Une page Facebook a été créée jeudi 31 juillet pour appeler au boycott du concert de Sean Paul, la star du dancehall et du reaggae programmée le vendredi 22 août à la Coupole d’Alger, en raison de son soi-disant soutien à Israël. Or, il se trouve que la plupart des éléments qui lui sont reprochés sont faux. Décryptage.
En préparant la venue de l’artiste, les organisateurs avaient déjà repéré sur Internet les quelques photos compromettantes où on le voit notamment se recueillir devant le Mur des lamentations de Jérusalem et poser avec des soldats israéliens. Ils étaient cependant loin de penser qu’elles allaient suffire à embraser les réseaux sociaux algériens, comme c’est le cas depuis maintenant près d’une semaine.“On s’attendait à quelques commentaires malvenus, mais pas à une telle campagne d’instrumentalisation organisée!” confie Yanis Mouhamou, cogérant de la société d’événementiel SmartProd.
D’autant plus que toute cette polémique repose en vérité sur une rumeur complètement infondée. Non, Sean Paul n’est pas juif mais chrétien. Il l’a dit et répété à longueur d’interviews. Il a même posé à de nombreuses reprises avec une croix catholique, comme le montre notre photo de « Une ». Et ce n’est pas pour rien que l’un de ses albums qui a le mieux marché s’appelle “Trinity” -”Trinité”, soit la croyance en l’existence du père, du fils et du Saint Esprit, le principe fondateur de la religion catholique.
Des clichés similaires du Dalaï-Lama, de Gérard Depardieu et de Rachida Dati
Alors pourquoi Sean Paul a-t-il été photographié devant le lieu saint des Juifs avec une kippa sur la tête? Pour faire comme tous les touristes qui visitent l’endroit, tout simplement. Il existe des dizaines de clichés similaires avec des personnalités aux convictions religieuses aussi variées que le Dalaï-Lama, l’acteur français Gérard Depardieu ou encore Rachida Dati -ancienne ministre française de confession musulmane.
“C’est comme si demain on prenait n’importe qui en photo devant le Monument des martyrs ou la Grande Poste d’Alger, et qu’on disait que parce que ces monuments se trouvent dans un pays à majorité musulmane, alors c’est un terroriste!” ironise Yanis Mouhamou pour illustrer la grossièreté des raccourcis qui ont abouti à faire de la superstar jamaïcaine le meilleur agent du sionisme.
3 577 “J’’aime” contre 123
Qui se cache derrière toute cette machination? Les équipes de SmartProd ont mené leur propre enquête pour identifier les principaux contributeurs de la page diffamante. Selon leurs informations, ce seraient principalement des entreprises d’événementiel concurrentes, qui s’appuieraient sur des habitués de la diffusion de ce genre de rumeurs pour leur servir de relais.
La campagne de boycott du concert du 22 août aurait donc servi de prétexte pour orchestrer une vengeance personnelle, en jouant du contexte très critique à l’égard d’Israël après sa dernière offensive militaire sur Gaza – conflit sur lequel Sean Paul ne s’est jamais prononcé. Une stratégie insidieuse mais extrêmement dévastatrice, avec plus de 3 500 mentions “J’aime” récoltées en moins d’une semaine -contre seulement une centaine pour la page officielle de l’événement. Même les multiples démentis envoyés aux journaux arabophones et les communiqués publiés directement sur Facebook par SmartProd n’ont pas suffi à rétablir la vérité.
“On n’est pas en Corée du Nord!”
Quant à Sean Paul, il n’a pas souhaité réagir sur le fond pour ne pas alimenter la polémique -l’artiste a tout de même reçu de nombreuses insultes et menaces de lapidation. Il s’est simplement enquis des conditions de sécurité dans lesquelles lui et sa troupe de 22 musiciens et danseurs allaient pouvoir être reçus à Alger.
Les organisateurs ont alerté le Ministère de l’Intérieur, mais face aux risques de débordement ils ne sont pas encore en mesure d’assurer à 100% que le concert sera maintenu. “Nous étudions des dispositifs de sécurité renforcés, mais nous ne pouvons quand même pas couper la Coupole en deux pour séparer les artistes du public. On n’est pas en Corée du Nord!” s’est exclamé M.Mouhamou.
Reste maintenant à espérer que tout ce climat hostile cesse rapidement, et que l’Algérie puisse accueillir comme il se doit le deuxième concert du maître du dancehall sur le continent africain. Il en va de la réputation du pays et de sa capacité à attirer les plus grands artistes à l’avenir.