Artiste franco-algérien, Hakim Mouhous, sculpteur, présente un large bestiaire accompagné parfois de figures historiques, culturelles et religieuses telles que : François Ier, les Beatles ou encore la Vierge. Cette prédominance du monde animal ne témoigne pas d’une fascination. Entérinant le principe structuraliste d’une dichotomie entre la nature et la culture, il n’y a aucune naïveté dans ce bestiaire.
L’homme, cet être culturel, plonge dans l’inconnu, la nature d’où pourtant il est issu, pour se laisser porter par l’étrangeté. C’est avec une grande virtuosité et un sens aigu de l’observation que l’artiste nous livre des grenouilles, des gazelles, des éléphants, des ours, des girafes… dont la présence au relief marqué s’incarne dans des volumes ondulant dans le vide.
C’est tout d’abord le dessin qui s’est imposé à l’artiste dont la sculpture peut être conçue comme une libération de la ligne du support qu’est la feuille, pour se développer librement dans l’espace. Le fil de fer s’affirme comme une évidence, pour l’artiste, dans sa capacité à se déployer avec une certaine fluidité et à restituer un mouvement dans une impression d’apesanteur. L’utilisation d’un papier particulier dans ses sculptures est une seconde étape qui trouve son origine dans les décors de théâtre, lorsqu’assistant scénographe au théâtre de l’Odéon, l’artiste confectionnait une voile de bateau. Le papier est dès lors appliqué sur les structures métalliques pour définir des surfaces et des volumes. Il est tout d’abord encollé et renforcé avec de la résine, matière qui sera abandonnée par la suite pour lui préférer la colle à papier murale qui suffit à lui donner une certaine dureté.
Le papier s’assimile, selon les propres mots de l’artiste, à la peau qui est certes l’enveloppe du corps mais littéralement l’interface avec le monde sensible. C’est à Didier Anzieu que l’on doit une compréhension tout à fait originale de la peau avec le concept de « Moi-peau » afin de créer une homologie entre les fonctions du moi et celles de notre enveloppe corporelle, comme mode de résolution des conflits et source d’expériences. Avec le papier, l’artiste ne traduit pas l’ensemble du volume de l’animal, mais définit une nouvelle enveloppe plus intime et expressive, faite de surfaces et de volumes aux circonvolutions parfois complexes. La peau, cette surface sensible et protectrice exprime l’absence de la parole que l’artiste travaille de manière spontanée et délicate. La colle peut être lue d’ailleurs sur le mode de la réparation, car elle est une façon de réparer la peau. L’écriture, qui parsème parfois discrètement les socles de ses sculptures, se donne tel un secret, des pensées libérées gravées dans la matière.
Les différentes patines appliquées sur le papier, correspondent certes à des périodes de créations par l’emploi du bitume, de l’acrylique, de la crème de ferronnerie, mais confèrent à ses fragiles surfaces des volumes qui se dessinent dans le vide. La patine engendre parfois des informations paradoxales : fragilité au touché, dureté au regard, principalement avec la crème de ferronnerie à base de graphite créatrice de reflets métalliques.
Entre opacité et transparence, la sculpture se métamorphose sous l’effet de la lumière qui filtre plus ou moins à travers les surfaces, se reflète dans des tonalités étonnantes. L’artiste nous offre ainsi une vision quasi magique de l’animal pris en plein mouvement, parfois dans une course effrénée telle une apparition.
Véronique Perriol
Interview.
Algerie-Focus.Com : Vos sculptures sont constituées de papier à cigarettes et de fil de fer, pourquoi avez-vous choisi ces matériaux ? (voir photos ci-dessous)
Hakim Mouhous : En fait, ce sont plutôt ces matériaux qui m’ont choisis : Je me souviens, à l’école maternelle, d’un petit bonhomme en pâte à modeler que je tentais désespérément de faire tenir debout, il tombait, s’affaissait et je le redressais
et il tombait … 40 ans plus tard, alors que je noircissais de dessins des feuilles blanches, le dernier dessin se dressa sous la forme d’un footballeur en position de tir !
Enfin il tenait, il était en fil de fer que je matiérai de terre autodurcissante. Ainsi me furent révélées la structure et la sculpture.
Quant au papier à cigarette, je l’ai rencontré sur la table de ma cuisine sur laquelle je construisais une maquette de bateau pour un décor de théâtre. Au moment de fabriquer la voile, j’utilisai une feuille à rouler avec un peu de gouache pour le collage. Au séchage, l’effet de tension et de translucidité me ravit ! J’adjoignis peu à peu le papier à cigarette à mes sculptures au point, quasiment, de leur donner le premier rôle.
Ma sculpture est une « dialectique » du fil de fer et du papier à cigarette : le fil de fer est dur, oxydé et sale (j’utilise du recuit), physique dans son formage, rapide quant à son élaboration. Il marque par son trait, la limite du dedans et du
dehors, il fait tenir.
Le papier à cigarette que j’encolle feuille par feuille est souple (bien que tendu à l’issue du séchage), léger, translucide, très lent quant à sa délicate mise en forme, il tient par son propre encollage autour du fil de fer, il donne la forme et ainsi la raison du trait.
Pouvez-vous préciser cette dialectique ?
« Ma sculpture n’est pas anatomique mais dialectique » voici la phrase qui s’échappa de ma bouche… Qu’en dire?
Que c’est une sculpture de l’ordre du discours, non pas d’un monologue mais d’un dialogue interne où 2 locuteurs se portent la contradiction. C’est en cela que le fil de fer et le papier à cigarette s’inscrivent dans cette confrontation entre 2 modes d’expression opposés. Dans le meilleur des cas, le résultat obtenu réunit sans les confondre le Ying et le yang vital pour offrir la représentation essentielle de l’objet en question, nécessairement réaliste (Ours, Girafe …) pour permettre le voyage du sens.
Le papier dit : Je suis ta peau, surface lisse et tendue, fine enveloppe sans frontière, vierge et translucide de ton corps où tu te couches!
Le fil de fer dit : je suis ton bord, ta coupure, ton écriture et ton garde du corps!
Dans cette chanson, la structure c’est la musique et le papier, les paroles; l’interprète est le spectateur.
Cela a pu fonctionner quand j’ai bien occupé la place de passeur.
Du passeur ! Porter vers quoi ? Qui ou quoi pensez-vous faire traverser ?
Ô parfaite image du Bouddha à la fin de son voyage qui fait traverser sur un bac, sans être reconnu, les princes partis à sa recherche tandis que le fleuve murmure : « ooom… », ou bien celle de l’assiette par laquelle passe la nourriture!
Aphorismes : « l’objet réussi, c’est l’objet qui était déjà là, mon travail consiste à le rater le moins possible. » « Je suis au service de ce qui se qui est à créer »
Interview réalisé par Fadéla Hebbadj