Douglas Kennedy, l’un des plus grands auteurs américains encore en vie, était à Alger en juin dernier. Il livre ses impressions sur une ville où il n’était pas retourné depuis 23 ans.
De Douglas Kennedy, on pensait tout connaître. Son regard acéré sur la société américaine, sa critique de la pudibonderie et du puritanisme religieux, ses prix littéraires, nombreux. Son amour de l’Algérie reste un aspect méconnu du personnage. En juin dernier, l’auteur à succès était de passage à Alger, pour la sixième édition du Festival international de la littérature et du livre de jeunesse. Un séjour qui l’a marqué si l’on en croit le récit qu’il fait au journal Le Monde.
Douglas Kennedy y décrit la beauté brute du paysage, du littoral, des falaises, du port de pêche. Il se réfère, souvent, aux mots d’un autre maître de la littérature, l’algérien Albert Camus :
Je comprends ici ce qu’on appelle gloire : le droit d’aimer sans mesure.
Pourtant, on me l’a souvent dit : il n’y a pas de quoi être fier. Si, il y a de quoi : ce soleil, cette mer, mon coeur bondissant de jeunesse, mon corps au goût de sel et l’immense décor où la tendresse et la gloire se rencontrent dans le jaune et le bleu.
Charmé par la ville, Douglas Kennedy se laisse embarquer dans une visite de la Casbah, pour rompre avec le confort déployé pour agrémenter son séjour. Ce qui le frappe : la coexistence des classes sociales dans le même espace géographique. Une non-ségrégation qui rompt avec ce qu’il a connu jusqu’ici.
Alors qu’en Occident les classes défavorisées sont parquées loin des espaces réservés aux plus nantis, ici prospérité et dénuement se côtoient sans cesse.
Son guide, Habib, un sémillant sexagénaire, lui fait découvrir la Casbah. L’auteur américain tombe sous le charme de l’authenticité de la vieille ville :
Je me suis senti loin des souks de Marrakech ou du Caire, avec leur couleur locale destinée aux touristes, loin des marchands ambulants qui brandissent leurs tapis ou leurs pipes à eau sous le nez de l’estivant le long des plages de Tunisie. La vieille ville d’Alger reste un univers d’artisans et d’humbles familles, où des milliers de destins personnels s’entrecroisent dans une existence ô combien difficile, une précarité cependant doublée d’une sensibilité esthétique admirable.
C’est alors que Douglas Kennedy embrasse la ville, la ceint contre lui comme un amour de jeunesse retrouvé après 23 ans d’absence. Il croise le chemin d’un imam qui le convainc, s’il le fallait encore, que l’Islam n’est que tolérance :
Notre prophète a dit que nous devions toujours bien accueillir nos voisins chrétiens, donc bienvenue à vous.
Après un café-croissant avec Habib, Douglas Kennedy grimpe les escaliers mythiques de La Casbah pour découvrir le panorama :
La rencontre spectaculaire de la terre et de la mer, les quartiers partis à l’assaut des collines, la juxtaposition des minarets et des imposants monuments laissés par l’architecture coloniale, la paisible immensité de la Méditerranée au loin, les larges boulevards contrastant avec la densité compacte de la Casbah, tout cela me procurait l’exaltation de contempler une urbs mirabilis, une cité des miracles témoignant de l’inépuisable capacité humaine à créer de la beauté et de la grandeur, mais dont l’histoire semble résumer notre tout aussi formidable disposition à la brutalité, la fureur et la destruction.
Une rencontre spirituelle, humaine, biblique presque avec la ville d’Alger. Le récit de Douglas Kennedy sonne comme une déclaration d’amour à une ville que nous prenons trop peu souvent le temps d’aimer. Lui nous donne les mots pour le faire.