Une pléiade de scientifiques, enseignants, chercheurs, archéologues, auteurs…etc, a exhumé l’auteur de ‘L’âne d’Or ou les Métamorphoses’ à l’occasion du colloque international « Regards croisés sur Apulée », organisé par le Haut commissariat à l’Amazighité, du 30 mai au 1er juin 2015 dans sa région natale, Souk Ahras.
Venus des USA, de France, du Maroc, de Tunisie et de différentes régions du pays, les intervenants ont développé tour à tour, trois jours durant, leur communication autour de six axes principaux. La situation géopolitique de la Numidie et de la Méditerranée au IIe siècle ; la vie d’Apulée : son cadre spatio-temporel, son éducation, sa culture ; l’inter-culturalité dans l’œuvre d’Apulée ; l’aspect amazigh dans l’œuvre d’Apulée ; l’influence de l’œuvre d’Apulée dans la pensée maghrébine et universelle ainsi que la réappropriation de l’œuvre d’Apulée, perspectives de réédition, adaptation et traduction.
Développant la thématique de l’«Environnement socioculturel de la Numidie et de la Méditerranée dans l’antiquité», M. El Hachemi Aït Aissi, archéologue de l’Office national de gestion et d’exploitation des biens culturels protégés (OGBC), a insisté sur l’apport indéniable de l’enfant de Madaure au dialogue entre les civilisations du pourtour méditerranéen de l’époque. Dans cet échange inter-civilisationnel, « on ne peut, estime-t-il, se passer d’Apulée ».
Tout en soulignant la complexité de la restitution du contexte spatio-temporel de la Numidie antique, entre environ le Ier s. av. J.-C. et le IIe s. de notre ère, M. Saïd Dahmani, historien-archéologue d’Annaba, estime que l’antique Madauros « serait la tribu principale de la Numidie qui aurait essaimé par la suite ». Y avait-il une vie urbaine dans la Numidie antique ? « Certainement, soutient-il. Des agglomérations, cités et villages, argumente-t-il, existaient déjà et les Romains s’en sont emparés pour fonder leurs villes ».
Au cours de sa communication « L’amazighité dans l’œuvre d’Apulée », le marocain Hassan Benhakeia, de l’université Mohamed Premier de Nador, s’est efforcé, pour sa part, à « déconstruire l’image d’Apulée le grecque et celle d’Apulée le latin ou carthaginois ». Un faux cliché d’après lui. « Presque tous les auteurs qui ont remis en cause le christianisme ont été considérés comme des auteurs mineurs », analyse-t-il. On a donc, d’après lui, tout fait pour les contenir dans le moule officiel de l’époque. Le conférencier souligne ainsi que le prénom de Lucius donné à Apulée n’est autre que celui du « propagandiste de l’Âne d’Or ». Pour prouver l’amazighité d’ Afulay, M. Benhakeia avance, entre autres, « le qualificatif barbare qu’Apulée utilise dans son œuvre pour qualifier des scènes de manière contraire à la définition grecque et latine du terme ». « Apulée n’est ni grecque, ni latin, mais seulement amazigh », affirme-t-il. En revanche, le conférencier estime que Saint Augustin, une autre célébrité de Souk Ahras, « est l’un des premiers à se haïr en tant qu’amazigh ».
Quant à la haine qu’aurait développée l’auteur de ‘Les confessions’ envers Apulée, le docteur Emmanuel Plantade, de l’université Lyon 2, nuance. Il estime ainsi que le titre ‘L’âne d’or’ donné par Saint Augustin aux Métamorphoses d’Apulée « est un compliment ». Dans sa communication « Le récit de Cupidon et Psyché comme témoignage sur la littérature orale amazighe », M. Plantade a souligné que la structure adoptée par Apulée est similaire à celle des contes oraux amazighs et que les motifs qui la composent sont souvent amazighs. Il a ainsi relevé quelques indices culturels, dont la plupart, d’après lui, existent encore en Kayblie. Il a cité ainsi, entre autres exemples, le geste de porter son pouce à la bouche que « les femmes kabyles font en se rendant chez un saint ». Lequel geste est décrit dans un passage du livre d’Apulée. « Plus on se rapproche de l’ancien royaume de Numidie, plus on se rapproche de la source de l’œuvre », déduit M. Plantade, qui estime que « Apulée comprend au moins tamazight ».
Similarités entre Apulée et les auteurs contemporains francophones
Mme Fatima Malika Boukhelou de l’université de Tizi-Ouzou a, quant à elle, développé le thème des « Influences stylistique et scripturaires de ‘L’âne d’or ou les métamorphoses’ d’Apulée sur le roman et le théâtre algériens francophones ». Elle relève ainsi des similarités entre Apulée et « ses descendants » contemporains, notamment Mammeri, Djaout et Mimouni. Pour Mammeri, l’intervenante voit l’influence de « L’âne d’or » dans le titre de sa nouvelle « Le zèbre ». « Or, souligne-t-elle, nous n’avons pas de zèbre ». Djaout est, à son tour, influencé indirectement par l’œuvre d’Afulay, car, d’après Mme Boukhelou, « ‘Les chercheurs d’os’ est une réécriture du ‘Zèbre’ de Mammeri ». Quant à Mimouni, la conférencière note une analogie entre son roman ‘Tombéza’ et le récit de Psyché d’Apulée. Elle a relevé également une proximité de style et de poudre d’intelligence entre Kateb Yacine et Apulée.
M. Hacene Halouane de l’université de Tizi-Ouzou a, à son tour, fait une « Balade dans les métamorphoses : à la recherche de la parenté culturelle ». Cette parenté est, selon lui, berbère. D’après M. Halouane, le récit de Psyché est « presque le même » qu’un conte répandu dans la région de Kherrata, en Kabylie. Le conférencier estime toutefois qu’ « Apulée a une culture méditerranéenne ».
MM. Abdelwahab Bouchtrat, enseignant-chercheur d’Agadir, et Habib Allah Mansouri, inspecteur de tamazight à Tizi-Ouzou, ainsi que Mme Sanae Yachou de l’université Mohamed I de Nador, ont développé l’aspect relatif à la traduction du chef-d’œuvre littéraire d’Afulay à tamazight. Ils ont donc insisté sur la nécessité de traduire ‘L’ane d’or’ en Tamazight, car, d’après eux, il n’en existe actuellement qu’une seule traduction intégrale. Les trois conférenciers ont soulevé l’ « handicap » de la langue latine auquel les auteurs amazighophone sont confrontés, rendant ainsi impossible une traduction vers tamazight de la version originale de ‘L’âne d’or’ écrite en latin.
A souligner que la cérémonie de clôture de ce colloque s’est déroulée au théâtre romain antique de Madaure (actuelle Mdaourouch), lieu de naissance et d’instruction primaire d’Afulay. C’est dans ce lieu très symbolique que les recommandations du colloque ont été prononcées. Elles visent toutes à vulgariser la pensée apuléenne à travers une large diffusion de son œuvre par le biais de la traduction, l’adaptation, la réédition et l’intégration de ses textes dans les manuels scolaires.