Le public semble au rendez-vous pour la seconde édition de la manifestation « Le Musée dans la rue », organisée sur l’esplanade de la Grande Poste à Alger. Derrière cette initiative qui réunit quatorze musées nationaux se pose la question de la relation que les Algériens entretiennent avec leur patrimoine.
« C’est super cette initiative, vraiment, félicitations ! », s’enthousiasme un visiteur devant une des organisatrices de « Musée dans la rue », événement qui a pris ses quartiers sur l’esplanade de la Grande Poste depuis le 31 août. Quatorze musées nationaux, dont sept extérieurs à la wilaya d’Alger, se sont installés sous autant de chapiteaux pour venir à la rencontre des Algériens.
« Les musées peinent à attirer du monde, c’est pour cela que nous avons lancé cette initiative l’année dernière », explique Mechiche Hassina, conservatrice du patrimoine au Musée du Bardo, l’institution à l’origine de « Musée dans la rue ». « On se sentait frustré de ne pas être au contact du public alors c’est nous qui nous sommes déplacés », ajoute-t-elle avec le sourire.
Et cette deuxième édition est une réussite. Si certains stands restent un peu vides, d’autres sont victimes de leur succès. C’est le cas du chapiteau du Musée de Tamanrasset, qui abrite cette après-midi quatre femmes touareg jouant avec entrain du imzad, instrument traditionnel incontournable pour ces nomades du Sahara.
« Cette année nous avons décidé d’intégrer à Musée dans la rue des institutions de l’Est, de l’Ouest et du Grand Sud », précise Rachid Gahlouz, bibliothécaire et membre du comité d’organisation de la manifestation. « Et ça a l’air de bien fonctionner ! Les jeunes, surtout, sont très curieux et montrent un vif intérêt ! ».
« Il n’y a pas de culture muséale en Algérie »
Un intérêt qui ne semble pourtant pas gagné, à discuter avec des jeunes tombés par hasard sur « Musée dans la rue ». « Bien sûr qu’on est déjà allé au musée, mais c’est assez ennuyeux, c’est toujours la même chose », regrettent Chaker, Ramy et Akram, trois Constantinois de 18 ans de passage à Alger. Et quand on leur demande quelle période historique ou quelle partie de leur patrimoine les intéressent, la réponse se fait attendre.
« Les Algériens ne connaissent rien de leur histoire », s’indigne Farid, professeur de mathématiques. « Tu demandes à un Algérois dans la rue, il ne connaît même pas le Bastion 23, alors qu’il a toujours vécu ici ! », déplore-t-il.
« Il n’y a pas de culture muséale en Algérie », confirme Hezili Issan, architecte du Musée National de Constantine. « Les Algériens boudent les musées car ils pensent que ce n’est que pour les spécialistes et une certaine catégorie de population », analyse-t-il.
Mais pour Farid, l’accès à la culture n’est pas du ressort de l’individu, il doit être favorisé par une politique publique. « Moi j’ai l’argent pour y emmener mes enfants, mais beaucoup de famille galèrent pour joindre les deux bouts, alors payer le musée… C’est le rôle de l’école de faire découvrir aux enfants leur patrimoine et de les habituer à ce geste là. Or il n’y a aucune initiative », déplore-t-il.
Une médiation culturelle qui fait défaut
Construire une culture muséale dès le plus jeune âge, c’est justement l’objectif que s’est donné l’événement « Musée dans la rue ». « D’où la nouveauté de cette seconde édition : l’installation de onze ateliers pour faire découvrir aux enfants la peinture rupestre, la calligraphie, la mosaïque, etc. », explique Mechiche Hassina, la conservatrice du Bardo. « Le but est de leur faire comprendre comment vivaient leur ancêtres », explique l’animateur du groupe de poterie. S’il n’est pas sûr que les enfants se sentent plus proche de leurs ancêtres en peignant sur de la glaise, ils ont en tout cas l’air ravi de mettre la main à la pâte.
« Par rapport à l’année dernière, on reçoit de plus en plus d’enfants à titre individuel, avec leur parent, c’est encourageant car avant on était obligé de supplier les écoles pour qu’elles emmènent leurs élèves au musée », ajoute Mechiche Hassina.
Mais la médiation culturelle a encore du chemin à faire en Algérie. On se souvient de l’augmentation du prix des musées de 20 à 200 dinars en février 2013. Une mesure qui n’a pas été bien reçue par tous. « 200 dinars, pour des collections qui ne se renouvellent pas, c’est un peu cher ! », remarque Nawel, une amatrice de musée de passage sous un chapiteau. « Mais le public peut gaspiller 1000 dinars pour aller au restaurant et pas au musée ! », réplique Anar, guide au Musée de Sétif. « Les Algériens sont devenus matérialistes, c’est ça le problème ! », peste-t-il. Une discussion qui reflète bien l’incompréhension qui s’est installée entre les musées et leur public.
Pour Mechiche Hassina, l’augmentation des prix d’entrée est un couteau à double tranchant. « Bien sûr, il y a des gens pour qui 200 dinars sera prohibitif. Mais d’un autre côté on constate aussi que ça accroit la curiosité d’un public qui se demande ce qui se cache derrière ce prix ! ».
Une réponse qui ne convaincra pas tout le monde. « Nous n’avons pas encore trouvé la solution pour attirer de nouveau les gens au musée. Musée dans la rue est un début de réponse. Construire une culture muséale est un travail de longue haleine ».