Interview du poète Téric Boucebci : « Tous, nous sommes porteurs d’une sensibilité au monde »

Redaction

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Téric Boucebci est Président de la Fondation Boucebci. Il contribue à la Revue 12×2; revue contemporaine des deux rives et aux États-Unis à la Revue Osiris. En France, il participe aux revues les Archers, Autre Sud, Gratte Monde, Anthologie du Danube. Et enfin en Belgique, à la Maison de la poésie du Namur.
En 2006, il devient Expert Principal, chargé de la planification et de la coordination pour le projet ONG2 .
12×2 est une revue de poésie où trône la lune au-dessus de la lettre presque centrale. Le soleil éclaire le toit du mot, finement, le matérialisant en croissant. Sous une belle étoile, nos contemporains poètes, du Nord au Sud, nous livrent leurs contemplations. Des tapisseries s’écrivent pour réunir les deux rives de la méditerranée.
Cette union poétique renferme un immense projet qui appartient à Téric Boucebci. A travers ses revues de poésies (Phoenix et 12×2), il réalise l’acte par lequel la conscience humaine met en œuvre un idéal politique. Téric Boucebci semble avoir foi en la possibilité d’un tel chemin, mais ce travail passe par la poésie, par la plus merveilleuse création de l’homme. Il y a, dans la revue, créée en 2003, la dimension d’un pacifisme éclairé, celle d’abattre les frontières à coups de mots afin d’outrepasser les querelles médiocres de la vie ordinaire. Au-delà des vieilles tragédies humaines, où ne sort vainqueur aucun adversaire, au-delà d’une terre où gît les damnés et les assassinés, des étoiles investies d’une mission, chargent et charment nos yeux d’une évasion salutaire.
Téric Boucebci accompagne cette conscience neuve, certaine de se concrétiser à partir d’un langage d’essence claire, dans le jeu de l’intime. Sa poésie se présente sur un fond libre et serein. Et soudain, nous éprouvons un besoin de nous abriter sous les grandes ailes du phénix. Une réconciliation curieuse nous prend de reconquérir la vie. L’éclaircissement des cultures doit être produit par la Raison qui elle-même générera un besoin d’émancipation des consciences, une confiance aux forces libératrices qui s’exerce surtout sous la forme de la création.

Rencontré au salon du livre Berbère de Montreuil, Téric Boucebci a accepté de répondre à nos questions.

Interview

Algerie-Focus.com : votre revue de poésie rend hommage à Himoud Brahimi, poète et comédien algérien, s’agit-il d’une décision personnelle ?

Téric Boucebci : 12×2 est une revue dont la philosophie est de réunir des poètes de différentes rives avec des poètes d’Algérie. La rencontre se fait dans la revue. Elle devient un espace qui s’inscrit comme source de réflexion sur la connaissance de l’autre, de sa culture à travers les auteurs, leurs écrits. C’est aussi un lien entre les générations et présenter ou représenter des auteurs, des femmes et hommes de lettres qui ont marqués la littérature et la poésie en Algérie tels que Himoud Brahimi, Anna Grecki, Bachir Hadj Ali, Djamal Amrani et tant d’autres. Les faire connaitre ou reconnaître, c’est aller à la source qui nous a nourri, la partager.

9 – Pourquoi avez-vous intitulé votre revue de poésie, 12×2 ?

Ce nombre est d’une très grande richesse symbolique. J’en dirais quelques mots pour l’essentiel. Cela renvoie tout d’abord au fait qu’un vers constitué de douze syllabes est un alexandrin et que les tragédies, les poèmes épiques sont ordinairement écrits en vers alexandrins.
La philosophie d’humanisme et d’universalité que veut porter la revue 12×2 peut se définir dans la conception du chiffre douze que les cultures Dogons et Bambaras du Mali en ont, à savoir qu’il est, pour elles, le symbole du devenir humain et du développement perpétuel de l’univers.

Réunir douze poètes d’Algérie et douze poètes d’une autre rive c’est réaliser un équilibre qui fait un tout et non deux parties assemblées.
Il y a de fait l’esprit du quotidien mais aussi celui de la question du sens à donner à la vie. Que fait-on d’une journée semble ainsi venir questionner 12×2 ? Le soleil et la lune, par leurs cycles donnent un sens à la continuité des jours et leurs positions dans le ciel indiquent les saisons. Le nom de la revue est volontairement à double niveau. Le visible et l’invisible y sont réunis. Comme cet autre, qui au-delà de notre rive reste à découvrir, il nous faut passer de l’inconnu à… l’un connu. Le nommer pour le faire exister.

Vous êtes psychologue et poète, pensez-vous que l’on devient poète comme l’affirme Himoud Brahimi ?

Si l’on se réfère au mot grec qui a donné le mot poésie, à savoir poiein, et qui signifie créer, alors le poète est celui qui crée des images, des émotions en usant des subtilités de la langue. Est alors poète celui qui fait cela. Tous, nous sommes porteurs d’une sensibilité au monde.
Devenir poète n’est possible à mon sens que lorsque l’on prend le risque de créer de la poésie. En l’exprimant, nous explicitons notre perception. Nous permettons à l’Autre, ce même que moi en humanité et pourtant si différent, de nous approcher.

Vous dites que les mythes et les légendes vous inspirent, en quoi, selon vous, sont-ils une source pour la pensée créatrice ?

L’origine des choses est bien le sens de ma démarche. Il s’agit d’un questionnement sur le sens que nous donnons à la mémoire véhiculée par les mythes et les légendes. Remonter dans le temps, ouvrir un livre et prendre le temps de comprendre les liens des évènements entres eux.
C’est en cela qu’ils nourrissent la pensée créatrice. Regarder Alger en 2011 sans la relier à Ikosim, sa première dénomination, c’est faire fi de son histoire et la placer dans une logique d’immanence qui crée un non sens pour celui qui l’habite ou la visite. Alger à une histoire de près de 2500 ans. Phéniciens, grecs, turcs, arabes, français, s’y sont succédés. En 2011, les algérois sont récipiendaire de ces cultures.
Cervantès a fréquenté les geôles d’Alger et a vécu dans certaines grottes de la côte. Le redécouvrir entre autres par la voix de poètes, femmes et hommes de lettres en la personne de Zineb Laouedj et Waciny Laredj incite à poursuivre cette visite de nos mémoires. Il nous faut faire une véritable anamnèse afin de savoir se situer dans un espace, un lieu, le désigner comme source de repères et s’en inspirer pour dénouer les tensions, les problèmes, lentement tissés au fils du temps entre les hommes, dans leur société.
Cela nous demande d’affronter ses démons qui hantent les sous-sols de nos mémoires. De retrouver ces légendes et ces mythes qui ne manqueront pas d’inspirer les créateurs.

Vous vous définissez comme un poète méditerranéen, y-a-t-il des lieux de culture ou des origines poétiques ?

La Méditerranée, c’est le monde de la ville. Un ensemble de civilisations y naissent et y disparaissent. La mer y joue un rôle déterminant. La méditerranée est un espace où langues, civilisations, cultures, économies, traditions se sont côtoyées et continueront de l’être. Quel que soit le lieu où ses vagues viennent s’échouer, elle est presque tout le temps désignée comme la mer du milieu, la mer d’entre les terres, elle réunit, elle relie. Et dans le même temps, elle indique la nécessité de l’effort pour se connaître. Elle ne sépare pas, mais invite à la découverte. L’Odyssée nous en montre les possibles, l’imaginaire qu’elle porte. . Aller, d’Alger à Alghero en Sardaigne ou à Marseille, par la mer, est un voyage de rencontres vers d’autres cultures.
Mon cheminement est d’aller de soi vers l’autre et non pour soi mais pour l’autre, pour ce qu’il est.

La poésie n’est-elle pas au-delà de toutes les cultures ?

La question est essentielle. Elle fait référence à ce que nous recherchons à travers l’écriture et la poésie en particulier. Saint John Perse a une formule que me rappelle parfois Yves Broussard, poète d’une subtilité éblouissante, et ami, que je vous livre : « « Poésie sœur de l’action et mère de toute création. Initiatrice en toute science et devancière en toute métaphysique: elle est l’animatrice du songe des vivants et la gardienne la plus sûre de l’héritage des morts ». Je le rejoins entièrement. Je définis la poésie comme la production du poète, cet artisan de la cité, ainsi que le désignait Homère. J’écris poète : peau-être. A mon sens, le poète doit, pour exister, abandonner ce qui le protège pour dire ce qui est essentiel de lui-même et libérer ainsi une parole vraie, forte, créatrice.

Combien de revues avez-vous réalisé ?

A ce jour, 5 numéros de la revue 12×2, revue contemporaine des deux rives, sont parus. Le dernier numéro est consacré à la poésie américaine contemporaine et a exigé près de deux ans de travail pour les traductions auxquelles se sont attachées de nombreux amis. 12×2 est un lieu de travail qui rassemble les énergies et permet de réaliser une œuvre collective.
Construire à plusieurs des liens, au-delà des frontières matérielles et produire un ouvrage écrit qui traduit cette volonté a un sens particulier, celui de porter un regard sur d’autres sociétés, d’autres cultures. Les quatre premiers numéros ont été consacrés à la poésie belge, canadienne, française et permis de réaliser un numéro spécial Alger-Marseille.
Plusieurs numéros sont en cours de préparation avec des poètes tunisiens, grecs, roumain et écossais. La revue parait en fonction du temps que chacun accorde. Il s’agit dans un monde rythmé et cadencé par le temps de nous l’accorder.

Abderrahmane Djelfaoui collabore avec vous depuis combien de temps ?

Il y a dans le fait de se réunir un rapport à l’autre qui me construit. Travailler à plusieurs pour un ouvrage c’est d’une certaine façon développer une réflexion sur la société et nos rapports. C’est ainsi qu’est née en 2003 la revue 12×2, revue de poésie que j’ai créée avec mon ami Abderrahmane Djelfaoui. Nous avons imaginé la revue pendant deux ans avant d’en réaliser le premier numéro.
Il en a été de même en 2010 avec la revue PHOENIX, revue marseillaise dont je suis membre du conseil de rédaction et qui s’est faite simplement, par la volonté de mémoire qui animent les poètes qui s’y sont réunis (Yves Broussard, Françoise Donadieu, Joëlle Gardes, Daniel Leuwers, Jacques Lovichi, Jean Orizet, Jean Poncet, Frédéric Jacques Temple, André Ughetto) dans la filiation de la revue Autre SUD, elle-même fille de SUD elle-même issue des Cahiers du SUD qui à l’origine avaient été nommé Fortunio, revue créée par Marcel Pagnol en ..1914.

Est-ce en hommage à votre père assassiné (15 Juin 1993), que vous avez décidé de créer des revues de poésie ?

La tradition orale est forte et porte de génération en génération les traces de vies passées. La poésie est un de ses supports. L’idée de créer 12×2 est née en 2001. Cette année là, un ami, Richard Martin, directeur du Théâtre Toursky situé à Marseille, décide de mettre en place l’odyssée 2001. L’idée était formidable. Avec le Constanta, un bateau désarmé que la marine roumaine prêtait pour l’occasion, il s’agissait de faire le tour de 19 villes méditerranéenne pendant l’été 2001. La mer Méditerranée accueillerait une ambassade de la paix, la culture et l’utopie, symbolisée par un navire. A son bord, des artistes, des poètes, des créateurs et une envie profonde de rapprocher les cultures. L’escale est un moment fugace, aussi, l’idée de faire une revue de poésie qui permettrait de poursuivre ces échanges, traverser les frontières et le temps qui m’habitait a pris forme. Deux ans plus tard, je co-organisais le printemps des poètes a Alger et lançait la revue 12×2 ;

Vous auriez pu écrire vos poèmes dans divers Maison d’Editions ? Vous fallait-il absolument une revue rattachée à la Fondation Mahfoud Boucebci ?
Pour ce qui est de ma poésie, elle est éditée par des maisons d’édition. La revue elle a été confrontée à une nécessité. Faute de pouvoir éditer la revue par une des maisons d’édition existantes, la publication à travers la Fondation s’est imposée. Cela a pu se faire car la revue représente un des deux axes de travail de la Fondation, à savoir la culture. En effet, la Fondation a dès sa création inscrit ces lignes directrices inspirées de la démarche du professeur Boucebci, la santé mentale et la culture.

Interview réalisé par Fadéla Hebbadj

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