SILA 2014 : les dessous des subventions à l’édition et au livre en Algérie

Redaction

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Le Salon International du Livre d’Alger (SILA) 2014 a ouvert ses portes il y a deux jours. Une occasion de s’interroger sur l’industrie du livre en Algérie et particulièrement sur les conditions de travail des éditeurs algériens.

La 19e édition du SILA durera jusqu’au 8 novembre prochain. Pas moins de 900 exposants nationaux et étrangers prennent part à cette grande manifestation culturelle qui devient incontournable pour les professionnels du livre. En marge de ce salon, beaucoup de rencontres sont prévues avec de grands auteurs, ainsi que des hommages à des personnalités comme le poète palestinien Samah El Kacim ou le prix Nobel de littérature colombien Gabriel Garcia Marquez.

Une bonne occasion de s’interroger sur l’état actuel du livre en Algérie, en laissant la parole aux éditeurs, premier rouage de cette industrie du livre. La politique d’aide aux éditeurs mise en place par l’Etat algérien est-elle suffisante pour leur permettre de mettre en avant de jeunes auteurs ? Un an après l’adoption par le Conseil des Ministres d’un projet de loi qui doit réformer le marché du livre et qui a divisé les éditeurs, nous sommes allés à la rencontre des différents acteurs du marché du livre en Algérie.

Des subventions allouées avec des critères un peu flous

 « Un an après son adoption par le Conseil des Ministres, le projet de loi sur le livre n’est toujours pas effectif » explique Salim Sedjal qui travaille aux éditions Apic. Et pour cause : le projet doit encore passer par l’Assemblée et le Sénat. « Cette loi devrait nous aider à promouvoir de nouveaux talents. On publie déjà de jeunes auteurs comme Sarah Haidar ou Randa El-Kolli mais une aide plus conséquente nous permettrait de les mettre encore plus en avant » commente Salim.

Les éditeurs algériens bénéficient déjà, pourtant, d’une aide de l’Etat, allouée par le Ministère de la Culture. « On ne peut pas dire que les éditeurs ne sont pas aidés par l’Etat » tranche  Dalila Nedjem, directrice des éditions Dalimen. « Le ministère de la Culture achète des quotas de livres pour les diffuser ensuite dans les bibliothèques et d’autres institutions publiques. Cela nous permet, à nous éditeurs, de vendre les livres moins cher » explique cette professionnelle de l’édition.

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Dalila Nedjem, directrice des Editions Dalimen, dans son stand au SILA

Pour bénéficier de telles subventions, l’éditeur doit passer par le Centre National du Livre (CNL), instance dépendante du Ministère de la Culture créée en 2009. Ce dernier choisit, grâce à un système de commissions, les livres qui recevront une aide du Ministère de la Culture.

Mais tous les éditeurs n’arrivent pas à obtenir de telles aides. C’est le cas de Nouredine Necib, directeur de Necib Editions et membre du Syndicat National des Editeurs du Livre (SNEL). « Pour ma part, je n’ai jamais reçu de subventions. Ce n’est pas faute d’avoir déposé des livres au CNL. Je ne sais pas en vertu de quels critères ils élisent tel ou tel ouvrage », dit-il.

Bendif Hassen, directeur général du CNL, assure pourtant que son institution fonctionne de manière transparente. « Nous avons quatre commissions permanentes; création et traduction, commission du livre jeunesse, la commission de l’édition et de la diffusion et la commission des activités relatives au livres. Nos critères de sélection se limitent à des aspects techniques, il faut que les livres répondent à certaines normes d’écritures. Nous n’avons pas de ligne éditoriale et ne faisons preuve d’aucune censure en matière de thèmes ou sujets» se défend-il.

« Pour ma part je demande un soutien pour ce que j’appelle les livres à respiration moindre, c’est-à-dire les livres difficilement accessibles au grand public à cause du prix, comme les encyclopédies ou la poésie», explique Dalila Nedjem des éditions Dalimen en montrant plusieurs ouvrages de son stand qui ont bénéficié d’une aide de l’Etat. « Je ne pense pas que le thème des livres proposés sont pris en considération dans le choix de la commission », poursuit-elle.

Une aide « ponctuelle » plutôt qu’un « réel fond de soutien »

Le son de cloche est un peu différent chez Barzakh. Les éditions qui ont publié le finaliste du prix Goncourt Kamel Daoud reconnaissent qu’elles proposent le plus souvent des livres en rapport avec des échéances nationales. « Nous recevons surtout des subventions pour des essais historiques, du Ministère de la Culture et du Ministère des Moudjahidine», explique une jeune femme qui tient le stand ce vendredi. « On a déposé pas mal de livres à la commission dans le cadre du Cinquantenaire. Il est vrai que les aides de l’Etat sont souvent réduites à des événements ponctuels ou des célébrations comme Constantine capitale de la Culture  Arabe», ajoute notre interlocutrice. «Mais de là à dire qu’il faut obéir à une certaine ligne éditoriale ou à certains critère pour voir ces livres subventionnés, je ne crois pas ! » modère-t-elle.

Un projet de loi sur le livre qui se fait attendre

Azzedine Guerfi, directeur des éditions Chihab, partage le même avis : « les subventions de l’Etat sont occasionnelles et circonscrites à des manifestations comme Tlemcen capitale de la culture Islamique, mais il n’y a pas de réel fond de soutie ».  Il dit attendre avec impatience le projet de loi sur le livre qui doit encore passer par l’APN et le Sénat avant d’être appliqué. « Cette loi devrait enfin impulser une véritable politique du livre, en créant des mécanismes de diffusion plus efficaces», argue le directeur des éditions Chihab.

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Azzedine Guerfi, directeur des Editions Chihab, dans son stand au SILA

Ce projet de loi adopté il y a tout juste un an par le Conseil des Ministres prévoit la professionnalisation et la régulation de la branche des libraires et la mise en place d’un prix fixe pour les livres sur tout le territoire.

 « La loi prévoit également de développer un lectorat jeune par l’obligation de lecture de trois romans pour les petits algériens » tient à souligner Azzedine Guerfi.  « Il y a 8 millions d’élèves en Algérie, imaginez, pour nous éditeurs, cela représente un marché de 24 millions de livres ! Je suis optimiste sur l’avenir du livre en Algérie. »

« Cette loi est une porte ouverte au monde de l’édition » acquiesce Dalila Nedjem. « Avec cette nouvelle politique du livre, le statut de l’éditeur va changer, pour passer de prestataire de service à véritable producteur » conclut-elle enthousiaste.

Arezki Ibersiene et Agnès Nabat