Vidéo. De la capoeira dans les rues d’Algérie

Redaction

La capoeira traverse l’Atlantique. En Algérie, de plus en plus de jeunes s’initient à ce curieux mélange d’art martial, de danse et de chant, venu du Brésil. Mais faute d’infrastructures, ils sont contraints de pratiquer leur passion dans des lieux plus ou moins insolites. Reportage.

Ahmed, 27 ans, n’a pas attendu la Coupe du Monde 2014 pour s’intéresser à la culture brésilienne. Ce jeune habitant de Batna, la capitale des Aurès, qui a longtemps pratiqué le  jiu-jitsu brésilien, ne jure aujourd’hui que par la capoeira. Une passion dévorante à tel point que le jeune homme a inscrit la capoeira à la liste des activités proposées par la salle de sports, qu’il vient d’ouvrir dans sa ville natale.

Encore limitée à un cercle confidentiel de pratiquants, la capoeira séduit de plus en plus de jeunes en Algérie. Grâce à un bouche-à-oreille relativement efficace, ils sont environ 200 adeptes, répartis sur douze wilayas. Des écoles de capoeira, qui ne bénéficient encore d’aucun statut officiel, ont vu le jour à Batna, Oran et Alger.

C’est d’ailleurs dans la capitale que la capoeira a fait son apparition en Algérie. Derrière cette nouvelle tendance : Sonic, de son vrai nom Sofiane Krichi. Surnommé ainsi par son « maître » pour sa rapidité d’exécution des mouvements, Sofiane, passé au rang d’instructeur, est aujourd’hui, à 34 ans, l’Algérien le plus gradé de cette discipline. Cet enfant de Bir Mourad Raïs s’est pris de passion pour la capoeira en 2001, après avoir vu le film « La loi du plus fort », réalisé par l’Américain Sheldon Lettich. Mais c’est durant un séjour à Moscou que ce fils d’un diplomate algérien découvre réellement ce sport.

« J’ai découvert la capoeira en 2004 sur Internet »

Entre la danse et l’art martial, la capoeira est une combinaison de mouvements acrobatiques impressionnants. Des roues, des sauts, des coups de pieds retournés, exécutés parfois au ras du sol, par des athlètes, au corps musclé et élancé et à la souplesse féline.

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L’Algérie compte environ 200 capoeiristes.

La tentation de vouloir les imiter est grande. La plupart des adeptes algériens disent d’ailleurs avoir commencé en regardant des vidéos Youtube et en singeant les gestes des capoeiristes professionnels. « J’ai découvert la capoeira en 2004 sur Internet. Au début, c’est le côté spectaculaire qui m’a le plus plu. Avec mes amis, on refaisait les sauts mais on ne comprenait pas que les mouvements avaient un sens », se souvient Réda, 29 ans, qui dit que sa rencontre avec Sonic, en février dernier, a tout fait basculer.

Au début de l’année, Sofiane Krichi, qui a gravi les échelons de la capoeira à l’étranger, jusqu’à devenir une vedette des films d’arts martiaux en Russie, rentre en Algérie avec une idée en tête : « faire rayonner la capoeira » dans son pays. Il prend alors contact, via les réseaux sociaux, avec les quelques passionnés algériens à la recherche d’un entraîneur. Il leur inculque que la capoeira ne peut être réduite à ces pirouettes. Ce n’est pas seulement un sport, c’est toute une culture et ses adeptes sont des  « artistes sans diplômes », répète-t-il à l’envi.

Il leur apprend aussi la genèse de cette culture afro-brésilienne, intiment liée à la traite négrière. La capoeira, dont l’origine du mot reste inconnue, est née dans les champs de cotons à la fin du XVIIIè siècle. Amenés d’Afrique au Brésil par les colons portugais, les esclaves noirs inventent cet art du combat, basé sur l’observation des animaux, qu’ils dissimulent de leurs tortionnaires sous l’apparence d’une danse. Forme de rébellion contre l’Etat raciste, la capoeira perdure au Brésil après l’abolition officielle de l’esclavagisme en 1888, malgré une dure répression de la culture afro-brésilienne jusqu’au début du XXè siècle. Ce n’est qu’en 1930 que la capoeira, hissée au rang de « sport national » au Brésil, finit par être tolérée par les autorités.

« Comme une thérapie » pour les jeunes algériens 

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Réda, 29 ans, a découvert la capoeira sur Youtube. Il est aujourd’hui accro.

Pour Sonic, la capoeira a plus d’un argument pour plaire au public algérien. « Tout le monde peut s’y retrouve. Si on n’est pas bon dans les mouvements, on peut être performant dans le côté artistique, et inversement », glisse-t-il.

Lors des entraînements, après une série d’exercices physiques (pompes, abdominaux etc.), les participants, torse nu et pantalon blanc, forment un cercle et martèle le rythme de plus en plus rapide de la musique. Certains claquent des mains, d’autres jouent des trois variétés de berimbaus, un instrument traditionnel composé d’un fil métallique tendu sur un bâton de bois et d’une petite calebasse en noix de coco, qui sert de caisse de résonance, ou du pandeiro, un tambourin agrémenté de cymbales. Sonic, chef d’orchestre de la démonstration, désigne alors les protagonistes qui vont se livrer à un corps à corps chorégraphié, au milieu du cercle. Un moment d’intense concentration pour chacun des participants. « La capoeira, c’est comme une thérapie : on apprend à se contrôler et on gagne de la confiance en soi », estime Ahmed. Ces apprentis capoeiristes sont unanimes : la capoeira est à la fois « un sport complet » et une école de la vie, qui donne des repères, une hygiène de vie et une morale. « La capoeira parle aux jeunes algériens, qui manquent souvent de discipline », poursuit Ahmed.

C’est aussi, pour ces Algériens, une fenêtre sur le monde. Depuis qu’il s’est mis sérieusement à la capoeira, Ahmed bredouille des mots en portugais. « On n’apprend pas seulement à refaire les mouvements en chantant, on assimile aussi la langue portugaise », confie-t-il. « La capoeira a changé ma vie. Je suis sortie de la routine du quotidien. Je me suis fait de nouveaux amis en Algérie, notamment à Oran et Sidi Bel Abbès, et à l’étranger, comme en Russie », lance Réda, qui espère entreprendre bientôt un petit tour du monde. A la différence des autres arts martiaux, qui divisent ceux qui s’affrontent en combat, la capoeira rapproche les hommes, apprécie-t-il. « On est devenu des frères », sourit-il celui qu’on surnomme désormais Giangrandao. « C’est l’ami proche de Robin des bois. C’est le maître brésilien, lorsqu’il est venu à Alger, qui m’a baptisé ainsi », explique ce propriétaire de deux cafétérias à Batna, l’air honoré.

Bientôt une fédération de la capoeira en Algérie ?

Depuis son retour en Algérie, Sonic rêve de rassembler tous les adeptes dans une fédération de la capoeira. Mais pour l’heure, l’instructeur doit composer avec des conditions profondément spartiates. Ici, rien de formel. Tout espace peut être aménagé en un lieu d’entraînement éphémère. Dans une salle de sport à Hussein Dey, sur la plage, voire même dans une chambre à coucher, Sonic invite sa quarantaine d’élèves, à raison d’une à deux fois par semaine, dans des endroits plus ou moins insolites de la capitale, faute de moyen. « A Alger, on n’a pas de salle attitrée, alors il faut se débrouiller », souffle-t-il.

Même système D dans les autres foyers capoeiristes d’Algérie. Avant l’ouverture du centre sportif d’Ahmed, Réda devait chaque mois débourser de sa poche 5.000 dinars pour la location d’une salle afin de pouvoir s’entraîner avec ses amis.

Pour leur passion, ces capoeiristes en herbe dépensent sans compter. En juillet dernier, ils ont organisé, avec leurs économies personnelles, un festival de capoeira à Bordj el Kiffan, dans la banlieue est d’Alger, durant trois jours, en présence de leurs maîtres, arrivés tout droit des Etats-Unis et de Russie. « Normalement, on leur paye un salaire durant ce genre de cérémonie mais nous on avait assez que pour la prise en charge », dit Réda, sur un ton désolé.

Cette situation n’est pas soutenable sur le long terme. C’est pourquoi les capoeiristes algériens envisagent de créer des associations agréées, et par la suite une fédération, afin de bénéficier des précieuses subventions étatiques. Mais rien n’est acquis puisque dans leurs démarches administratives ils disent faire face au désintérêt des autorités. « C’est un problème de mentalité. On n’est pas pris au sérieux. C’est différent au Maroc ou en Tunisie, où la capoeira se développe plus rapidement parce que les pratiquants sont soutenus par les politiques », regrette Sonic. Malgré tout, les capoeiristes d’Algérie ne sont pas prêts de poser un pied à terre.

Regardez la vidéo : En juillet dernier, les capoéristes algériens ont reçu une délégation de Russie