Comme chaque année, la fête du bijou d’Ath Yenni invite les curieux et les passionnés à (re)découvrir l’art du bijou kabyle. Cette année, les organisateurs du festival souhaitent rendre hommage à l’artisan, sans qui les bijoux ne verraient jamais le jour.
Un soleil de plomb accable la commune d’Ath Yenni, vendredi 8 août. Malgré la chaleur écrasante, les volontaires sont à pied d’œuvre pour accueillir les visiteurs. Des jeunes gens vêtus de gilets jaunes orientent les automobilistes, d’autres, portant un T-shirt floqué sur lequel on peut lire « 11è édition de la fête du bijou », vendent les tickets et distribuent des plans de la commune.
Depuis maintenant 11 ans, Ath Yenni s’est imposée comme le centre névralgique d’un artisanat séculaire. Chaque année, la commune organise la fête du bijou kabyle, qui réunit de nombreux curieux et passionnés. L’année dernière, plus de 40.000 visiteurs sont venus admirer – et acheter – les bijoux exposés à Ath Yenni. Cette année, les 150 exposants présents espèrent battre ce record de fréquentation.
Dans la cour de la maison de jeunes « Keddache Ali », transformée le temps du festival en bijouterie éphémère, les quelques tentes installées pour l’occasion peinent à apporter un peu de fraîcheur. Mais qu’importe, la chaleur ne semble pas venir à bout de la bonne humeur des exposants et des visiteurs. On flâne, on dévore avec les yeux, on tend la main pour attraper un bracelet ou un collier, on pèse une paire de boucles d’oreilles pour déterminer son prix. Les bijoux, certifiés « argent garanti », sont principalement kabyles, mais certains artisans venus du sud de l’Algérie ont également fait le déplacement pour promouvoir leurs créations.
Un savoir-faire menacé
Car c’est bien de cela qu’il s’agit : au-delà du chiffre d’affaires réalisé pendant ces 8 jours de festival, ce qui importe surtout c’est de défendre un savoir-faire séculaire qui est aujourd’hui dans la tourmente.
Plusieurs menaces pèsent en effet sur le bijou kabyle. Le président de l’APC, Ismail Deghoul, qui accueille les visiteurs autour d’un thé à l’espace culturel « Mouloud Mammeri », attire notre attention sur le déclin de cet artisanat. « Les jeunes ne veulent plus reprendre la bijouterie de leurs parents, car le métier est de plus en plus difficile », explique-t-il. En cause, l’absence de soutien de l’État algérien. « L’État met des bâtons dans les roues aux bijoutiers kabyles, notamment pour l’achat des matières premières dont ils ont besoin », précise un des organisateurs du festival.
Ilyas, artisan bijoutier qui exporte ses créations dans toute la région, s’inquiète lui aussi pour son métier, mais pour d’autres raisons. « C’est une tradition qui risque de mourir. À mesure que les femmes kabyles adoptent l’Islam oriental, elles changent leurs habitudes vestimentaires et troquent leurs bijoux pour le foulard », regrette-t-il.
Sur la table qui lui sert de stand, aux côtés de ses confections récentes, sont exposés des bijoux anciens qui témoignent de l’ancrage séculaire de l’orfèvrerie dans la culture kabyle. « Le bijou est une idée abstraite que l’artisan transforme en objet concret », explique Ilyas. « Dans la tradition, chaque bijou est porteur d’une signification : tel médaillon annonce une naissance, tel bracelet de pied indique que la jeune fille qui le porte est célibataire, etc. ». Pour Ilyas, le bijou kabyle est donc un héritage culturel qu’il faut préserver. « Le port des bijoux, c’est le symbole de la liberté de la femme kabyle », conclut-il.
Un artisanat légendaire
Pour comprendre les origines de cette tradition, il faut remonter loin dans le temps. Première étape, la naissance de l’idée du bijou, objet de nombreuses légendes. À Ath Yenni, la légende la plus fréquemment racontée par les connaisseurs est celle d’Adam et Ève. Chassé du Paradis, Adam est en colère contre sa femme Ève, qui n’a pas su résister à la tentation du serpent. Mais alors qu’Adam se retourne pour contempler une dernière fois le paradis perdu, il voit que sa femme a piqué une fleur dans ses cheveux. Adam trouve Ève si belle qu’il en oublie sa colère. Le bijou est né.
Son arrivée en Kabylie est plus récente. En 1492, la reine d’Espagne chasse de son royaume tous ceux qui refusent de se convertir au catholicisme. Juifs et musulmans sont donc obligés de s’exiler de l’autre côté de la Méditerranée. Ils s’installent dans les pays du Maghreb, dont l’Algérie. Certains artisans juifs se retrouvent ainsi à Béjaïa, apportant avec eux l’art de faire les bijoux, art qu’ils transmettent progressivement aux habitants de la ville. Le jeu des conquêtes fait, dans les décennies qui suivent, que des bijoutiers de Béjaïa viennent s’installer à Ath Yenni. À l’époque, la commune est spécialisée dans la production de fausse monnaie, qu’elle écoule sur les marchés algériens pour fragiliser l’empire turc. Mais les espions du dey découvrent le secret des habitants d’Ath Yenni. Une centaine d’entre eux sont arrêtés, et un ultimatum est posé : soit les faux-monnayeurs donnent leurs machines aux envoyés du pouvoir, soit les prisonniers sont exécutés. La production de fausse monnaie s’achève ainsi, et les habitants d’Ath Yenni se tournent alors vers la production de bijoux.
Le bijou kabyle, fruit d’échanges interculturels
« Au final, le bijou kabyle est le fruit des échanges entre les Kabyles, les Israélites et les Touaregs », constate Ilyas. Symbole de liberté, le bijou kabyle est donc également le signe que les échanges entre les peuples sont un atout pour le développement culturel et commercial.
L’échange, c’est encore ce qui caractérise la fabrication des bijoux aujourd’hui. Le plus souvent, chaque bijou est le résultat de l’alliage de trois matériaux : l’argent, le corail et l’émail. L’argent est extrait en Algérie, traité en France, et réimporté ; le corail provient du bassin méditerranéen ; et l’émail est importé de la ville de Limoges, en France.
Ainsi, si le savoir-faire est propre aux artisans kabyles, la confection du bijou kabyle est le résultat d’échanges qui dépassent largement les montagnes de Kabylie. Au-delà de leur évidente beauté, les bijoux présentés cette semaine à Ath-Yenni ont donc une portée symbolique forte, qu’il est important de protéger et de promouvoir.