Pour Faïza Antri Bouzar, styliste algérienne : l’histoire métissée de l’Algérie se lit dans les vêtements

Redaction

Dans son atelier de couture, installé au cœur d’Alger, Faïza Antri Bouzar défend coûte que coûte la tradition vestimentaire algérienne. Pour promouvoir l’image encore écornée de l’Algérie, cette fille d’artisans algérois estime devoir d’abord préserver le « riche patrimoine » de son pays.

Depuis toute petite, elle baigne dans ce milieu. D’un grand-père maître joaillier, Faïza Antri Bouzar doit son amour pour le patrimoine culturel et le goût du tissu algérien à sa famille d’artisans. Et à ses séjours à travers la Méditerranée. Menacée par les islamistes durant la décennie noire, Faïza prend la fuite en Tunisie, puis en France. C’est sur la rive nord que la jeune femme apprend à mieux connaître son pays et ses traditions vestimentaires. A la fin de ses études supérieures à Nice, sur la Côte d’Azur, elle rentre au bercail et décide de défendre la richesse du patrimoine culturel algérien, à l’image du combat que mènent les siens depuis des générations.

« Mes vêtements ressemblent à la personne que je suis : une femme moderne, cultivée et algérienne »

La tête plongée dans les livres d’histoire et les magazines de modes contemporains, Faïza aime revisiter le patrimoine vestimentaire algérien, épousant les tendances et les coupes modernes, parfois importées d’horizons lointains. « Jusqu’au début du 20ème siècle, le sarouel était très ample, chaque jambe était enrobée par au moins 10 mètres de tissu. Trop encombrant pour la femme du 21ème siècle qui conduit, se déplace et porte le sarouel en talons hauts alors qu’avant il était associé aux babouches. Et, les canons de beauté évoluant, c’est plutôt trois mètres par jambe aujourd’hui pour affiner la taille », explique Faïza, qui tient à la main un morceau de tissu originaire d’Europe. « Je lance une nouvelle une collection de sarouel, confectionné avec un lamé en fibre synthétique. Avant j’utilisais du lamé en soie », précise-t-elle. « Mes vêtements ressemblent à la personne que je suis : une femme moderne, cultivée et algérienne », confie la styliste.

Oui, chez Faïza, l’habit n’est jamais figé dans le temps, ni imperméable aux échanges et au brassage culturel. Pour elle, l’histoire métissée de l’Algérie se lit d’ailleurs à travers le vêtement. « Nous avons subi la domination ottomane durant 3 siècles, puis celle de la France, et nombreuses sont les villes portuaires et ouvertes vers le monde en Algérie », rappelle-t-elle. Finalement, dans le domaine du textile, rien n’est algérien et tout est algérien. « Regardez la Gandoura constantinoise, elle est directement inspirée de la robe milanaise », indique Faïza. Autre exemple : la blousa tlemcenienne ressemble étrangement aux robes décolletées et à manchettes de Joséphine, l’épouse de Napoléon Ier. Une façon de rendre hommage à l’Empereur, qui a songé un temps émanciper les indigènes des colonies françaises, raconte Faïza. Mais alors qu’est-ce qui est vraiment algérien ? « Tout ce qu’on porte, même le caftan, est algérien », répond la styliste, dont l’atelier est installé au centre d’Alger.

A Paris on porte le sarouel, à Alger une paire de jeans

Si d’autres sont fascinés par l’étranger et rêvent d’évasion, l’esprit de Faïza est lui tout tourné vers ses racines et le « riche patrimoine » algérien. « J’appartiens à la première génération post-coloniale. Je ne sais donc pas ce que c’est qu’un dominateur. Je suis libre dans ma tête », avance-t-elle. Une liberté dont ne jouissent pas tous les Algériens, qui garde encore aujourd’hui des séquelles d’une colonisation longue de 132 ans. « L’Algérie a souffert de cette colonisation dont le but était de détruire une culture indigène tout entière. Ainsi, dans les années 1970, la majorité des femmes algériennes se vêtaient exclusivement à la manière occidentale car les habits algériens étaient considérés comme démodés », se souvient Faïza. Aujourd’hui, de nouvelles formes de colonisation influencent en Algérie les tendances vestimentaires. « Les Algériens voyagent rarement. Tout ce qu’ils connaissent du monde se limite à ce qu’ils voient à la télévision via les antennes paraboliques. Ils mettent alors sur un piédestal les tenues marocaines, européennes, indiennes etc. », regrette la styliste de haute-couture.

Exit le karakou et le ghilal. Les paires de jeans, de basket, voire de baggy, ont envahi la rue algérienne. Mais, au même moment, en Europe, on parade en costume algérien. « Depuis que Ralf Lauren a relancé la mode en 2009, les Parisiennes portent le sarouel. Un pantalon typiquement algérien ! Mais, nous, nous n’osons plus », s’étonne Faïza. Rares, les tenues traditionnelles sortent du placard seulement à des occasions particulières : baptême, mariage, Aïd par exemple. « Je tire mon chapeau aux femmes indiennes qui portent tous les jours le sari. Ce n’est vraiment pas commode », admire Faïza, qui, dans son quotidien, préfère les tenues occidentales. « On peut s’habiller avec des vêtements occidentaux tout en « algérianisant » le rendu. Il s’agit de donner une touche locale dans la manière de porter le vêtement », rétorque-t-elle.

Mais à cause de l’ignorance des Algériens de « l’ampleur de leur propre patrimoine », la tradition vestimentaire locale court irrémédiablement à sa perte, estime Faïza. Contrairement à ses voisines, la culture vestimentaire algérienne souffre d’un grave manque « d’identification et de valorisation ». « Quand Sharon Stone est apparue vêtue d’un caftan c’était une vitre incroyable pour le Maroc, qui s’est complètement approprié ce vêtement pourtant d’origine perse. Les actrices occidentales portent le sarouel mais malheureusement il n’est jamais identifié à l’Algérie », déplore Faïza, qui dit avoir eu des « frissons au point de pleurer » lors de la montée des marches à Cannes de Chafia Boudraa, venue présenter Hors-la-loi, vêtue d’un karakou. Dans son atelier algérois, Faïza continue de dessiner des modèles, de conseiller ses clientes avec l’espoir de faire de chacune d’entre elles une véritable ambassadrice de mode algérienne.

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