Ce n’était pas le 17 Octobre à Paris, mais le week-end du 12 au 13 au 165 Rue Pelleport. Au-delà des frontières entre l’Algérie et la France, une brèche s’est ouverte sur l’histoire, celle de la guerre d’indépendance, celle de l’actuelle jeunesse algérienne, celle de la mémoire lors de l’exposition « Mémoire d’Octobre », un événement artistique sur le thème de l’Algérie.
Le temps d’un après-midi, le passé de l’Algérie, fut commémoré entre court métrage, documentaire, et danse contemporaine à Paris dans le quartier de la Goutte d’or, à l’occasion d’un débat sur les relations algéro-françaises.
Dix-huit heures, j’arrivais juste à temps pour la dernière histoire de la conteuse Elli Drouilleau, un brin de romantisme, une histoire d’amour entre deux personnes âgées, une petite vieille en sucre et un petit vieux en sel qui se finit en un baiser. Au son de la voix calme et à la fois enjouée d’Elli Drouilleau, un petit garçon assis à ses cotés totalement emporté par le conte, restait pensif. Les yeux ronds, pleins de tendresse, il s’imaginait deux petits personnages faits de petits cristaux blancs.
Moi, j’y voyais autre chose, le baiser ne marquait pas la fin du récit, mais le début d’une découverte, déclenchée par l’étincelle d’un échange entre sel et sucre, la surprise d’ un goût nouveau, d’une sensation nouvelle. Cette découverte, c’est l’histoire qui s’écrit encore à travers les échanges culturels, la traversée de la Méditerranée ne tenait plus qu’à un pont, celui des jeunes esprits.
Cet échange entre jeunes, français et algériens, est abordé dans le court métrage de Juliette Chenais de Busscher Frères, carnet de voyage d’Algérie. Filmé à l’aide de son téléphone portable, ce documentaire retrace le voyage en Algérie de cette jeune artiste et réalisatrice française : « Ce documentaire a été réalisé avec Lyes Kaci, un ami que j’ai rencontré par le biais d’internet et qui m’a proposé de venir en Algérie. L’aventure me tentait grandement, et j’ai tout de suite accepté » a-t-elle déclaré à la fin de la projection. Un petit voyage dans l’univers de la jeunesse algérienne, à travers le quotidien de deux frères faisant visiter les villes de Bejaia et d’Alger à Juliette Chenais, sur un fond de musique de Cheikh Sidi Bemol.
Souvenirs de 61
L’auditoire, entrainé au rythme de la célèbre chanson Boudjeghlellou , s’est ensuite laissé aller au rythme de la« poésie muette » de Nawel Oulad. « L’eau tonne 61″, danse contemporaine, hommage au massacre du 17 Octobre 1961, illustrant la souffrance de ces Algériens jetés dans les eaux froides de la Seine. Une bande son énumérant une par une les victimes des répressions de la police française rythme son geste machinal lorsqu’elle verse de l’eau tiède dans des verres disposés sur une table. Chaque nom en était un de trop. Le ruissellement du liquide s’accélère, les personnes citées sont de plus en plus nombreuses, puis c’est le ras le bol, elle se laisse alors entraîner par les notes apaisantes de Ray Charles « Georgia on My Mind » qui allègent l’atmosphère, et sonnent comme un lâché prise, comme une trêve, comme une âme qui s’en va laissant un corps lourd s’enfoncer dans les profondeurs des eaux parisiennes.
Après une performance plus qu’émouvante, la jeune artiste d’origine algérienne a tenu à justifier son choix quant à la musique de Ray Charles « Lors des manifestations du 17 octobre, certains des algériens, manifestants pacifistes, étaient retenus au Palais des Sports de Paris. Ils étaient questionnaient par la police française et victimes des pires sévices. Les autorités avaient ensuite assuré que les lieux seraient évacués pour que le concert de Ray Charles, prévu ce jour-là, puisse avoir lieu. » Cette musique sonne comme le générique d’un massacre d’Etat balayé d’un revers de main pour le concert d’un artiste qui avait auparavant, refusé de jouer en Georgie afin de dénoncer la ségrégation raciale.
Pour finir, c’est un véritable hymne à la mixité, et à la tolérance qui nous a été présenté dans le documentaire de Bruno Lemsle, La Goutte d’Or, vivre ensemble. Le photographe et cinéaste nous prend par la main pour nous faire traverser le cœur d’un Paris cosmopolite, véritable mixe de culture du monde entier. Un quartier où l’auteur dit aimer se perdre, un melting-pot au détour des rues du 18ème arrondissement où la vie devient survie, où malgré la précarité, les habitants ne perdent pas leur joie de vivre, marque de fabrique de ce village parisien des plus conviviaux.
Aujourd’hui, la France et l’Algérie continuent d’écrire une histoire, celle de la diversité, celle de l’ouverture vers le monde. C’est autour d’une collation que s’est terminée cette journée, les spectateurs ravis, prolongèrent alors le débat, chacun y allant de son point de vue, poursuivant à l’encre de la mémoire, l’écriture de l’histoire.
Nedjma Falek Amrani