4G : « Algérie Télécom pose les bonnes questions mais apportent les mauvaises solutions »

Redaction

Quatre mois après le lancement de la 3G mobile, la téléphonie de quatrième génération (4G LTE) sans fil en mode fixe débarque en Algérie. Pour encore de nombreux Algériens la 4G LTE reste une inconnue. Alors, pour tout savoir de ce nouveau mode de communication, Algérie-Focus a rencontré Ali Kahlane, président de Satlinker, une entreprise algérienne qui propose diverses prestations dans le domaine de l’Internet. Entretien.

Présentez-nous la 4G sans fil en mode fixe.

Pour faire simple, la 4G est une évolution technologique normale en matière de téléphonie mobile. L’architecture de ce nouveau réseau ressemble beaucoup à celui d’Internet. Durant les appels, la voix n’emprunte plus le réseau téléphonique classique (RTC) comme c’est actuellement le cas avec un téléphone fixe ou mobile mais va directement sur Internet (en voix sur IP). Ce type de réseau utilise systématiquement le multiplexage, c’est-à-dire faire passer plusieurs types d’information sur le même canal. Ce qui permet d’augmenter considérablement le débit car la bande passante est optimisée en utilisation. On peut avoir jusqu’à 150 Mbits/s de débit, c’est la LTE (Long Term Evolution).

Fonctionne-t-elle avec les mêmes canaux que la 3G et la 2G ?

Non. La 4G/LTE a ses propres antennes et utilise des bandes de fréquences bien distinctes de celles de le 2G et 3G. Pour profiter de cette technologie, il faut donc changer de mobiles et se trouver dans une zone couverte par ces nouvelles antennes. Pour information, la prochaine technologie, la LTE-A, déjà définie et fonctionnelle chez les fabricants, permettra des débits de 1 Gbits/s. Son successeur, la LTE-B, peut dépasser le Gbps selon Huawei !

Combiner les modes fixe et mobiles, n’est-ce pas paradoxal ?

Non. Techniquement, il n’y a rien d’extraordinaire en soi à utiliser en fixe une technologie, conçue et fabriquée pour être mobile. L’EDGE, qui existe chez nos opérateurs depuis une bonne dizaine d’années avec, au mieux 384 kbit/s de débit, permet au moyen d’une clé USB une connexion en « fixe » à l’Internet au moyen d’une puce GSM… mobile.

Depuis décembre 2013, des offres de connexion à Internet en « fixe » au moyen de clés 3G++ existent et des modems munis de puce 3G++ sont actuellement offerts par un opérateur mobile, pour la même utilisation. Le mimétisme, avec l’Interne fixe, va jusqu’à désigner cette offre par un « Internet haut débit à la maison, en famille » avec des forfaits qui font manifestement concurrence à l’ADSL… fixe.

Mais, utiliser la 4G/LTE pour un usage fixe seulement est une dérive exceptionnelle, car, comme son nom l’indique c’est d’abord une Technologie Mobile. Ceci peut se justifier par une utilisation palliative ou provisoire comme dans le cas d’un besoin immédiat ou conjoncturellement urgent.

Et à l’étranger, en fait-on le même usage ?

Certains opérateurs dans certains pays l’utilisent pour augmenter leur couverture à moindre coût, sans investir dans le déploiement de câbles, dont le coût serait prohibitif par rapport au nombre d’abonnés potentiels visés ou tout simplement pour couvrir des zones blanches en attendant de les rendre rentables avec un plus grand nombre d’abonnés.

En France, Bouygues utilise ce type de modem 4G pour atteindre ses abonnés non couverts et Blueline, à Madagascar, en fait la même utilisation qu’Algérie Télécom pour ne citer que ces deux exemples.

En Algérie, à quoi sert vraiment la 4G fixe ?

Je pense qu’Algérie Télécom essaie de répondre à un double besoin. Le premier est manifestement politique. Rappelez-vous que pour essayer de faire accepter un énième report du lancement de la 3G, le Ministère de la Poste et des TIC avait annoncé que la lancement de la 3G ne se ferait plus le 1er décembre 2013 comme prévu, par contre la 4G allait être lancée au courant du mois de janvier 2014. Un tollé général s’en était suivi. Un retour en arrière immédiat a été fait par les Autorités.

L’annonce du lancement de la 4G d’une telle manière ne pouvait être qu’opportuniste. En effet, vu le timing et le mode utilisés pour l’annoncer (« j’ai une mauvaise et une bonne nouvelle à vous annoncer : je ne lance pas la 3G, par contre je vous offre la 4G dans moins d’un mois ») cela ne pouvait être que de l’effet d’annonces ou pire encore, une simple fuite en avant.

L’autre raison, bien réelle celle-là, est due en premier, à la problématique que doit affronter Algérie Télécom avec l’existence des offres 3G++ des deux opérateurs, sans compter  qu’ils vont bientôt être rejoints par le mastodonte Djezzy avec ses 18 millions d’abonnés.

Algérie Télécom ne cache plus ses inquiétudes quand à l’érosion de son parc d’abonnés ADSL. Ajoutez à cela, un manque à gagner considérable qui va mécaniquement découler du raz-de-marée suscité par une utilisation de l’Internet mobile en 3G++ dont les débits dépassent allégrement ce qu’AT offre actuellement à ses clients. Et l’’échec dans la mise en place de la fibre optique, promise pour fournir des débits de centaines de méga au moyen du FTTH (Fiber To The Home), poussent AT à recourir aux facilités du moment pour gagner du temps et surtout justifier les subventions qu’elle reçoit de l’Etat.

Algérie Télécom est un opérateur de téléphonie fixe qui se lance dans le mobile mais avec un état d’esprit de fixe. Il essaie de répondre à de vraies questions au moyen de mauvaises réponses. En se lançant dans l’aventure de la « 4G/LTE fixe », non seulement cela ne rentrait pas dans le cadre de son cahier des charges d’opérateur de téléphonie fixe, elle se met aussi de facto en concurrence avec ses propres filiales aussi bien Djaweb qui fournit du ADSL que Mobilis avec ses offres 3G++, cette dernière avait déjà commencé par faire concurrence à Algérie Télécom avec son offre Darynet qui permet une connexion 3G++ à partir d’un modem fixe !

Est-elle fiable ?

La 4G/LTE en général et celle qu’a installé AT, en particulier est une technologie maitrisée et donc tout à fait fiable lorsqu’elle est installée et configurée selon les normes et pour l’utilisation pour laquelle elle a été conçue.

Est-ce qu’elle fonctionne bien ? Dès son lancement je me suis empressé d’en commander. J’ai donc la chance de l’avoir actuellement dans mon entreprise depuis 5 jours. Les tests menés par les techniciens d’AT au sein de l’entreprise donnaient des débits de plus de 70 Mbit/s et des pics. Dès le lendemain les débits dépassaient péniblement le Mbit/s  jusqu’àaujourd’hui, ils oscillent entre 0,256 Mbits et 0,512 Mbit/s, sachant, bien sûr que nous avons à peine entamé la consommation permise de 5 Go.

Je suppose que cela est certainement du au fait que la bande passante nécessaire à la 4G est prise sur celle de la 3G et très certainement sur celle de l’ADSL aussi,  là où il y a déjà foule !

Autrement dit, je reste sur ma faim et j’attends qu’AT justifie le prix qu’elle a encaissé pour un débit annoncé de 100 Mbit/s pouvant monter à 150 Mbit/s avec un téléchargement limité à 5 Go pour l’offre à 3.500 DA et, avec une dégradation à 512 Kbit/s en cas de dépassement.

La 4G fixe est-elle destinée à être développée sur l’ensemble du territoire national ?

Cela dépend de deux choses. D’abord, la politique d’AT dans ce déploiement. Va-t-elle se comporter en tant qu’opérateur historique fournissant un service public et couvrir tout le territoire national ? Deuxième question : AT ne prendra-t-elle en compte que l’aspect économique ? Dans ce cas, le déploiement se fera uniquement dans les régions dont la rentabilité assurera un retour sur investissement adéquat. Je pense que la deuxième option est plus probable.