PORTRAIT – D’une énergie débordante, le jeune comédien algérien Réda Seddiki a conquis les salles de France et s’apprête à se produire en Algérie pendant le Ramadan. Ingénieur en cryptographie de formation, il a abandonné ses calculs pour offrir son regard neuf algérien sur la France qu’il a connue dans la joie et la bonne humeur.
Si rien ne le prédestinait à la comédie, cet originaire de Tlemcen véhicule un enthousiasme sans faille et affiche sa passion pour le rire. Bien que pris par la politique, Réda Seddiki ne prétend pas apporter de solutions aux problèmes qu’il évoque. Son but est de pousser les personnes qui assistent à des spectacles à se poser des questions sur le monde dans lequel l ils vivent. Sinon, il aurait fait de la politique, se plaît-il à dire.
Sa méthode ? Pratiquer l’art de l’expression de la langue française mais avec un humour algérien. Il s’adonne à des blagues piquantes et tranchantes, mais « avec beaucoup d’empathie, un regard bienveillant ; ce n’est pas du sarcasme gratuit, c’est affectueux, à l’algérienne quoi ».
Si aujourd’hui son agenda est rempli jusqu’à décembre entre la France et l’Algérie, Réda n’avait jamais rêvé d’être comédien. Elève assidu en mathématiques, il pratique pendant six ans le piano au conservatoire de Tlemcen. Pour lui, son rêve était le même que celui de tout le monde : devenir ingénieur et avoir une vie carrée et bien rangée. A l’âge de 16 ans, alors que le centre culturel français vient d’ouvrir ses portes, il s’y rend souvent pour emprunter des livres qu’il dévore. C’est à cette époque aussi qu’il tombe sur une annonce pour un examen de français ouvrant les portes à des études supérieures en France. N’hésitant pas, il saisit l’opportunité et se retrouve, deux ans plus tard, à l’université de Pierre et Marie Curie à Paris , poursuivant des études mathématiques.
Fils de modestes fonctionnaires, il décrit ses années passées à l’université en France comme inoubliables et géniales. N’ayant eu aucun problème d’intégration, il avoue avoir pleinement adoré sa vie universitaire, sans regarder derrière lui, le regard ancré dans le présent. De cette période, il se souvient de son innocence et de son inconscience. Et c’est bien à travers ce prisme qu’il écrit son premier spectacle, « Lettre à la France », dans lequel il raconte son histoire de jeune algérien débarquant dans l’hexagone.
La comédie est arrivée dans sa vie à petit pas. Alors toujours à l’université, il crée avec des amis une association qui commente l’actualité de la fac avec une touche d’humour. Mais c’est après s’être rendu à un spectacle d’humoriste que sa vocation va naître. Soucieux de l’accessibilité financière de ces spectacles, il ramène avec ses amis des comédiens moins connus et remplit l’auditorium de sa faculté chaque mois. Il commence alors à écrire des sketchs et à se produire occasionnellement.
C’est pendant son stage de fin d’étude qu’il dit avoir découvert la France dans son vrai visage. Son image est passée du rêve à la lucidité. « Quand on était étudiant, on était pauvre mais on sortait quand même tous les soirs, on avait une vie épanoui et heureuse. Puis après, tu rentres dans une autre vie où tu es entouré de gens avec de l’argent, un appartement, en bref la vie que toi tu veux avoir. Mais ces gens là, ils ne sont pas heureux. Ils sont tristes et sous antidépresseurs ». Il découvre donc une France qu’il qualifie « d’antipathique ».
Après son stage, comme beaucoup d’algériens qui étudient en France, il ne trouve pas d’emploi. Sans craindre l’expulsion pour autant, il commence à écrire, beaucoup et passer des auditions. Très vite, il décroche trois mois de programmation tous les jeudi à 20h30 dans une salle à Pigalle. Après quelques spectacles, il est approché par celui qui devra son directeur de production qui le recrute et prolonge ses dates. Après avoir vu l’engouement de son publique et des professionnels, il accepte de prolonger sans hésitation et décide de se consacrer à sa passion.
Alors qu’il se rend vendredi à Alger pour s’y produire, son regard pétille lorsqu’on lui demande ce qu’il ressent lorsqu’il se produit dans sa terre natale. « C’est magnifique, le publique est génial parce qu’on a le même humour. On a plus de liberté artistique. Les algériens ils comprennent le français, l’anglais, l’arabe tout ce que tu veux. Ils connaissent la politique américaine, turque et française. Par contre, si tu leur demandes le nom du ministre de l’économie algérienne, ils vont te répondre je ne sais pas. Si tu leur demandes celui du ministre français, ils vont te dire Bruno Le Maire ».
Il dit ne pas connaître la censure en Algérie. « Il n’y a pas de tabou, j’ai même parlé une fois d’homosexualité et les gens ont adoré. Le problème en Algérie, c’est qu’on s’autocensure. Si tu vas au restaurant avec des algériens et que le serveur arrive pour demander ce qu’ils veulent boire, il y aura un silence pendant 5 minutes. Ca résume tout ».
Revenir en Algérie est une possibilité pour Reda Seddiki. S’il dit n’avoir aucun problème à rentrer, il admet être un étranger qui s’est habitué à l’exil. Il adore la différence et en vit. Pour lui, l’Algérie est « une fille de 18 ans avec qui tu vies au jour le jour. Elle est inattendue, il ne faut rien attendre d’elle, elle nous surprend toujours. Elle n’a pas envie de faire ton linge ni de te faire à manger ». Et c’est dans cet état d’esprit qu’il aborde le pays de son enfance car, à coté, la France, « c’est une femme de 30 ans avec qui tu te poses tranquille. Elle a un salaire et elle incarne la stabilité. Tu sais à quoi t’attendre quand tu rentres chaque soir, elle est prévisible. L’Algérie n’est pas une grande nation comme la France donc on peut pas tout lui demander, mais il faut en profiter avant qu’elle le devienne, car il y a quelque chose de magique dans ça ».
Réda Seddiki se présente le 2 et 23 juin à Alger au Palais du Rais puis du 7 au 30 juillet tous les jours à 18h au théâtre de La Tache D’Encre à Avignon.