Après l’Espagne en 2007, puis les Balkans en 2008, le festival Rio Loco, organisé par la ville de Toulouse, a invité pour sa 15e édition des artistes du Maghreb. Manifestation pluridisciplinaire qui s’étend à travers la ville durant le mois de juin, Rio Loco propose une importante programmation musicale, dont l’essentiel est concentré sur cinq jours, du 17 au 21 juin, sur le site de la prairie des filtres, en bord de Garonne.
C’est là que le public a afflué en famille, au bord de l’eau, avec poussettes, panier pique-nique, curiosité ou simple envie de fête. Vrai succès populaire, Rio Loco aura attiré plus de cent mille personnes sur la prairie, soit un peu plus qu’en 2008, selon une déclaration des organisateurs dimanche 21 juin, à quelques heures de la soirée de clôture avec Rachid Taha, Maurice El Medioni, Abdelkader Chaoui et Kamel El Harrachi.
Cette affluence n’était pas acquise, commente Christine Tillie, directrice artistique de l’événement. « Il y a eu des pressions, des craintes, des rumeurs. » Certains riverains ont fait part de leur hostilité vis-à-vis du thème de la programmation ou ont évoqué des « bandes des cités » prêtes à envahir le centre-ville. « On a des manières un peu sauvages, mais ce sont nos méthodes. » Le chanteur d’origine algérienne Amazigh Kateb, sur la grande scène, samedi 20 juin, rigole de ces crispations en lançant à la volée de petites bouteilles d’eau pour rafraîchir les premiers rangs.
L’ancien leader du groupe grenoblois Gnawa Diffusion, dissous en 2007, présente à Toulouse son nouveau projet discographique. Auto-produit, pas encore baptisé, l’album sera disponible en octobre sur son site (www.amazighk.com) et vendu dans les concerts. Une manière de surmonter la crise du disque.
A Rio Loco, le chanteur, né à Alger en 1972, installé en France depuis 1988, fils de l’écrivain et dramaturge Kateb Yacine (1929-1989), rappelle l’importance de résister. A la crise, aux clichés et au tout- venant des idées « nauséabondes ». Il dénonce les impérialismes, dit la colère et la rage au fond du ventre, parle dans l’une de ses chansons des « ombres du passé qui ne veulent pas disparaître », fait sauter le public le poing levé. En se marrant.
Amazigh Kateb entraîne à danser sur une musique métisse croisant transe des gnaouas du Maroc et raggamuffin jamaïcain. Il sait la force de la facétie, le pouvoir de l’humour. Un mode de survie souvent, une précieuse « soupape de sécurité ». « Je me reconnais dans l’insoumission de mon père, et je sais que je la porte volontiers », explique Amazigh Kateb. Il a mis en musique deux poèmes de son père. Devoir de mémoire ? « Besoin de mémoire », rectifie le chanteur.
Sur la scène, le même soir, avant lui, sveltes et le costume impeccable, deux vétérans du raï oranais, Boutaïba S’ghir (né en 1945) et Belkacem Bouteldja (né en 1951), invités par le guitariste algérien Djamel Laroussi, ont fait à leur manière l’éloge de la mémoire, réinterprétant quelques-uns de leurs succès des années 1960-1970.
Et peu avant une heure du matin, le saxophoniste Archie Shepp retrouve le Dar gnawa de Tanger, les musiciens, chanteurs, danseurs gnaouas qu’il a rencontrés la première fois en 1999, au Festival d’Essaouira, au Maroc, où l’on célèbre chaque année la musique et la culture des gnaouas, descendants d’esclaves amenés d’Afrique noire au Maroc. « Je suis là parce que j’ai quelque chose en commun avec eux, confiait alors le musicien. Pour moi, il n’y a pas une Afrique blanche et une Afrique noire. C’est un seul continent, un continent auquel j’ai été volé. » Frémissements de mémoire, là encore.
Prochains concerts d’Amazigh Kateb : Fest’route, à Tournon, le 26 juin ; Festival Nuit Métis, à Miramas, le 27 juin ; Festival d’Aigues-Mortes, le 2 juillet.
Patrick Labesse
Article paru dans l’édition lemonde.fr du 23.06.09