Algérie : Le Chaâbi se meurt !

Redaction

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«Le Chaâbi se meurt, se fane, il faut le sortir du ghetto », tonne Omar Smaïli, qui est venu à ce genre musical prisé dans l’Algérois comme d’autres se découvrent une passion pour le théâtre, le football ou la politique dans ces années de grandes espérances, au lendemain de l’indépendance de l’Algérie. Omar Smaïli, qui a appris le Chaâbi au Conservatoire municipal d’Alger sous la direction d’El Hadj M’hamed El Anka, le « maître » incontesté du genre, celui qui a inventé le mandole (une mandoline à laquelle il a ajouté un bras de guitare), est bien triste aujourd’hui.

Le Chaâbi est marginalisé, il est devenu hôte parmi les hôtes du monde musical d’aujourd’hui, en Algérie. Pour ce « cheikh » qui a fait ses classes au Conservatoire d’Alger avec d’autres noms biens connus de ce genre musical, comme Kamel Bourdib, Mehdi Tamache, Derouiche Abdeslam, Kamel Ferdjallah, Ali Maaskri ou Abdelkader Chercham, « il faut sauver le Chaâbi de la décrépitude». Sa complainte sur la décadence actuelle, selon lui, du Chaâbi, résonne étrangement dans ces fraîches ruelles de la Casbah d’Alger, d’où partait dans les années 40-50, durant les longues nuits d’hiver, le rugueux brouhaha qui se dégageait alors du café des « F’nardjia » (le café où se rassemblaient les allumeurs de lampadaires, avec leurs longs briquets à gaz). La casbah et le Chaâbi, c’est comme deux entités à jamais liées par le sort et l’histoire. « Regarde ce qu’il en est advenu: le Chaâbi ne passe même pas à la télévision, sinon à des heures indues.

Les DJ sont mieux considérés qu’un cheikh aujourd’hui », laisse tomber Omar. Pourtant, dans les années de gloire du Chaâbi, El Hadj El Anka, le Maître, trônait comme un seigneur au café Malakoff, et c’est toute la Casbah qui en resplendissait, qui exhalait les enseignements prodigieux de poèmes écrits au milieu du 15ème et 16èmé siècle au Maghreb central, de Meknes à Fes, Tlemcen et Mostaganem, avec les Benkhlouf, Kaddour Al Alami ou Al Masmoudi. Aujourd’hui, « il ne reste que les souvenirs, ceux des fameux débats sur la musique andalouse, le chaabi, le Gharnati ou le malouf, au détour de Zenket Echitane (Rue du Diable), dans la Haute Casbah », affirme d’un air entendu un vieil algérois. « Le Chaâbi, c’est comme la Casbah, son berceau: il tombe en ruine, K’cida par K’cida, comme qui dirait pierre par pierre », ajoute-t-il.

Là haut, à la Casbah, pourtant, les vieilles maisons blanchies à la chaux et aux balcons qu’on dirait arc-boutés sur la rade d’Alger restent, pour celles qui ont été restaurées, les témoins encore vivants d’une époque où le Chaâbi faisait lui aussi sa propre guerre contre le « Charleston », le « Rock and Roll » ou « le Twist » des colons, et, bien avant, du temps de Cheikh El Afrit, du Ragtime venu de la lointaine Louisiane. « El Kasbah (La casbah), c’est ça, ya kho: le Chaâbi chaque soir pour te rappeler tes origines, ta culture, ton histoire, calmer ton mal de vivre et ta soif d’horizons lointains », affirme encore le vieil homme. « C’était en 1967, l’année où je suis entré au conservatoire d’Alger. J’avais alors 17 ans, et je voulais devenir un Cheikh (maître) du Chaâbi. Grâce à El Hadj El Anka, j’ai appris beaucoup de choses. Pas seulement la musique, les finesses du Chaâbi, mais surtout comment me comporter en société, car notre Maître était un véritable éducateur, il nous enseignait même comment nous comporter sur scène et en dehors de la scène, dans la vie de tous les jours».

RAF avec APS