L’ouverture officielle du département des arts de l’Islam au Musée du Louvre à Paris vise à redonner sa grandeur à une culture encore méconnue en Occident.
En se rendant au Musée du Louvre, à Paris, le 22 septembre, les stations de métro Concorde et Champs Elysées, à proximité étaient fermées. «Par mesure de sécurité», entend-on, en prévision d’une possible manifestation d’extrémistes religieux.
Dans les quotidiens du matin, l’islam fait les gros titres avec des termes comme «salafistes», «extrémistes» ou même«fanatiques» qui apparaissent de façon récurrente.
Le climat n’est pas des plus cléments pour une culture qui se voit depuis quelques semaines au centre de l’attention médiatique.
L’islamophobie est une des conséquences de cette actualité qui fait souvent l’amalgame entre les dérives religieuses et l’Islam en tant que culture. On ne voit plus que la religion dans le terme Islam qui se réfère aussi à la civilisation.
C’est à cette terminologie que rend hommage le Musée du Louvre dans le département nouvellement consacré aux arts de l’Islam.
En entrant dans la verrière dorée, la transition fait son effet entre la place de la Concorde précieusement sécurisée par des camions de police et la vaste cour Visconti où des pièces de Syrie, Egypte, Iran, d’Irak et d’Azerbaïdjan sont réunies.
Ces pièces qui ont été en partie acquises au XIXe siècle par des collectionneurs et hommes de pouvoir en quête de nouveaux modèles artistiques, reflètent une «islamophilie», passion pour l’orientalisme et la civilisation islamique que le Louvre tente de ressusciter aujourd’hui.
Ne pas laisser l’islam aux djihadistes
«Je pense que c’est bien que cette ouverture arrive à ce moment. Aujourd’hui les gens ne comprennent pas ce qu’est l’Islam. L’exposition force à un peu d’humilité, quand on voit la richesse de cette culture. Personnellement, je suis catholique et cela ne m’empêche de venir admirer cette exposition», témoigne Anne.
Cette dame venue avec son mari, fin connaisseur, s’extasie devant les carreaux de revêtement datant de l’empire ottoman. C’est d’ailleurs l’ambition politique assumée par la directrice du département, Sophie Makariou, qui déclare dans son introduction: «L’islam fait beaucoup débat aujourd’hui. Pourtant, il faut accepter ce terme —ce que nous avons fait. Redonner sa grandeur à l’Islam et ne pas le laisser aux djihadistes et à ceux qui le salissent est fondamental.»
Plus qu’une ouverture politique, c’est aussi un aspect pédagogique qui est mis en avant face à une certaine méconnaissance de la culture islamique. Peu avant l’ouverture du département du Louvre, la directrice de l’Institut des cultures d’Islam de Paris avait écrit un livre, Islamania, Histoire d’une fascination artistique avec le même objectif, changer la vision «négative» de l’Islam qui était véhiculée dans les médias ou les discours politiques, d’après elle.
En remontant aux origines de la civilisation islamique, le département met ainsi en valeur près de 3.000 pièces rapportées, soit des dons du British Museum, soit des achats du Louvre ainsi qu’une grande partie des œuvres du musée des Arts décoratifs. Après plus de dix ans de travail et un budget de 100 millions d’euros, le projet entériné par Jacques Chirac a pris forme.
L’ancien président déclarait en 2005 vouloir «rappeler aux Français et au monde l’apport essentiel des civilisations de l’Islam à notre culture».
Les textes tout comme les différents outils interactifs qui défilent au cours de la visite permettent aussi de mieux «comprendre» cette culture souvent stigmatisée.
Le «cabinet des clés», sorte d’espace multimédia permet aussi de mieux étudier la relation entre religieux et profane dans l’art islamique ou de revenir sur l’évolution historique.
Entre politique et pédagogie, l’enjeu était d’attirer un public diversifié pour le premier jour d’ouverture.
La diversité des visiteurs était au rendez-vous-même si l’affluence est restée modérée. Touristes, Parisiens, mais aussi des jeunes d’origine maghrébine comme Fawzi Bouhnach, un jeune homme de 32 ans d’origine marocaine, heureux de voir sa culture représentée dans le pays où il réside.
Pour lui l’avantage de l’exposition est de pouvoir admirer des pièces provenant de pays où il est difficile de se rendre aujourd’hui comme la Syrie ou l’Iran. Il s’est attardé spécialement devant les certains travaux sur bois de Fès ou encore les mosaïques qui lui rappellent celles de la mosquée de Hassan II à Casablanca.
Quant à Amine, Yassine et Mehdi, trois Français, deux d’origine algérienne et un d’origine marocaine, ils se disent ravis que l’ouverture arrive dans un tel contexte. Ils se prennent en photo un à un devant des vitraux venant d’Egypte qui datent du XVIIIe siècle: «Nous sommes tous les trois musulmans et c’est vrai qu’il y a un contraste entre l’image assez négative qui est montrée actuellement et ce qu’il ya dans le musée»,constate Amine.
Pour ce premier jour de test avec le public, le Musée du Louvre semble avoir rempli sa mission avec ce nouveau département «qui s’impose comme un lieu à la fois témoin et carrefour d’une compréhension mutuelle; une passerelle entre Orient et Occident, qui parleront de leurs différences, mais aussi de leur histoire commune», écrit Sophie Makariou, dans le livre consacré au département.
Volontairement aussi, les œuvres ne sont pas classées selon le pays, mais plutôt par ordre chronologique. Si bien que les diverses influences se retrouvent à chaque étape de la visite. On trouvera les influences des dynasties Umayyade, Ottomane, Moghole, Mamlouk dans les pièces mais aussi de la civilisation grecque.
Dans un espace où les écritures coraniques en caractères calligraphiques côtoient la croix d’une église sur une mosaïque, il semble encore permis de rêver à un art médiateur et réconciliateur.
Lilia Blaise, publié sur Slate Afrique