Ils étaient près de 300 à être venus des quatre coins du pays pour assister, samedi après-midi à la salle Sierra Maestra d’Alger, à la deuxième édition du Algeria Metal Fest. Un événement que beaucoup n’auraient raté pour rien au monde, tant les concerts de métal sont devenus rares aujourd’hui en Algérie. Plongée dans un univers méconnu, qui tente difficilement de s’extraire de l’ostracisme qui le frappe depuis plusieurs années.
Crâne rasé, bouc fourni, Samir arbore fièrement un t-shirt à l’effigie d’Iron Maiden, son groupe préféré. A 37 ans, ce médecin de profession a toujours baigné dans la culture métal. Et pourtant, il privilégie cette après-midi la tranquillité du balcon à la fièvre de la fosse de la salle Sierra Maestra. Et pour cause : le jeune père de famille est venu accompagné de ses deux petites filles, Tania et Sabrina, respectivement 6 ans et 7 ans et demi.
« C’est la relève, » confie celui qui travaille dans le Sud et ne rentre à Alger que pour les vacances. « Leur mère et moi écoutons tous les deux du métal. Elles en ont toujours entendu à la maison et elles sont habituées. Mais c’est la première fois qu’elles assistent à un concert, et ce ne sera sûrement pas la dernière! » s’exclame Samir en jetant un regard complice à son aînée, en plein solo de « air guitar » sur le siège voisin.
Quelques rangs plus haut, une femme seule, la cinquantaine, semble éprouver tout autant de plaisir au son des accords déjantés du bassiste de Thowar, l’un des trois groupes sur scène ce samedi après-midi. Maquillée, tenue de ville élégante et collier coloré au cou, Ouardia est elle aussi issue d’une famille de mélomanes, fan inconditionnelle d’ACDC et d’Atakor.
« On devrait avoir le droit d’exister »
Pour trouver des « métalleux » plus conformes à l’idée que l’on s’en fait, il faut descendre d’un étage et se rapprocher de la scène. Ils sont alors plusieurs dizaines, filles autant que garçons, cheveux longs et bracelets noirs à pics d’argent, à se rentrer dedans -« pogoter »- ou à secouer frénétiquement leur tête dans une ondulation ample de tout le haut du corps – « headbanger ».
« On est là pour s’exprimer, pour se défouler, » expliquent Anis et Walid, deux étudiants de 17 et 24 ans qui se retrouvent à chaque fois avec grand plaisir sur les rares concerts de métal de la capitale. « On est juste là pour s’amuser entre amis. Ça rend la vie moins ennuyeuse, et c’est mieux que de traîner dans la rue ou de rester chez soi devant son ordinateur. Le problème, c’est que le monde de la culture nous juge sur l’apparence et ne nous considère pas. Pourtant, il y a un vrai public. On devrait avoir le droit d’exister, » plaident les deux garçons aux boucles courtes.
Un ou deux concerts par an
Ces jeunes sont le renouveau du métal algérien, le Algeria Metal Fest leur exutoire. Le festival a été créé en 2012 par le collectif Ex-Fest, qui avait lancé peu avant son propre webzine, une webradio, ainsi qu’une chaîne Youtube. Son but : permettre aux jeunes talents de s’exprimer, et « réanimer » les scènes rock et métal algériennes, en nette perte de vitesse depuis une dizaine d’années.
« Du milieu des années 1990 jusqu’à environ 2006, il y avait presque un concert de métal par semaine en Algérie. Depuis, c’est à peine s’il y en a deux ou trois chaque année à travers tout le pays, » affirme Bilel Boudjellouli. Ancien rédacteur pour des magazines spécialisés et désormais animateur sur exradiowebalgeria, il avance comme explications la disparition de certains groupes emblématiques, la priorité accordée aux styles de musique plus « traditionnels » -gnaoui ou châabi- dans l’attribution des subventions, l’explosion de la vidéo sur Internet, qui offre la possibilité de regarder du métal sans avoir à se déplacer, ou encore les réticences des programmateurs de salles.
Sur ce dernier point, les artistes sont catégoriques : les craintes sont infondées et reposent sur des préjugés. « En 20 ans de carrière, je n’ai jamais vu un seul incident, mis à part quelques sièges cassés, » certifie Salem, co-fondateur du groupe Atakor. Pour l’événement de samedi, l’organisation assure que les services de sécurité ont été renforcés, avec notamment des fouilles et des contrôles à l’entrée, ainsi que plusieurs agents chargés, à l’intérieur, de tempérer les ardeurs de fans parfois un peu trop virulents dans les contacts. Grâce à une confiance totale de la part de la responsable de la salle, la Sierra Maestra a accueilli une quinzaine de concerts de métal ces quatre dernières années. Sans rencontrer aucun autre problème que le scepticisme des riverains du quartier Meissonier, confirme-t-on du côté de la direction.
« Nous ne sommes ni extrémistes, ni sectaires »
Le principal obstacle au développement du métal en Algérie demeure l’image très négative associée à ses adeptes. « On nous accuse d’être des vilains satanistes, des drogués et des alcooliques, » témoigne Nabil Lassouani, bassiste du groupe Black Rock’s Garden. « Mais ces catégories ne représentent qu’une frange marginale de notre communauté. Nous ne sommes ni extrémistes, ni sectaires. Personnellement je n’écoute presque jamais de métal, mais plutôt du rock, du jazz, ou même du Lady Gaga! Je suis un musicien bien avant d’être un « métalleux »,» poursuit celui qui a touché sa première guitare à l’âge de 7 ans.
A bientôt 27 printemps, celui qu’on surnomme « Grizzli » -à cause de son imposante carrure et de son air « nounours »- représente cette nouvelle génération d’artistes métal « conventionnels », aux situations familiales et professionnelles stables -beaucoup sont mariés et pères de famille, ingénieurs, techniciens ou cadres supérieurs.
Avec quelques voisins et amis de sa cité universitaire de Boumerdès, Nabil a décidé il y a cinq ans de fonder son propre groupe, et ils se sont mis à composer des chansons pour dénoncer des problèmes de société, parler du terrorisme ou encore exprimer leur revendications anti-système. Après une trentaine de concerts, les cinq membres de Black Rock’s Garden aimeraient aujourd’hui sortir leur premier album. Mais pour cela, ils doivent d’abord trouver un studio qui accepte de les produire. Or, il en existe très peu en Algérie, et aucun n’a collaboré avec un groupe de hard rock depuis plusieurs années.
« La musique adoucit les mœurs »
Le quotidien de ces musiciens amateurs est ainsi parsemé d’embûches. Ils ne reçoivent aucune aide du Ministère de la Culture et doivent se financer sur leurs propres deniers. Comme ils ne peuvent souvent pas s’offrir un ensemble instrumental complet (minimum 10 000€), certains sont devenus experts en bricolage…et apportent même sur scène leur fer à souder, histoire de peaufiner les derniers réglages techniques juste avant leur prestation!
Indésirables pour le voisinage dans les zones résidentielles, ils doivent également se battre pour obtenir la mise à disposition d’une salle de répétition. Ce qui les contraint parfois à suspendre inopinément leur carrière, comme le groupe Thowar, qui a dû s’arrêter deux ans pendant les travaux de rénovation de la maison de la culture dans laquelle il avait l’habitude de jouer.
Alors, pour tenter d’améliorer leur situation et faire évoluer les mentalités, les amoureux du métal se mobilisent. Et comme sur scène, leurs guitares semblent plutôt bien accordées. « J’ai envie de dire à tous ceux qui pensent que nous ne faisons que du bruit : venez au moins assister à un concert, ou bien regardez une vidéo qui explique ce qu’est le métal, » rétorque Bilel Boudjellouli. « J’aimerais du fond du cœur qu’il y ait une sorte de grande conférence de vulgarisation, afin d’expliquer aux gens que la musique, quelle qu’elle soit, adoucit les mœurs, » renchérit Nabil Lassouani. Avant de laisser le mot de la fin à Rafik Slimani, le guitariste de Thowar : « Le métal n’est certes pas accessible au premier venu, et il faut du temps pour l’apprivoiser. Mais si les gens s’y intéressent, leurs oreilles vont s’ouvrir à de nouveaux sons. Et je leur garantis qu’elles ne vont pas saigner! »