Le marché parallèle des devises en Algérie est une sorte de boussole informelle de l’économie du pays. Depuis quelques mois, l’euro semble suivre une trajectoire ascendante qui inquiète tant les autorités que les citoyens algériens. Le 18 septembre, l’euro a franchi une nouvelle étape en atteignant 247 dinars sur le marché noir, battant ainsi des records historiques et s’approchant dangereusement de la barre symbolique des 250 dinars l’unité.
Mais pourquoi cette flambée incontrôlable de la monnaie européenne ? Quels sont les facteurs qui expliquent cette tendance ? Et surtout, quelles en sont les répercussions pour une économie algérienne déjà fragile ?
Le Contexte Économique : Un Équilibre Précaire
L’Algérie, riche en hydrocarbures, a longtemps été dépendante des fluctuations du prix du pétrole pour maintenir la stabilité de son économie. Cependant, la baisse des cours mondiaux ces dernières années, couplée à une demande intérieure de plus en plus forte en devises étrangères, a exacerbé la crise monétaire qui sévit dans le pays.
Sur le marché officiel, la Banque d’Algérie maintient un taux relativement stable : le 18 septembre 2024, l’euro est coté à 146,82 DZD et le dollar à 132,27 DZD. Pourtant, ces taux officiels semblent déconnectés de la réalité du marché noir, où les devises sont échangées à des valeurs bien supérieures. L’écart grandissant entre les deux marchés reflète non seulement la demande croissante pour les devises fortes, mais aussi une certaine perte de confiance dans le dinar algérien.
Les Facteurs Derrière la Flambée de l’Euro sur le Marché Noir
1. La Fin de la Saison Estivale et la Reprise des Importations
L’un des principaux éléments qui explique la montée de l’euro sur le marché parallèle est la reprise des activités d’importation. Après une période estivale où la demande en devises a été moins pressante, la fin des vacances marque traditionnellement une hausse des besoins en euros pour financer les importations. Les commerçants et importateurs algériens, qui dépendent largement du marché noir pour obtenir des devises, accentuent alors la pression sur l’offre, ce qui tire les prix à la hausse.
Témoignage : Un cambiste actif sur le Square Port Saïd, principal lieu de négoce des devises à Alger, explique : « Les importateurs ont besoin d’euros pour acheter à l’étranger. Dès la rentrée, on voit cette demande exploser chaque année, mais cette fois-ci, c’est plus prononcé. L’offre est simplement insuffisante. »
2. Le Retrait des Émigrés et la Baisse de l’Offre en Devises
Durant les mois d’été, de nombreux émigrés algériens, qui résident en Europe, reviennent au pays pour y passer leurs vacances. Ils apportent avec eux des devises, souvent sous forme d’euros, ce qui contribue à augmenter temporairement l’offre sur le marché noir. Cependant, avec la fin de la période estivale et le retour des émigrés en Europe, l’offre diminue drastiquement, créant un déséquilibre entre l’offre et la demande.
L’absence de cette injection de devises en septembre provoque ainsi une pénurie artificielle sur le marché noir, poussant les cambistes à réajuster leurs prix à la hausse.
3. La Thésaurisation : Une Tendance Croissante
Un phénomène relativement nouveau en Algérie est la thésaurisation des devises. De plus en plus de citoyens algériens, inquiets de la dépréciation continue du dinar et de l’instabilité économique du pays, optent pour conserver leurs économies en euros ou en dollars. Ce comportement, motivé par une crainte de l’érosion du pouvoir d’achat, réduit encore davantage l’offre disponible sur le marché.
Selon un économiste algérien, « les citoyens algériens cherchent à protéger leur épargne de la dévaluation du dinar en accumulant des devises, ce qui contribue directement à la raréfaction des euros et des dollars sur le marché. »
4. L’Écart entre les Taux Officiels et Parallèles
L’un des moteurs sous-jacents de cette flambée est l’écart entre les taux officiels et parallèles. Sur le marché officiel, la Banque d’Algérie maintient des taux relativement bas. Cependant, ces taux ne reflètent pas la demande réelle de devises dans l’économie algérienne. La pénurie chronique de devises rend le marché noir attractif pour ceux qui ont besoin de grandes quantités d’euros, comme les importateurs ou les familles souhaitant financer des études à l’étranger.
Cet écart important entre les deux marchés crée une dynamique où les cambistes peuvent spéculer et augmenter les prix sans craindre de perdre des clients, renforçant ainsi la tendance haussière.
5. La Hausse de l’Euro Face au Dollar en Bourse
En parallèle, l’euro s’apprécie sur les marchés internationaux face au dollar. Cette hausse a un effet d’entraînement sur les marchés parallèles en Algérie, où les prix de l’euro suivent de près les fluctuations internationales. Cette tendance, couplée à une forte demande locale, fait grimper l’euro à des niveaux jamais atteints.
L’Impact sur l’Économie Algérienne
Une Inflation Imminente ?
La hausse de l’euro sur le marché noir a des répercussions directes sur l’inflation. L’Algérie dépend largement des importations pour couvrir ses besoins en produits de première nécessité, qu’il s’agisse de produits alimentaires, d’équipements ou de médicaments. Lorsque les importateurs doivent acheter des devises à des taux plus élevés, ils répercutent cette augmentation sur le prix des biens, ce qui alimente l’inflation.
Un économiste basé à Alger prévient : « Si l’euro atteint 250 dinars ou plus, cela entraînera une inflation encore plus forte, car tous les produits importés deviendront plus chers. Cela va mettre une pression énorme sur le pouvoir d’achat des Algériens. »
Une Menace pour les Petites Entreprises
Les petites entreprises, qui n’ont pas les moyens de se couvrir contre les fluctuations de devises, sont les premières touchées par cette situation. Les entrepreneurs qui dépendent des importations voient leurs coûts augmenter, mais ne peuvent pas toujours répercuter cette hausse sur leurs clients sans risquer de perdre en compétitivité. En conséquence, beaucoup se retrouvent piégés entre des marges de plus en plus réduites et une pression croissante pour rester à flot.
La Fuite des Cerveaux et les Études à l’Étranger
Pour les familles algériennes qui financent les études de leurs enfants à l’étranger, la flambée de l’euro complique encore davantage la situation. Avec des frais de scolarité et des coûts de vie à payer en devises étrangères, ces familles se retrouvent à devoir payer beaucoup plus cher pour les mêmes services.
Un parent témoigne : « Mon fils étudie en France. L’année dernière, je devais changer environ 230 dinars pour un euro. Aujourd’hui, c’est presque 250. Cela fait une énorme différence à la fin du mois. »
Que Faire pour Endiguer la Crise ?
Le gouvernement algérien est bien conscient de la problématique du marché noir des devises. Pourtant, les tentatives de répression de ce marché informel n’ont jusqu’à présent donné que des résultats limités. Les solutions envisagées incluent un rapprochement progressif entre les taux officiels et ceux du marché noir, mais cela nécessite une réforme en profondeur des politiques monétaires et économiques.
Certains experts appellent également à une libéralisation contrôlée du marché des devises, permettant aux citoyens d’accéder plus facilement aux devises à des taux compétitifs, réduisant ainsi la dépendance au marché noir. Cependant, cette approche nécessite une gestion prudente pour éviter des fuites massives de capitaux.
Conclusion : Une Situation Hors de Contrôle ?
Alors que l’euro continue de grimper sur le marché noir, la situation devient de plus en plus difficile pour les Algériens. Les raisons derrière cette flambée sont multiples, allant de la pénurie de devises à la demande croissante des importateurs, en passant par la thésaurisation des devises par des citoyens inquiets pour leur épargne.
Sans mesures concrètes pour réguler le marché des devises et rapprocher les taux parallèles et officiels, il est probable que l’euro franchira bientôt la barre symbolique des 250 dinars, avec toutes les conséquences que cela implique pour une économie déjà sous pression.
Le gouvernement doit agir rapidement pour rétablir la confiance dans le dinar et trouver des solutions viables pour empêcher une détérioration plus grave de la situation économique. Le défi est immense, mais il en va de la stabilité et de l’avenir économique du pays.