment et surtout la presse écrite et la radio, plus tard la télévision.
Enrichi d’efficaces et intéressantes contributions, cet ouvrage collectif apporte un éclairage inédit, nouveau, et orné de témoignages, sur ces huit années chargées de drames et d’histoire, que ce soit en France métropolitaine, ou en Algérie.
Comme nous l’explique Jean-Noël Jeanneney dès l’introduction de l’ouvrage, la partie jouée par la radio tout au long du conflit sera crucial. Dès sa création, un magazine comme « Cinq Colonnes à la une » jouera un rôle majeur dans le traitement d’informations du conflit en métropole, provoquant souvent la colère et la censure du gouvernement.
Néanmoins, le traitement de l’affaire algérienne ne monopolise pas à lui seul les ondes. Parallèlement aux « événements d’Algérie », innovations et programmes continuent dans le monde des médias français, avec notamment la naissance d’Europe n° 1, l’arrivée du Nagra, la première campagne législative télévisée, et le début du Sécam et de « Salut les copains ». A la radio comme à la télévision qui ne cesse d’apparaître dans les foyers français, on note l’explosion des dramatiques et des jeux.
Comme l’explique une majeure partie des chapitres du livre, la radio joue un grand rôle dans le traitement de l’information du conflit algérien. En Algérie, Radio Alger reste sous le contrôle du « comité du salut public » créé en 1958, elle servira de relais pour la propagande pour l’opinion française et sera sous le contrôle des généraux en Algérie, comme Salan. Les rapports sont donc tendus entre la capitale et Radio Alger. L’aboutissement de ces tensions correspond au putsch des généraux en 1961, les généraux voulant s’en servir pour diffuser leur message à la métropole. Les journalistes à la radio permettent alors de diffuser la position du général De Gaulle, et de pousser les généraux partisans de l’Algérie Française à mettre un terme au putsch, on parle de la « victoire du transistor ». A la télévision, le message de De Gaulle est retransmis en direct à la nation à 20h, heure fixée pour le journal télévisée, De Gaulle s’exprimant sur un ton strict et réfléchi afin d’ordonner aux Français de ne pas suivre les généraux. A Alger, le message connu a Alger que par la radio la télévision n’étant pas assez présente dans les foyers algériens.
La censure s’applique de manière systémique sur les médias (radio, presse, télévision) dès 1954, seul le message du gouvernement est retransmis sur les médias publics. En effet, 5 ministères veillent sur la radio: Affaires étrangères, Intérieur, Information, Défense nationale, et Affaires Algériennes. Des hommes comme Louis Terrenoire ou Albert Gazier, ministres de l’Information, organisent la censure. L’ouvrage fournit également de nombreux témoignages de journalistes concernant l’existence de « cahier de consignes » à suivre. Par exemple, on note l’entretien avec Bernard Lauzanne, journaliste et président du comité d’histoire de la radio, témoignant des censures effectuées à la radio (cahier noir d instruction, affaire de la commission de sauvegarde de Guy Mollet sur la torture).
Concernant la communication du FLN, celui-ci possède son émission dans Radio Tunis « la voix de l’Algérie libre et combattante », dès 1956. Cette émission va notamment renseigner les maquisards algériens. Avec les médias français, on note le rôle de 3 interlocuteurs du FLN : M’Hamel Yazid, Redha Malek et Ahmed Boumendjel. L’autre partie à la tête du FLN reste très discrète et préfère communiquer non pas avec la presse française, mais plutôt avec la presse étrangère. Ainsi, depuis Le Caire, l’émission « La Voix des Arabes » retransmet des soutiens et des appels de mobilisation pour les « Frères algériens » luttant pour leur indépendance, notamment dans l’émission « La Voix de l’Algérie Libre ». Le FLN émet alors depuis la « Nation arabe ».
Aussi, c’est par les médias que s’effectue également le retour de De Gaulle en 1958 surtout le 5 juin avec le discours à Alger et le fameux « je vous ai compris », manifestement plus retransmis et écouté des Français que compris. On note plus de 30 élocutions télévisées du général, ses interventions soulignent sa volonté de créer une égalité entre français et algériens. La télévision devient alors une arme politique pour De Gaulle, qui contrôle et censure les images : la guerre n’y est pas montrée, le traitement de l’information doit être « lisse ».
Dans le même temps, en France, on assiste à la naissance de la première radio privée : Europe 1, qui coïncide avec le début de la rébellion en Algérie. Albert Gazier, alors ministre de l’Information trouve qu’Europe 1 accorde trop d’importance aux faits et gestes des ennemis du régime, malgré que ce soit une radio privée, il y instaure la censure. Pour le journaliste René Duval, la radio, notamment Europe 1, a été un catalyseur pour la guerre d’Algérie.
Dans la presse écrite, France Observateur est aux avant-gardes de la fronde anticoloniale, et subi à plusieurs reprises, la censure, voire la saisie dès 1954. La même année, Pierre Schaeffer crée la Sorafom, qui donnera le jour à plusieurs radios dans toutes les anciennes colonies d’Afrique subsaharienne.
Parallèlement le Journal Télévisé se transforme, passant du journal de spectacle et d’images sous Sabbagh (1949-1954) à un journal plus riche à partir de 1954, avec l’apparition du présentateur vedette (1956) et la spécialisation des journalistes dans des domaines précis (sport, politique).
À partir de 1981, les médias se remettent à parler de la guerre d’Algérie. L’émission Apostrophes invite par exemple Henri Alleg. Puis en 1990 on commence à diffuser des documentaires portant sur la guerre. On évoque les sujets de torture, on expose des témoignages d’appelés.
Ainsi, l’ouvrage témoigne, par une richesse de ressources, d’entretiens, et de récits, du rôle des médias : presse écrite, radio, télévision, dans la guerre d’Algérie. Celle-ci est la première guerre retransmise à l’audiovisuel, et ouvrant la polémique sur la censure d’Etat, polémique d’autant plus reprise après mai 68.
Ould-Lamara Ania