Portrait de L’Hocine Al-Wartilani. L'érudit bourlingueur…

Redaction

Bejaia Le voyage élément central dans la formation pour recevoir et apprendre, Al-Wartilani en a saisi toute sa quintessence…

Cet illustre personnage connu, jadis, pour ses pérégrinations qui l’ont amenée à visiter plusieurs régions de l’Algérie telles que Bejaia, Tlemcen, Tizi-Ouzou, Alger, Dellys, Miliana, Blida…et Constantine a été affublé du sobriquet ou de titre le Voyageur. Le voyage élément central dans la formation pour recevoir et apprendre, Al-Wartilani en a saisi toute sa quintessence. Car après avoir longuement écouté et appris auprès des Ulémas dans les Zaouïas du pays, il se rendra, ensuite, en Tunisie, en Libye, en Egypte…et au Machrek notamment la Syrie et la péninsule arabique où il mena une quête spirituelle. Au Caire, il a rencontré le célèbre voyageur Hindou Essa’bidi. Ce dernier lui consacra une notice élogieuse dans son fameux lexique du 18eme siècle. Périple : un beau jour, il entreprend son fameux périple.

Arrivé à Bejaia, il accomplit le « petit pèlerinage» aux saints de la ville station obligée et prélude au grand pèlerinage au Hidjaz via Tunis et le Caire. Un itinéraire classique dans le but est le Hadj. Ces voyages au nombre de trois ont duré plus de deux ans chacun. Al-Wartilani affirme qu’il les entreprit « pour la purification de l’esprit » en compagnie d’un millier de ses compatriotes. Carole Witner qui lui a consacré une étude, souligne à ce propos : « Mille (1 000) personnes partant ainsi ensemble à pied, c’est pour moi comme un village entier de la Kabylie qui se déplace jusqu’à la péninsule arabique ! ». Comme tout bourlingueur – marcheur à pieds qui plus est – il a une idée très intéressante au niveau de la culture et de l’identité. « C’est ses voyages qui lui ont fait prendre conscience de ce qu’il était : « Finalement je ne suis bien que chez moi » (sic) transcrivait-il en arabe dans sa Rihla. Il faut l’étudier et le reconsidérer » confie Tassadit Yassine, anthropologue à l’EHESS de Paris. La valeur humaine, culturelle, et spirituelle d’Al-Wartilani est d’autant plus importante en ce sens qu’il a été un témoin privilégié d’une époque trouble de l’histoire de notre pays. « Les guerres dans le bassin méditerranéen et les conflits qui éclatèrent à l’Oued Sebaou, naissance de la Tarika Rahmaniya ou encore la Soufia dite Zeroukia (…) font de lui un personnage de valeur » affirme, de son coté, Zinnedine Kacimi, professeur d’histoire à l’université d’Alger-Bouzaréah. Et de déplorer cependant : « Nous ne disposons malheureusement pas de nombreux documents le concernant tant à Bejaia qu’à Alger ». Al-Wartilani est, en effet, l’un des grands maîtres soufis de l’Algérie du 18eme siècle. Conforme aux préceptes religieux, il affirma : « La vérité est le cœur de la loi et autre chose n’est qu’innovations blâmables ». Que de conflits auxquels il avait assisté et résolu particulièrement en Kabylie. « En plus des pratiques de l’invocation et des pratiques cultuelles, Al-Wartilani prône un soufisme au service de la société » dixit Saddek Bala de l’université de Bejaia.

« Rihla » : un florilège de vies de saints

Bejaia, Vgayet, Bougie ou l’antique Saldae a de tout temps été un centre du savoir et d’enseignements. Ville montagneuse résolument tournée vers la mer… la cité des Hammadites a fasciné de grands voyageurs médiévaux et modernes qui la louangèrent à travers leurs récits. Citons, entre autres, Muhammed Al-Abdari en 1289, et 1325, Khaled Al Balawi en 1336 et en 1340, Abdel Bassit Ibn Khalil en 1464 et 1466, André Peysonnel en 1724, et bien entendu, Al-Wartilani. Originaire du Sud-est de la Kabylie , Ath-Wartilane localité de Sétif, l’érudit l’Hocine Al-Wartilani (1713-1779) a entamé ses études élémentaires dans différents Zaouïas de la Kabylie. Mais c’est Bejaia qui le fascine au point d’y séjourner à chaque période qui coïncide avec le mois sacré du Ramadan. Il la considère comme étant une ville sainte et constate que « la science jaillit des cœurs de ses hommes comme jaillit l’eau de ses sources ». Il y loue essentiellement la science des Ulémas de Bejaia et s’émerveille en particulier de ce que « Cinq cents (500) jeunes filles à Bejaia ont appris la Mudawwana » et que « celles qui connaissent Ibn Al-Hadjib […] sont innombrables ». De quoi alimenter les propos de Salah Baizig, professeur d’histoire à l’université de Tunis qui confie : « On note que les voyageurs modernes occidentaux faisaient une description générale naturelle et humaine alors que les deux voyageurs maghrébins Al-Tamqarrûti et Al-Wartilani se sont particulièrement intéressés à la vie religieuse et aux saints au point où sa Rihla peut être considérée comme étant un florilège de vies de saints médiévaux et modernes en particulier ceux des Zwawas et de Bejaia». Un point de vue qui se rapproche de celui de l’écrivain Younes Adli qui pense qu’ « Al-Wartilani en fin observateur et analyste averti trouve l’opportunité de comparer sa Kabylie natale avec des régions de l’Orient ou du Maghreb, mais déjà influées par l’arabisation (…) ». Et de souligner : « Tout en ne s’encombrant pas du complexe de la langue d’érudition de son époque, il ira jusqu’à aborder le domaine de la sainteté où il revendique la place des saints kabyles, longtemps occultés par les orientaux, à leur tête les Fouqaha ». C’est en 1768 qu’Al-Wartilani achève la rédaction de son ouvrage la «Rihla » (le voyage) édité en 1908 par Mohamed Ben Cheneb. La « Rihla » comme son nom l’indique, est un ouvrage qui décrit l’itinéraire emprunté par Al-Wartilani qui a pris soins de recueillir puis transcrire des témoignages poignants des petites gens rencontrées le long de son parcours ainsi que ses annotations personnelles au point où les militaires français l’ont utilisé pour connaitre les structures sociales algériennes. Plusieurs chercheurs se sont penchés sur son œuvre à l’image du professeur tunisien Sami Dergaoui qui a analysé, en 1998, les objectifs et la personnalité d’Al-Wartilani. La « Rihla », une mine d’or pour les chercheurs est « un document très composite situé dans le passé et le présent. Il évite les anachronismes (…) » trouve, pour sa part, Mustapha Haddab, sociologue à l’université d’Alger. Et d’interpeller les institutions étatiques pour sa réédition en la subventionnant comme le CNRS en France. Un ouvrage d’une grande portée symbolique aussi bien en direction de l’Algérie que celle du monde arabo-musulman. « La Rihla » demande plus d’études en profondeur et son introduction dans le système éducatif est souhaitable mais sous qu’elle forme ? » s’interroge, de son coté, Hayat Khelifati, professeur d’arabe à l’université de Tizi-Ouzou. La spécialiste du moyen orient, Sonia Dayan-Herzbrun fascinée par le parcours d’Al-Wartilani, pense l’intégrer dans ses prochaines recherches.

Rabah DOUIK

Quitter la version mobile