L’exilé algérien, un ouvrier traité comme un «bougnoule»

Redaction

 La Cité de l’immigration, à Paris, retrace le quotidien des Algériens en exil en France pendant la guerre d’Algérie.

«C’était dangereux de rester en Algérie. Dans le village, nous étions entre le Front de libération nationale (FLN) et les soldats français. Avec les enfants, j’ai rejoint mon mari Lakdhar, en France, dans les bidonvilles de Nanterre (près de Paris). A cette époque, il conduisait des grues», me confie Zohra, une magnifique grand-mère, dont les tatouages sur le front et le menton évoquent une époque révolue.

Cinquante ans après la fin de la guerre d’Algérie, la Cité nationale de l’histoire de l’immigration retrace le quotidien des travailleurs algériens en France, entre 1954 et 1962.

Des Algériens qui, comme Zohra et Lakdhar, ont rejoint par milliers les périphéries des grandes villes françaises, comme Paris ou Lyon. Ils ont fui un pays en guerre pour tenter leur chance dans un pays en pleine reconstruction, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

Pendant cette période, l’immigration s’accélère et le nombre des ressortissants algériens passe de 220.000 à 350.000 personnes, en France.

Au départ, seul des hommes font le voyage, avant d’être rejoints par leur femme et leurs enfants. Des familles entières, en exil en France, vivent ainsi une guerre de décolonisation qui déchaînent les passions et les fantasmes de chaque côté de la Méditerranée.

Ces Algériens exilés sont à la fois animés par un sentiment nationaliste fort et désireux de s’intégrer dans leur pays d’accueil. Ils sont «là et ailleurs», comme l’écrivait si justement le poète et romancier algérien Kateb Yacine.

Vies d’exilés algériens en France

A travers plusieurs supports, l’exposition plonge le visiteur dans leur exil à travers: musique, photographie, vidéo, peinture et même la littérature. L’on peut ainsi s’imaginer transporté dans les cafés maures de Paris, aux côtés de ces clients maghrébins qui jouent au domino, clope au bec.

Des tables sont mises à disposition et les visiteurs peuvent s’y installer en écoutant le chanteur kabyle Slimane Azem, représentant d’une génération d’hommes contraints à s’exiler vers un monde inconnu.

Les «Nord-Africains» ou les «Français musulmans d’Algérie» —c’est ainsi qu’ils étaient identifiés en France— n’étaient pas des hommes comme les autres. De fait, la guerre d’Algérie a eu ses résonnances françaises. On retient la ratonnade du 17 octobre 1961, mais également les conditions précaires dans lesquelles les familles algériennes ont vécu dans les bidonvilles de Nanterre ou de Gennevilliers…

Des bidonvilles aux portes de Paris

 

Des conditions sociales et une discrimination que des mouvements ouvriers algériens associent au système colonial. Ces mouvements rattachent la libération sociale des ouvriers algériens à l’indépendance politique de l’Algérie. Les deux luttes sont intimement liées:

«L’ouvrier algérien qui vient travailler en France est un ouvrier dont le pays est colonisé. Victime d’un traitement discriminatoire de la part de ses employeurs, de ses logeurs et de la population française en général. L’ouvrier algérien lie à juste titre son sort misérable à la dépendance politique de son pays. La lutte contre la double expression nationale et sociale est d’abord une lutte contre le système colonialiste», peut-on lire dans un numéro datant de 1957 du mensuel L’Ouvrier algérien.

Beaucoup d’ouvriers habitaient les bidonvilles «à moins de trois kilomètres de la place de l’Etoile», rappelle un documentaire de l’INA projeté dans une salle de l’exposition. Des images d’archives sur les bidonvilles de Gennevilliers qui étaient censées, à l’époque, alerter l’opinion publique sur les conditions de vie déplorables et souvent inhumaines des «Français musulmans d’Algérie».

Certains journaux avaient même osé une comparaison avec les bidonvilles de Calcutta, en Inde.

Des bicoques faites de briques et de broc et surtout de tôles qui ne résistent pas aux durs hivers de 1949 et 1954. De véritables «tanières» où des familles de cinq à six enfants vivaient. Ils dormaient souvent tous dans la même pièce.

Monique Hervo a vécu douze ans parmi les Algériens dans les bidonvilles de Nanterre. Dans ses chroniques issues du livre Nanterre en Guerre d’Algérie, réédité chez Actes Sud, elle livre son témoignage:

«Août 1959. Route déserte. Terrains vagues abandonnés. Quelques talus barrent l’horizon. Ça et là, un arbre perdu, esseulé. Au loin, s’élancent une multitude de blocs HLM sortis de terre de fraîche date. La chaussée devient chemin de terre. S’élève un peu. Et, comme posé sur un plateau, surgit un monstrueux amas de cabanes. Des milliers de tôles enchevêtrées se mêlent à des briques cassées: La Folie.»

D’autres Algériens, plus chanceux, vivaient dans les nouveaux HLM (habitation à loyer modéré) construits après la guerre. Quand d’autres demeuraient encore à la merci des marchands de sommeil parisiens qui leur réclamaient des milliers de francs pour avoir droit à une chambre.

Un Algérien interrogé pour le documentaire confie son désarroi face à une situation qui ne lui laisse guère de choix. Soit il accepte de payer la somme exorbitante demandée par l’hôtelier, soit il rejoint ses camarades dans les bidonvilles situés aux portes de la capitale.

«On nous appelait les bougnoules et les bicots»

Abdelkader Zennouf, né à Zemoura en 1948, et immigré en France en 1951 se remémore ses souvenirs d’enfance avec émotion. Il dit ne pas avoir été plongé dans la guerre d’Algérie. Comme si on avait voulu l’épargner:

 «La guerre d’Algérie, on l’a survolé.»

Il préfère parler de sa passion pour la radio. Il revoit encore le transistor sur une étagère, installé de telle sorte que les mains des enfants ne l’atteignent pas. Mais le jeune Abdelkader attendait tous les soirs avec impatience que son père aille dormir pour l’allumer discrètement et veiller toute la nuit.

Plus tard dans son témoignage, il raconte toutefois comment ses amis algériens étaient chassés des bals populaires.  

«On nous appelait les bougnouls et les bicots», poursuit-il.

Même s’il l’a survolée, la guerre d’Algérie l’a parfois rattrapé dans son quotidien d’Algérien vivant en France.

Ségrégation, intimidation et répression

Des notes du ministère de l’Intérieur et des articles de presse témoignent du climat de psychose qui régnait en France autour de l’afflux d’immigrés maghrébins. Tant et si bien qu’il existait des séances de cinéma réservées aux noirs-Africains. Les Français avaient peur. Peur de l’autre venu d’Algérie et comparé à un sauvage, un vagabond, un harceleur en puissance. Et les unes de la presse française en sont le triste reflet:

«30.000 agents parisiens passent à l’attaque contre les tueurs nord-Africains.»

Dans un article daté du 13 mai 1958, on peut lire que Paris était devenue une «capitale musulmane» encore plus importante que Constantine, qui compte 105.000 habitants, alors que Paris, selon le même article compte 150.000 musulmans.

Autre exemple:

«Une émeute révèle en plein Paris la médina de la goutte d’or», lit-on dans un numéro du magazine Paris Match daté du 30 août 1955.

Dès 1958, des institutions spécifiques sont créées dans le but de surveiller les immigrés, notamment le service d’assistance technique aux Français musulmans d’Algérie. Pour la police, ils étaient déjà suspects avant même d’avoir commis un crime.

Discriminés, «les Français musulmans d’Algérie» ont subi jusqu’en France la guerre qui sévissait au bled.

Une guerre d’Algérie qu’on présentait souvent comme lointaine, alors qu’elle avait des résonances très fortes en France. Au bas de votre immeuble ou dans la rue d’en face.

Exposition du 9 octobre 2012 au 19 mai 2013 à la Cité nationale de l’histoire de l’immigration

Nadéra Bouazza

Article précédement publié chez notre partenaire slateafrique