Notre collaborateur Abdelhafid Ouadda a plusieurs cordes à son arc. Outre son travail d’auteur-compositeur et parolier, il écrit aussi des romans. Son dernier livre, Spania, publié en janvier 2009 aux éditions Elzevir, traite du drame des harraga.
Pour rappel, Abdelhafid Ouadda a publié son premier livre, Le Grand Douar, en 2007 aux édition Le Manuscrit. A découvrir vite.
Extrait
« …La journée a atteint sa maturité et rien encore n’a été décidé sauf de redistribuer les fruits secs qui restent en réserve et de boire un peu de cette eau qui s’est transformée en une soupe chaude et insipide, ils prennent quand même le soin d’en laisser un fond par réflexe de conservation. Toujours assis contre le flanc du zodiac, la tête penchée sur le côté, Zoubir se met à vomir sur lui et gémit en marmonnant faiblement et sans cesse le mot Yemma. Toujours prompt à soigner son protégé, Abdessetar trempe sa chemise dans l’eau de mer et nettoie sans sourciller les déjections nauséabondes de son ami tout en lui murmurant des mots réconfortants. Le mascaréen a mis sa tête sous le cache du bateau afin de fuir dans un sommeil affecté les affres de ce monde cruel.
La faim est tellement insupportable qu’on a du mal à l’oublier à bord de cette barque exposée au soleil qui cogne dur sur les tissus en élastomère qui dégage une désagréable odeur de caoutchouc. Les chemises trempées dans l’eau de mer sont portées en turbans sur les têtes aux visages faméliques. L’algérois n’hésite pas de temps à autre à plonger dans l’eau afin de rafraîchir son corps affaibli des morsures implacables du soleil mais le sel attise davantage les brûlures sur ses épaules écorchées. La décision de reprendre la navigation ne se fait plus attendre, la vitesse du zodiac prise en face de l’atmosphère écrasante leur donnerait pour un temps, la ventilation nécessaire devant cette chaleur barbare. Le bruit du moteur est aussi un moyen de couvrir ce silence qui met en évidence l’isolement dans lequel ils se sont engouffrés. Entre les monstrueuses profondeurs du ciel et celles de la mer avec pour médiateur cet implacable disque solaire persécuteur, aucune alternative humaine ne peut être consacrée dans le but d’obtenir la moindre issue de secours. En définitive, la nature inflige de toute sa majesté, son impitoyable justice à tous ceux qui osent braver sa loi… »