L’affaire Sonatrach II risque de faire oublier celle qui l’a précédée et qui est pendante au niveau de la Cour suprême depuis plusieurs mois. Les réponses de certaines commissions rogatoires revenues de l’étranger font état de vente clandestine à partir de Londres de pétrole algérien. Deux anciens directeurs généraux de la filiale londonienne de Sonatrach sont inculpés.
Plus de cinq mois après avoir été confié au pôle pénal spécialisé près la cour d’Alger, le dossier Sonatrach II peine à avancer, alors qu’il avait entamé sa vitesse de croisière dès son ouverture. Normal, affirment des sources judiciaires. «L’avancée de l’instruction dépend des réponses des commissions rogatoires délivrées à la justice de plusieurs pays sur plusieurs points jugés essentiels dans le dossier», expliquent nos interlocuteurs. Néanmoins, précisent ces derniers, le juge de la 9e chambre du pôle pénal a déjà reçu une quantité considérable d’informations assez importantes de Dubaï (Emirats arabes unis), de France, de Grande-Bretagne, mais aussi de la Corée du Sud. Ces nouvelles révélations concernent la vente clandestine durant les années 1990-2000 de pétrole algérien à partir de Londres, où la société Sonatrach Petroleum Corporation BVI (SPC), une filiale du groupe Sonatrach, était domiciliée.
Dans ce scandale, six personnes ont été inculpées et placées sous mandat de dépôt par le juge d’instruction. Chawki Rahal, ancien directeur général de SPC Londres, a été rappelé à Alger quelques années plus tard pour être nommé vice-président chargé de la commercialisation. D’importantes sommes d’argent ont transité entre des comptes offshore et d’autres domiciliés à Séoul, avant d’être versés à son compte et celui de son épouse à Londres, inculpée également et placée sous contrôle judiciaire. Selon certaines indiscrétions, celle-ci n’était pas au courant de ces transactions, qu’elle a eu à connaître le jour même de son audition par le juge d’instruction. Devant ce dernier, l’ex-cadre dirigeant de Sonatrach aurait été incapable, nous dit-on, de justifier la somme de 8 millions de dollars trouvée dans ses comptes. L’autre personne inculpée dans le cadre de ce scandale est Mohamed Bayou, vivant actuellement entre Paris et Londres, et qui a lui aussi été à la tête de la SPC, jusqu’au début de l’année 1998. Sa fille et son fils sont également mis en accusation dans le scandale, mais nous n’avons pu avoir aucune information sur le lien entre ces derniers et l’affaire ou encore les griefs retenus contre eux. Tout comme nous n’avons pas pu connaître les conditions dans lesquelles, Lynda Cherouati (présentée par certaines sources comme étant la fille de l’ancien PDG de Sonatrach, lequel PDG a démenti formellement dans un entretien téléphonique) a été inculpée.
Ces décisions avaient été précédées d’autres ayant visé Nouria Meliani Mihoubi, la patronne du bureau d’études privé CAD, qui avait bénéficié de plusieurs marchés auprès de Sonatrach, notamment celui lié à la rénovation du siège de la compagnie situé au boulevard Ghermoul, à Alger. Elle avait été mise sous contrôle judiciaire, lors de la première affaire, Sonatrach I, puis placée sous mandat de dépôt à la lumière des informations contenues dans les réponses des commissions rogatoires dont ont été destinataires plusieurs pays. Celle-ci, faut-il le rappeler, avait cité Réda Hameche, ancien homme de confiance de Chakib Khelil, et directeur de cabinet de l’ex-PDG de Sonatrach, Mohamed Meziane, (ce dernier est placé sous contrôle judiciaire dans le cadre de l’affaire Sonatrach I). Elle aurait avoué avoir effectué des virements en devise sur son compte et sur celui de son épouse en raison de la relation amicale qui les liait. Hameche, aurait-elle ajouté, l’aurait aidé à régulariser de nombreuses factures restées impayées. Ainsi, Réda Hameche s’est retrouvé sur la liste des inculpés, alors que jusqu’à maintenant, il n’a toujours pas été entendu par le juge. Ce qui n’a pas été le cas d’Abdelmadjid Attar, l’ancien PDG de Sonatrach (1997-2000), auditionné, inculpé et placé sous contrôle judiciaire, pour une affaire liée plutôt à son activité en tant que patron d’un bureau conseil privé agissant dans le domaine énergétique. Cette inculpation a été une surprise, dans la mesure où les griefs retenus contre cet ancien responsable de Sonatrach n’ont pas de lien avec ceux relatifs aux activités de la filiale SPC de Londres.
Pour nos sources, il est évident que le juge a reçu de nombreuses importantes informations qu’il est en train de passer au peigne fin et en même temps au tamis. «Le magistrat marche sur des œufs. Il ne peut plus faire marche arrière parce que les informations qu’il a entre les mains sont venues d’ailleurs, donc impossible de les dissimuler ou de les ignorer. Il va jouer sur le temps pour éviter que d’autres personnalités ne soient éclaboussées. L’affaire de la filiale de Londres ne peut être uniquement celle de Chawki Rahal ou de Bayou. Les responsabilités doivent dépasser largement celles de ces cadres. Aller jusqu’au bout de cette affaire, c’est certainement toucher le sommet de l’Etat. Un autre scandale que les dirigeants du pays n’ont pas besoin pour l’instant. Tout le monde compte sur le temps. Ce qui explique les lenteurs actuelles, et qui n’ont rien à avoir avec les vacances judiciaires, puisque les juges sont toujours en poste et ne risquent pas de prendre un congé de sitôt», concluent nos sources. Il est enfin à souligner que toutes ces personnes citées sont innocentes avant que la justice ait statué sur l’issue de cette affaire.
Salima Tlemçani