À Sétif, les ambitions des industriels et les désillusions des petites gens

Redaction

Des chantiers par-ci par-là, des usines qui poussent comme des champignons et des ateliers industriels qui tournent à plein régime. Sétif connaît plus que nulle autre wilaya un boom industriel. Mais, sur place, les habitants se plaignent de ne pas vraiment bénéficier de ce développement économique. Algérie-Focus est parti à leur rencontre. Reportage dans la capitale des hauts plateaux.

A l’entrée de la ville de Sétif, un grand immeuble à l’abandon attire l’attention. Construite récemment, cette bâtisse de trente appartements et d’une douzaine de locaux est dans un état désastreux. Murs lézardés, locaux entourés de tas de ferrailles, ce chantier traîne depuis… quatorze ans ! Sur les lieux, Ahmed, un industriel de la région, affirme que la bâtisse fait l’objet d’un litige. Il se dit en être lui-même concerné. Ajusteur balancier de son état,  il dévoile quelques facettes des stigmates d’une bourde judiciaire. Depuis quatorze ans, il se débat en justice pour reprendre possession d’un appartement et de deux locaux, qu’il avait achetés à un promoteur immobilier. Pour se consoler, un tant soit peu, Cheikh Ahmed  se rappelle une promesse du président Bouteflika. « Il [ndlr Boutflika] nous a dit que nos droits étaient préservés», tente-t-il de se rassurer. Selon son témoignage,  les services de  police l’ont convoqué, à la suite d’une correspondance qu’il avait envoyée au chef de l’État au sujet de son bien immobilier « ô combien cher ! »

Mais, Ahmed ne semble pas près de trouver l’issue et de s’en sortir. Le litige est complexe. Le vieux industriel a été arnaqué. Les biens qu’ils réclament ont été vendus deux fois. Lui et un autre promoteur immobilier en réclament tous les deux la propriété. Après soixante ans d’exercice, Ahmed se sent complètement ruiné par une mauvaise affaire. Ahmed dit faire les frais de il’absence de la justice « . Comme un malheur ne vient jamais seul,  Il fait  également face à d’énormes difficultés  dans son projet de construction d’une usine de montage de balance et de ponts bascule. Les travaux de sa fabrique implantée dans la zone industrielle de Sétif avancent à pas d’escargot. « Les prix du foncier dans cette région de l’intérieur du pays ont augmenté à une vitesse vertigineuse ces dernières années », se plaint-t-il, tourmenté. Son constat est confirmé par un gérant d’une agence immobilière. Ce dernier avance le prix de 50 millions de centimes (500 000 DA) le mètre carré au cœur de la ville de Aïn El Foura. « Voir plus dans certains endroits », renchérit-il.

Cette cherté du foncier est sans doute liée aux facilitations accordées par les autorités en matière d’investissements dans cette région des hauts plateaux. Ces mesures incitatives ont séduit beaucoup d’investisseurs venus des quatre coins du pays pour fructifier leur argent à Sétif. Cette demande accrue sur le foncier industriel a induit une flambée des prix.

Pire, l’extension sans cesse de la superficie du foncier industriel se fait au détriment des terres agricoles qui se rétrécissent comme peau de chagrin. Un « Crime » que nombre de Sétifiens dénoncent. Cette « industrialisation » effrénée de Sétif fait de cette wilaya l’un des pôles industriels les plus importants du pays. Connue traditionnellement pour sa production céréalière, à ce rythme, Sétif risque même de perdre sa vocation agricole. « Les projets industriels ne devraient pas être réalisés sur des terres agricoles, mais plutôt sur des terrains arides, comme ceux de Ain Romane, à l’est », s’indigne Salah.

Tout comme le foncier, la main d’œuvre se fait de plus en plus rare dans le domaine agricole. Elle tend à disparaître au profit des métiers industriels. D’ailleurs les employeurs ne cessent de se plaindre : « Jadis, quatre à cinq personnes se présentaient chaque semaine à la recherche du travail. Maintenant, on ne reçoit aucune demande d’embauche », se lamente un agriculteur, qui dénonce, par ailleurs, « le dispositif ANSEJ qui fait de tout le monde un patron ».

Des industriels ambitieux, une population désenchantée

À Sétif, un climat morose caractérise la rentrée sociale de cette année. Pour s’en rendre compte, il suffit de faire un tour au parc d’attraction de la ville, réalisé au cours des années 1980. Ce lieu de détente qui faisaient le bonheur des familles sétifiennes, notamment durant les soirées estivales, se trouve aujourd’hui dans un état de délabrement indescriptible. Ses allées sont défoncées et la moindre brise y soulève une tempête de poussière.  Piétinés à longueur de journée, ses espaces gazonnés ont presque disparu. Le lac est à sec. « L’acte de décès de ce parc a été signé le jour où l’on cédé son exploitation à un privé », se désole un policier. Faute de payement des factures par la municipalité,  la Sonelgaz a coupé l’électricité, l’assombrissant  davantage. Point d’éclairage durant la nuit. Pour pallier ce désagrément, l’exploitant du parc utilise des groupes électrogènes pour faire tourner son manège.

Cette situation désolante est dénoncée par les propriétés de commerces. D’un geste de sa main, un jeune nous désigne sa pizzeria. « Pour un mois de location,  je paye à la commune 2800 dinars et je suis privé d’électricité depuis une vingtaine de jours », se plaint-il.

Interrogés sur la sécurité dans le parc, deux adolescents affirment que les agressions y sont fréquentes. « C’est un endroit très fréquenté. C’est un  lieu par où l’on doit transiter pour aller du   centre ville aux cités des 750 logements et du   Bel Aire ou se rendre à l’hôpital (CHU). A la tombée de la nuit, les délinquant en profitent pour délester les passants », expliquent-ils, révoltés.

Aux arcades, à côté du théâtre,  les ordures jonchent les trottoirs en cette matinée de mercredi. Des canettes, des déchets en plastiques et autres ordures jonchent les abords de la rue. « La ville de Sétif était un exemple en matière de propreté. Ce n’est plus le cas maintenant, elle s’est transformé en dépotoir », se désole un habitant de la ville.

Loin de ce décor désolant, les mots  « El kahla », « Sidi El kheir » et « Ain El Fouara » sont relayés dans les  différentes régions du pays telles des notes de musique composant une jolie chanson sétifienne.

Djemaï B

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