Le Festival d’Alger du cinéma maghrébin s’est ouvert mercredi 4 juin. Pour sa deuxième édition, ce jeune festival propose aux cinéphiles algérois de découvrir 38 films venus d’Algérie, du Maroc, de Tunisie, de Libye et de Mauritanie. À l’heure où un rapport de l’agence Euromed alerte sur la crise que traverse le cinéma algérien contemporain, ce Festival est l’occasion rêvée de faire le point sur le cinéma du Maghreb et de s’interroger sur l’existence d’une identité commune aux 5 pays représentés.
Le cinéma maghrébin : une réalité ?
« Le Maghreb du cinéma n’est pas une simple conception de l’esprit, un vœux pieux, mais une réalité qu’il faut reconnaître et prendre en charge, » écrit la Ministre de la Culture dans le catalogue du festival. « Il existe effectivement, à travers une production considérable par sa quantité, sa qualité, et par un échange continu et fructueux entre les pays, » souligne Nadia Labidi.
Si le cinéma du Maghreb est plus souvent défini comme un regroupement géographique arbitraire que comme un ensemble homogène, il n’est pas illégitime de s’interroger sur les caractéristiques de ce label artistique en devenir. C’est ce que souligne Nabil Hadji, responsable de la programmation du festival : « Je suis contre l’appellation « cinéma maghrébin », car chaque paysage cinématographique national est unique. Mais il faut bien reconnaître qu’il y a des éléments communs à tous les films du Maghreb. »
Ces éléments, quels sont-ils ? Nadia Labidi explique que « les mêmes préoccupations et les mêmes engagements » sont reflétés dans les œuvres des cinéastes maghrébins. Des propos qui font échos à ceux de Mohamed Abdelkrim Aït Oumeziane, directeur du festival, selon qui le cinéma maghrébin partage, avant tout, des revendications communes. Comme le souligne Oumeziane, les réalisateurs du Maghreb appellent tous à une plus grande liberté et à une meilleure garantie du droit à l’expression artistique. Une définition si politique du cinéma maghrébin a de quoi marquer les esprits, mais Oumeziane précise qu’ici, au festival, « nous nous intéressons à la culture, pas à la politique. »
Pourtant, les thématiques communes aux œuvres filmiques du Maghreb sont elles aussi éminemment politiques. Nabil Hadji identifie l’immigration clandestine, l’aspiration à la démocratie, les relations hommes/femmes ou encore l’intégrisme comme des thèmes qui parcourent l’ensemble de la production maghrébine.
Cinéma du Maghreb et identité maghrébine
On comprend donc que la définition d’un cinéma maghrébin est indissociable d’une réflexion sur l’identité maghrébine. Tout comme le cinéma maghrébin est une réalité indiscutable, l’existence d’une identité maghrébine ne fait pas de doute pour Oumeziane. « Les Maghrébins partagent une culture, des langues [arabe et amazigh] et tout un ensemble de traditions, » explique-t-il. « Nous sommes donc des peuples frères, et ce malgré les dissensions politiques qui peuvent exister entre nos pays. »
Des peuples frères, héritiers d’une culture aussi riche que complexe. « Quand on naît au Maghreb, on est à la fois méditerranéen, africain, musulman, arabe et européen, » affirme ainsi Hadji. Cinq marqueurs identitaires qui témoignent de la richesse de la culture maghrébine mais qu’il n’est pas toujours évident de conjuguer – d’où l’importance du cinéma qui, par les réflexion qu’il initie, est un outil créateur de sens.
Le cinéma, un outil politico-identitaire ?
Mais alors, si le cinéma maghrébin s’affirme comme le vecteur d’une quête identitaire, est-il encore possible de distinguer le politique et le culturel, comme le demande Oumeziane ?
Oui, car si le cinéma peut se faire le relais du politique, il n’a pas vocation à en être l’instrument. L’intérêt des cinéastes pour le politique est évident, mais leur démarche s’inscrit avant tout dans le domaine de l’art. À cet égard, l’union du cinéma maghrébin s’opère également autour d’éléments formels. Selon la Ministre de la Culture, le cinéma maghrébin partage un même univers, des codes narratifs similaires, des personnages qui se ressemblent. Nabil Hadji précise cette idée d’un courant cinématographique maghrébin : « Pour ce qui est de l’écriture du scénario, les formes changent dans le cinéma maghrébin. La narration classique n’est plus la même. Il existe actuellement des courants novateurs revisitant le cinéma du réel, le documentaire, le drame psychologique. »
La programmation du festival témoigne d’ailleurs de l’émergence d’une nouvelle génération d’artistes maghrébins avides de casser les codes et de renouveler le genre. Cette nouvelle génération bénéficie des progrès de la technologie, qui lui permettent d’être plus spontanée et plus libre dans sa création. « Aujourd’hui, il y a moins de contraintes matérielles et administratives, » souligne Hadji, « ce qui a mené à un bel essor de la production maghrébine. » Le Challat de Tunis, présenté hier salle El-Mouggar, témoigne de cette révolution. Le film du tunisien Kaouther Ben Hania a été tourné avec un simple appareil photo, sans autorisations gouvernementales, et en faisant appel à des comédiens non professionnels. Autant de procédés qui sont communs à tous les jeunes artistes maghrébins souhaitant rompre avec la monotonie du cinéma traditionnel.
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Un cinéma en (re)construction
Il faut toutefois rester prudent. Le cinéma maghrébin, aussi réel soit-il, est un cinéma en construction. Il est notamment important de souligner que c’est un cinéma à deux vitesses. « On ne peut pas comparer les cinémas marocain, tunisien et algérien avec les cinémas mauritanien et libyen, » relève ainsi Nabil Hadji. « Les cinémas mauritanien et libyen ne bénéficient pas encore d’un système de production efficace. Mais certains artistes sont en recherche, et c’est de cette expérimentation que témoignent les films mauritaniens et libyens sélectionnés au Festival. »
Même lorsque l’on se concentre sur les cinémas marocain, tunisien et algérien, les obstacles sont nombreux. En particulier, le cinéma algérien peine à déplacer les foules. « Pour être honnête, il n’existe pas de public cinéphile en Algérie, » reconnaît Hadji. « Les vrais cinéphiles, ceux que l’on retrouve à toutes les avant-premières, dans tous les festivals, ne sont qu’une trentaine. » Une situation qui tranche avec l’âge d’or qu’a connu le cinéma algérien dans les années 60-70. « Cette époque est révolue, » explique encore Hadji. « Aujourd’hui, le cinéma n’est plus une tradition sociale. En France, les spectateurs achètent leur billet 3 jours à l’avance pour pouvoir assister à la projection d’un film en présence de l’équipe. C’est un véritable rituel, ce qui n’est pas le cas ici. En Algérie, beaucoup de jeunes de 20-25 ans n’ont jamais vu un seul film sur grand écran. C’est tellement plus facile pour eux d’avoir recours au piratage et de voir les films sur leur ordinateur portable ! »
Se dessine ainsi en creux le drame d’une rupture générationnelle. Comment et à qui transmettre l’amour du cinéma lorsque les jeunes ne s’intéressent qu’aux grosses productions américaines et ne considèrent pas le grand écran comme un outil essentiel de l’émotion cinématographique ?
Une fois encore, à l’unisson avec les recommandations du rapport Euromed, la lutte contre l’exploitation illégale des œuvres s’affirme comme une politique cruciale pour la survie et la pérennisation du cinéma maghrébin. Mais la seule répression ne peut redonner au jeune public le goût du cinéma. Il est également primordial de mettre en œuvre une politique d’éducation à la cinéphilie. Nadia Labidi le souligne dans sa déclaration. « Il faut faire fructifier les complémentarités, à tous les niveaux, […] jusqu’aux ciné-clubs qui assurent une éducation artistique citoyenne et constituent un vivier de cinéphiles, » écrit-elle.
Au Maghreb aujourd’hui, de jeunes cinéastes interrogent leur région et leur identité. La production cinématographique ne cesse de croître et d’innover, de sorte qu’il est possible de parler d’une relève du cinéma maghrébin. Mais cet essor artistique ne pourra se poursuivre s’il ne trouve son public. Les gouvernements maghrébins doivent donc réfléchir à des politiques budgétaires, logistiques et éducatives, pour que les Algériens, Tunisiens, Marocains, Libyens et Mauritaniens renouent enfin avec leurs salles de cinéma.