« Lettre à un Français sur le monde qui vient »/ Boualem Sansal exprime ses inquiétudes face à la montée de l’islamisme

Redaction

Dans une « Lettre à un Français sur le monde qui vient », publiée hier mercredi dans Le Figaro, le célèbre écrivain algérien, Boualem Sansal, exprime ses craintes face à la montée de l’islamisme dans notre pays et sur les conséquences ravageuses du djihad non seulement sur l’Algérie, mais également sur la France et toute la région du Maghreb et du Sahel.

« Cher ami français, je voudrais vous donner quelques nouvelles de la guerre qui fait rage dans le monde et qui ici et là est arrivée jusque sous vos fenêtres. J’en ai eu quelques échos. Les fenêtres de nos voisins ne vous concernent peut-être pas mais, quand même, quand un immeuble s’effondre dans le fracas c’est tout le quartier qui est ébranlé », alerte d’emblée le nominé au Prix Goncourt 2015.

Et d’enchaîner: « Je commence par mon pays, l’Algérie, je m’en excuse, j’y vis ainsi que mes chers miens, pour vous dire que je suis très inquiet à son sujet. En venant vous rendre visite, il y a deux semaines, je l’ai laissé dans un état réellement épouvantable, disloqué et sentant la douleur et la mort. Ceux qui le gouvernent au nom de leur seul nom ne se rendent compte de rien, ils font leurs affaires mollement, repus et distraits qu’ils sont, se croyant encore dans le vieux cadre, celui de 1984 (titre du chef-d’œuvre de George Orwell dont Sansal s’est inspiré pour écrire son dernier roman ‘2084’), qu’ils avaient inauguré dans la liesse de l’indépendance recouvrée et le bonheur de goûter sous peu de temps aux fruits fins de la rente pétrolière, alors que des fureurs s’annoncent de tous côtés. »

Le fils de Theniet El Had revient à l’occasion sur son dernier roman. « C’est en prolongeant cette vision effrayante que j’ai écrit mon dernier ouvrage, 2084. J’ai plongé dans un monde à venir que je vois, que j’imagine, soumis à une dictature religieuse rigoureuse qui s’étend sur tout l’Abistan. Elle aurait quelque chose à voir avec l’islamisme mais celui-ci parvenu à son apogée, là où le Bien, le Vrai et le Juste n’épargnent personne, sauf deux gentils hurluberlus, Ati et Koa de leurs noms, les héros de cette histoire, qui se sont enhardis à croire qu’ils sauraient s’affranchir de ces choses parfaitement halal et rester en vie, et mieux, passer de l’autre côté de la Frontière, une limite mythique inventée par de pauvres fous décapités depuis longtemps, pour rejoindre un monde abstrait dont nos apprentis transfuges ne savaient rien sinon qu’il était voué au doute, au clinquant et à la dépravation, et qu’il serait, malgré cela ou pour cela, permis d’y vivre dans la liberté, l’égalité et la fraternité », rappelle-t-il dans sa lettre.

Et de revenir à l’Algérie d’aujourd’hui: « Revenons en Algérie, aujourd’hui. Après avoir détruit une partie du peuple durant l’ère intermédiaire de 1990, les hordes barbares s’apprêtent à recommencer. Je ne suis sûrement pas le seul à les voir occuper les rues, remplir les mosquées, sillonner le pays de jour comme de nuit, reformer des hordes, organiser des réseaux, ouvrir des maquis, traverser et retraverser les frontières lourdement chargés. Pourquoi feraient-ils cela si ce n’est pour préparer la nouvelle guerre sainte, le grand djihad des temps derniers? Mais pour l’immédiat, le premier danger, c’est le président, alias Small Brother. Mourant et fou comme il est, mais encore intelligent et plus retors et vindicatif que jamais, il a miné le pays à l’instar les nazis qui avaient miné Paris pour le faire sauter à leur départ. Le jour de son trépas tout explosera, l’Algérie disparaîtra avec lui, c’est son plan, il ne veut la laisser ni aux généraux qu’il abhorre, ni au peuple qu’il méprise, ni aux islamistes qu’il trouve peu assurés dans leur démarche pour mériter de lui succéder. En vérité, seul le peuple est condamné, les gradés ont des pied-à-terre confortables dans toutes les belles capitales du monde et les islamistes ont des camps partout où brille le soleil d’Allah. L’avantage de la guerre sainte est qu’on peut la faire partout alors que l’argent sale ne s’héberge que dans les paradis fiscaux. »

Boualem Sansal alerte ses amis français sur les conséquence du chaos en Algérie sur leur pays, sans toutefois manquer de pointer du doigt les gouvernants français qu’ils tient pour responsable du danger qui les guettent. « J’espère qu’à ma prochaine venue en France, je n’aurai pas à vous annoncer la fin de mon pays. Rendez-vous compte qu’en s’effondrant ce pays immense entraînera tout le Maghreb et le Sahel au fond de l’abîme et le tsunami qui suivra arrivera jusqu’à la Manche. Aurez-vous seulement le temps, mes amis, de vous mettre à l’abri sur les montagnes? Je vous le dis franchement, je crains pour vous, vous me semblez si peu préparés, pour ne pas dire indolents. Je ne sais trop non plus si vous vous rendez compte que vos gouvernants qui sont d’une pusillanimité indescriptible vous poussent carrément dans le cauchemar « , s’inquiète-t-il.

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