La semaine dernière, lorsque la directrice de communication de la Maison Blanche, Anita Dunn, a accusé Fox News de se positionner à droite, la chaîne d’information a réagi comme à son habitude. Elle a démenti avec son plus grand sérieux cette accusation. Mais sa façon de traiter l’actualité est venue confirmer que cette accusation était fondée.
Parcourez l’article en ligne de Fox News sur cette affaire. Il reprend d’abord les propos d’un important vice-président de la chaîne, Michael Clemente: «Il est sidérant de voir que les responsables de la Maison Blanche ne savent pas faire la différence entre les émissions d’information et celles consacrées aux opinions. Leur attitude semble intéressée.»
L’article cite ensuite David Gergen, celui qui incarne la «sagesse conventionnelle» de Washington. Il explique que cette attaque décrédibilise le président Obama et profite à Fox News. Un dénommé Tony Blankley, l’ancien attaché de presse de Newt Gingrich et contributeur régulier de Fox News, vient ensuite renchérir que critiquer la chaîne est absurde: «Fox News n’a pas uniquement un public de conservateurs. Il y a aussi des libéraux et des modérés qui la regardent».
Un correspondant de la Maison Blanche pour Politico réaffirme que cette polémique renforcera l’audimat de Fox News. Puis, l’article reprend une vieille raillerie de Chris Wallace, soutien de la chaîne, à propos de l’équipe d’Obama: «[ce sont] les plus grands pleurnicheurs que j’ai vus en 30 ans que je suis à Washington.» L’auteur anonyme étaie son papier en citant une plaisanterie d’Obama lors du dîner des correspondants de la Maison Blanche: «Fox News me sort par les yeux». Enfin, l’article fait référence à une étude Pew indiquant que Fox News faisait preuve d’un pessimisme identique durant les six derniers mois de la campagne présidentielle de 2008, qu’il s’agisse de John McCain ou de Barack Obama, tandis que CNN se montrait plus négative à propos de McCain.
Examinons les faits. Cet article cite cinq personnes. Deux d’entre elles travaillent pour Fox News. Toutes disent en substance que les responsables politiques ont tort ou sont politiquement ridicules quand ils critiquent la chaîne d’information. On ne cite personne qui soit d’accord avec les critiques d’Anita Dunn ou qui dise qu’il est légitime, du point de vue moral ou politique, que le président Obama remette en cause le pouvoir de cette chaîne de télévision. Nous avons là un cas d’école d’article où le parti pris est manifeste.
Si vous avez regardé Fox News, vous avez dû voir la brochette habituelle d’«experts» ou de soutiens androïdes de la chaîne psalmodiant les mêmes petites phrases: critiquer Fox News est la version d’Obama de la liste d’ennemis de Nixon; Obama est dans les petits papiers de tous les autres médias; le président devrait s’occuper de gouverner le pays; sur Fox News, il y a des programmes où on échange des opinions et des programmes où on livre des informations; c’est toujours stupide de s’en prendre aux médias. Dans l’émission The O’Reilly Factor du 13 octobre, l’évanescent présentateur de la chaîne, Alan Colmes, un libéral peu convaincant à la mine battue, acquiesce vaguement quand le «Docteur» Monica Crowley et Bill O’Reilly font valoir des arguments rebattus.
Tout organe de diffusion d’informations soucieux d’assumer ses responsabilités comme il se doit devrait s’efforcer de traiter avec honnêteté une affaire où il subit des critiques émanant de la présidence. En envisageant une telle démarche comme un test d’intégrité au lieu de retourner la situation à son avantage. Si d’autres réseaux médiatiques avaient été accusés de manque d’objectivité, ils se seraient sûrement remis en question et auraient tenté de réajuster leur traitement de l’information. Mais quand on reproche à Fox News son parti pris, on s’expose à des railleries et à des exigences d’«éléments concrets» et de «preuves» qui, lorsqu’on les présente, sont tout simplement rejetés en bloc.
Désormais, il est inutile de s’enliser dans ce faux débat; cela reviendrait justement à abuser de l’impartialité des autres médias. Il suffit de jeter un œil rapide au site Web de Fox News ou de regarder cinq minutes d’une émission de la chaîne prise au hasard pour s’apercevoir qu’elle affiche sans arrêt une tendance politique marquée.
Le documentaire de gauche Outfoxed est le fruit d’un minutieux travail de rassemblement de preuves selon lesquelles les directeurs de Fox News donnent des consignes aux journalistes pour qu’ils défendent un point de vue républicain. Mais après 13 ans sous les ordres de Roger Ailes, les salariés de la chaîne n’ont plus besoin qu’on leur dise de faire le jeu de la droite. Ils le font aussi naturellement que les poissons savent nager.
Fox News ne s’est pas du tout assagie. Au contraire, ces derniers mois, la chaîne est devenue tapageusement démagogue et s’est employée à rassembler l’opposition contre Obama. Le masque de la «justice» et de «l’impartialité» est en train de tomber, découvrant un peu plus le vrai visage de Fox News. La chaîne avait, par exemple, diffusé un communiqué de presse du Comité national républicain à l’antenne sans même prendre la peine de corriger une coquille évidente.
Autre exemple: un journaliste s’est interrogé pour savoir pourquoi les autres chaînes d’info ne couvraient pas les «tea parties» [mouvement conservateur de protestation contre l’action de l’administration Obama] de la même manière dont le groupe de médias Hearst avait couvert la guerre hispano-américaine. Chez Fox News, c’est Karl Rove [ex-secrétaire général adjoint de Bush] qui vérifie les informations sur la proposition de réforme santé d’Obama.
Dans les programmes littéraires, on a droit aux diatribes du bigot Jerome Corsi à propos de Barack Obama et de John Kerry. Tandis que le pleurnicheur Glenn Beck commence à faire preuve d’une préoccupation digne du docteur Folamour au sujet des précieux liquides organiques de l’Amérique et accuse le gouvernement d’essayer d’envahir la circulation sanguine des gens en les vaccinant contre la grippe A/H1N1. Avec cette dernière campagne de désinformation, Fox News a des chances de devenir la première chaîne d’info à tenter activement de tuer son audience.
Rupert Murdoch aborde peut-être l’actualité sous un angle conservateur pour des raisons plus commerciales qu’idéologiques. Mais la question n’est pas là. Ce qui est grave, c’est la façon dont le modèle de réussite de Fox News a «envahi le courant sanguin» des médias américains. En montrant que des informations présentées avec partialité peuvent faire monter l’audimat, le président de Fox News, Roger Ailes, a incité ses concurrents, notamment CNN et MSNBC, à aborder l’actualité sous des angles populistes et idéologiques.
C’est du reste Fox News qui a poussé Lou Dobbs de CNN à se transformer en personnage nativiste. Et c’est encore Fox News qui a amené MSNBC à mettre en avant Keith Olbermann. Non seulement Fox News a perverti son traitement de l’actualité, mais avec son influence, la chaîne a de surcroît rendu tous les programmes d’information désagréables et douteux.
Ce qui caractérise le plus la presse américaine, ce n’est pas sa liberté, mais plutôt sa tradition d’indépendance. Elle sert les intérêts du public et non ceux des groupes politiques, religieux ou de pression. L’indépendance des médias est une nouveauté du 20e siècle qui ne s’est pas encore véritablement imposée en Europe ou dans de nombreux autres pays qui ne jouissent pas de la liberté de la presse. Le modèle australo-britannique-continental des médias politisés qu’a mis en place Rupert Murdoch à Fox News est anti-américain, à tel point qu’il n’a guère d’autre choix que de continuer à nier les décisions qu’ils prend tout en les prenant.
Pour Murdoch, Ailes et compagnie, la «justice» et l’«impartialité» qu’ils associent à Fox News sont un mensonge nécessaire. Car reconnaître qu’ils traitent volontairement l’information de façon partiale irait à l’encontre de la conception qu’ont les Américains du rôle des médias dans un pays démocratique et de leur idée du fair-play en journalisme. Toutefois, cet acte de mauvaise foi démontrable ne mérite plus de débat avec un temps de parole équitable.
La question qui consiste à se demander si la Maison Blanche continuera de fréquenter Fox News est d’ordre politique, voire tactique. Celle de savoir si nous, les journalistes, continuerons de le faire est une question éthique. En passant sur Fox News, les journalistes cautionnent sa propagande et contribuent à saper le rôle des médias légitimes.
Les journalistes dignes de ce nom – et je m’adresse à vous, Mara Liasson – devraient cesser de passer dans les émissions de cette chaîne d’information. Puisqu’un boycott rendrait Roger Ailes trop heureux, je propose simplement de mépriser Fox News pendant un temps! Et je refuse de participer à The O’Reilly Factor pour en débattre.
Jacob Weisberg
Taduit par Micha Cziffra
Slate.fr