Chaque année le SILA débarque à Alger, et quasiment à chaque fois, on a droit aux mêmes réactions : les satisfaits qui égrènent les chiffres, les volumes et les superficies… et les insatisfaits qui critiquent l’organisation, la qualité du livre, et le lectorat en berne.
J’ai voulu faire un constat « objectif » à partir des réactions de mes contacts Facebook, pas du tout représentatif certes(*), mais éloquent quand même… Il y a les intellos, à l’affût de n’importe quelle activité culturelle, le livre les intéresse en premier lieu, ils sont en bon nombre tout de même. D’autres n’arrivent pas à concevoir de travailler gratuitement, mais sont toujours prêts à entamer la lecture s’ils sont payés en conséquence (pour eux lire un livre est assimilé à du boulot). Certains se plaignent du prix, quand d’autres se disent porteurs d’une culture orale, car n’ayant jamais lu de livre, ils arrivent tout de même à mener des discussions diverses… et enfin certains m’ont dit clairement « elli kra, kra bekri » (celui qui a lu, il a lu y a longtemps).
Sur cette note un tant soit peu pessimiste, je me suis dit allons trouver positivité et projection ambitieuse dans les dispositions pratiques du gouvernement concernant le livre : il y a toujours trop de chiffres fumeux dans les déclarations des responsables, et personnellement quand il y a trop de chiffres, je louche.
Pour le prix du livre rien de ce côté-là, il ne faut pas se faire d’illusion, Mme la Ministre est claire, en déclarant dans la presse locale: « il ne faut pas parler des prix du livre, parce qu’un livre qui se vend à 500 DA est à la portée de tout le monde. Et si on est incapable d’avoir une somme pareille pour acheter un livre, alors cela voudrait dire que c’est une honte par rapport à soi-même et non pas le prix…. » fin de citation : c’est une déclaration très « intelligente », mais elle ne dit rien concernant des livres indispensables pour les étudiants notamment, et qui font plus de 5000 DA… le mystère demeure entier.
Restons positifs tout de même: j’ai entendu parler d’un projet « très ambitieux » du ministère de la culture, celui de faire lire aux algériens 4 livres par an, pourquoi pas !
Mais je trouve que nous pouvons cibler plus haut en utilisant la technique « cabinets », elle est décrite par Henri Miller dans son livre « Lire aux cabinets »; un livre sympathique, que j’ai conseillé à tous mes amis, un élixir de drôleries jouissive… et qui traite d’un sujet « universelo-existentiel ». Tout est résumé dans le 4ème de couverture : « A tous ceux qui se plaignent de ne pas avoir le temps de lire, Henry Miller fait quelques suggestions pleines de bon sens : lisez dans les transports en commun ou, mieux encore, aux cabinets ! N’est-ce pas là un endroit calme où personne ne vous dérangera ? Après tout, puisque nous sommes obligés d’y aller, pourquoi ne pas profiter au mieux du temps que nous y passons ?… »
Nous pouvons imaginer tous les cabinets publics (à condition qu’ils existent) et privés, munis d’un système de mise à disposition de livres à lire, du coup ça encouragerait les lectures profanes. Personne ne lira « Hisn el Mouslim » en pleine activité cabinesque… par la même occasion cela constituerait une solution pour ceux qui trouvent que le SILA est devenu le « Salon Islamique du Livre ».
Mais on est encore bien loin de ce concept de lecture cabinesque, puisqu’au SILA lui-même, tel que rapporté par un ami professionnel du livre et exposant au SILA2010, il fallait se procurer un badge spécial pour se frayer un chemin vers le carré VIP, réservé aux seuls visiteurs officiels, pour se retrouver dans le dit cabinet. L’accès aux visiteurs,… n’en parlons même pas.
Et puis dans notre contexte algérien, les cabinets sont appelés « bit erraha », qui veut dire texto : « la maison du repos », la sémiologie du mot est loin d’inspirer le « travail» à ces algériens qui classent le livre dans cette catégorie d’activité… essayons de rester optimistes tout de même.
Ce qui me rassure un peu, c’est qu’Henry Miller finit par nous dire : « il ne faut pas chercher à se noyer dans la lecture » mais » apprendre à ne faire que ce qui vous est strictement profitable, ce qui est d’un intérêt vital ». Plus loin il ajoute que la lecture du patrimoine humain en entier ne sert pas à grande chose, cela peut être résumé en une liste de 50 livres. Si nous suivons la logique et les statistiques du Ministère de la Culture 50/4=12.5, nous avons 12.5 ans pour inculquer le patrimoine humain à nos enfants. Je crains qu’après cela, le Ministère de la Culture ne prenne ce problème au sérieux.
Un peu d’effort Mme Toumi, dans le cabinet ministériel bien sûr…
(*) Sondage réalisé sur le groupe « 3% de mes contacts pensent que je suis intelligent et c’est réciproque » sous le contrôle de « Mille Audi »