A sa naissance, en 1985 à Larbaa N’At Iratene (Fort national), ses parents l’ont prénommée TASSADIT (ce terme kabyle peut signifier l’heureuse ou la chanceuse). De chance, la nature l’a bien dotée, puisqu’elle recèle tous les atouts pouvant la placer parmi la crème de la chanson kabyle et, même, universelle. En plus de son intelligence qui lui permet de bien choisir le chemin qui lui sied, elle possède une voix plaisante et grâce à sa muse elle sait convertir ses idées en belles et profondes strophes poétiques qu’elle emballe dans des musiques douces, et ce avec l’aide de son frère Moh Azwaw. Elle est si complice avec son frère que la fraternité, en se mêlant avec l’amitié qui les lie, forme un sentiment qui leur permet de communiquer et de communier sans aucune contrainte. Mais là où le superficiel l’emporte sur le profond, un artiste sensible, même chanceux, ne peut pas être heureux. C’est le cas de Kenza Enni, le prénom artistique qu’elle s’est choisie, qui peut signifier trésor tout en méritant son qualificatif. Malgré son jeune âge, elle fait des chansons à textes, pour ne pas dire des poèmes philosophiques véhiculés par des musiques adéquates. C’est en 2007 ; à l’âge de vingt deux ans, qu’elle a sorti son premier album, comprenant sept chansons et un morceau instrumental. Les chansons qui composent cet album, sont :
1)-Kif Kif (pareil), c’est cette chanson qui chapeaute cet album
2)-Amerzgue (quoique ce terme kabyle, idiotisme qu’il est, n’est pas facilement traductible, mais il peut avoir le sens de qu’il est chanceux !)
3)-Afenane (l’artiste),
4)–Adjoundi (le soldat)
5)-Elhiba boulache (le charisme du néant)
6)- achehal (combien)
7)- Ahwawi (l’insouciant ou le bohémien)
8) Instrumental.
La lecture de ces titres suffit pour comprendre la profondeur des textes dont ils sont les locomotives. Couturière de formation, styliste plus exactement, elle a su coudre un style propre à elle. Elle pouvait bien avoir un succès factice, si elle voulait se verser dans le style : « sandwich ». Elle a la voix, et le verbe pour ce genre de chansons ne demande ni le temps ni la réflexion pour en produire à profusion. Et pourtant quand elle chante NOUARA (la grande chanteuse kabyle) elle le fait à merveille au point où on peut la confondre avec la chanteuse originelle. Elle le fait de même avec l’inimitable Madjda Erroumi. Elle affectionne l’une et l’autre de ces divas, comme elle affectionne d’autres chanteurs et chanteuses, mais elle veut rester Kenza Enni dans la peau de TASSADIT. Et elle en est capable, puisque son style est unique dans son genre. Son premier album aurait fait un grand succès s’il était bien pris en charge en matière de distribution et de médiatisation.
A elle seule, avec son statut de fille kabyle surtout, elle ne peut pas faire l’art et la marchande de l’art. Il est vrai que son frère, lui est de grand apport, du point de vue artistique, matériel et moral, mais l’art fondé ne fait pas vivre son artiste dans ce pays. C’est dommage que ça soit l’art qui génère de l’argent au lieu de l’inverse. Si il y ‘avait synergie, pour ne pas dire mécénat, les chanteurs du genre de Kenza Enni auraient leur place au soleil et leur soleil éclairerait les consciences. « D acu arayawzen uqentar ma kul wa ad yarfed kilo? » (Que pèserait un quintal si chacun soulevait un kilogramme ?) Disait Kenza Enni, dans l’une de ses chansons. Malheureusement, comme elle dit dans une autre chanson, « yiwen itnadi icelman gmas ihalkit waylas. » (L’un cherche les épluchures, tandis que son frère est intoxiqué par son bien ».mais n’abdiquant jamais devant les difficultés et très attachés à l’art, Kenza Enni et son frère Moh Azwaw, termineront par s’installer d’une manière convenable et durable dans le terrain artistique.
Pour avoir une idée sur la nature de son album, mettons en évidence les idées forces de chacune des chansons.
Chanson 1: “abugam yenad awal, ger l3aqal ala abugam is yeslan.”
“La parole dite par le muet, entre les sages, n’est entendue que par le sourd”
Siwama arananhatwal aran nadi lhadrane.
« Ce n’est qu’après nos querelles, qu’on cherche la prudence »
Chanson 2 : « amerzg bi henan daxel iγablan , had urisli isawt-is “
“Qu’il est chanceux celui qui est en paix, à l’intérieur de ses soucis, sans que personne n’entende de bruit”
« Amerzg bi gufan , dayen ndiri neγ dayen ilhan, aken itibγa wul –is »
“ Qu’il est chanceux celui qui a obtenu ce qu’il a désiré, mauvais ou bon.”
« Amerzg bigenane , xas aken medan ur taslan , adi3adi wawal-is »
“ Qu’il est chanceux celui à qui la parole est acceptée, même si personne n’a entendu ses dires. »
Chanson3 : « attas igeγran matchi di lakul, yeγra ibara gayen itmuqul »
« Ils sont nombreux ce qui sont instruits sans passer par l’école. ils se sont instruits, dehors, de ce qu’ils ont vu. »
Chanson 4 : « nadsa fine yatbibine, mi tedjane n’bubit »
« On médit ceux qui prennent un objet et quand il le laisse on le prend. »
« anwa araydmane awal , dwiyed atnismlal , aken adyaxdem elma3na? »
“ Qui peut prendre un mot, qu’il assemble avec d’autres mots, pour constituer un sens ?”
Chanson 5 : « ufiγ latamdjadalen sine yamdanen af awal, yuγal teker ger asen armi tebad almuhal. »
« J’ai trouvé deux personnes qui se disputent pour une parole, une polémique si aggravée qu’elle est devenue difficile à démêler
Chanson 6 : « ac hal mu tenid lasrar lqayene, ac hal mu tamlid nebla imeslayene ! »
« Qu’ils sont nombreux ceux à qui tu as dit de profonds secrets, et qu’ils sont nombreux ceux que tu as enseignés sans paroles ! »
Chanson 7 : « abrid lajdud yergal wardjine yafris , sman as medan yahbel wi hadrene yis. »
“. Il est qualifié de débile celui qui loue les mérites du chemin des ancêtres qu’on a jamais défriché. »
A partir de ces échantillons, on peut déduire la profondeur de tout l’album, mais pour bien le juger et l’apprécier à sa juste valeur, il est indispensable de l’écouter. Un tel début pour une telle jeune fille augure un avenir des plus radieux. C’est tout le mal qu’on lui souhaite. De ce genre, la société en a besoin.
ANNARIS AREZKI / AZEFFOUN