Le plafonnement des commissions sur le commerce extérieur annoncé cet été par la Banque d’Algérie va faire perdre plusieurs centaines de millions de dollars de revenus aux banques privées qui vont être contraintes de revoir leur stratégie sur le marché algérien.
La Banque d’Algérie a publié durant cet été un règlement, passé un peu inaperçu dans les médias algériens. Le régulateur du secteur semble enfin prendre sa fonction au sérieux et le texte fixe les conditions de banque applicables en Algérie, c’est-à-dire « la rémunération, les tarifs et les commissions appliqués aux opérations réalisées par les banques et établissements financiers ». La nouvelle réglementation se distingue surtout par le fait qu’elle introduit, pour la première fois, un plafonnement des marges applicables aux opérations du commerce extérieur qui aura sans aucun doute un impact considérable sur la rentabilité et les activités des banques privées algériennes qui étaient dans ce domaine particulièrement sur la sellette depuis plusieurs années.
Des retours sur investissement battant tous les records, une prospérité insolente basée essentiellement sur le financement du commerce extérieur. Le marché algérien était devenu au fil de ans un véritable eldorado pour les banques privées. Algérie-Focus avait publié au printemps dernier une série d’articles soulignant la dépendance des résultats financiers des banques privées algériennes à l’égard des opérations du commerce extérieur ainsi que l’inquiétude croissante des autorités financières vis-à-vis de cette situation. En fait, nos sources précisent que le texte publié au journal officiel à la fin du mois de juin avait été soumis au secrétariat général du gouvernement dès le mois d’avril dernier et a dû attendre son approbation définitive pendant près de 3 mois.
Une spécialisation des banques privées
A l’origine des mesures adoptées par le gouvernement, on trouve le constat que la généralisation du crédit documentaire imposée voici près de 4 ans a constitué une forte incitation au renforcement de la spécialisation des banques privées dans un financement du commerce extérieur devenu extraordinairement rentable.
Même si aucune information n’est donnée officiellement sur ce sujet très sensible par la Banque d’Algérie, un cadre du secteur nous assurait récemment que plus de la moitié du commerce extérieur est aujourd’hui financé par les banques privées. Une proportion qui contraste fortement avec leur poids dans les actifs bancaires qui ne dépasse pas 10%. Sur la quinzaine de banques privées actuellement présentes sur la place seules les plus importantes d’entre elles, à l’image de Société générale Algérie ou de BNP Paribas voire d’El Baraka ou de la Gulf Bank, auraient fait un réel effort de diversification de leurs activités. La plupart des petits établissements privés auraient au contraire accentué la priorité réservée au financement du commerce extérieur dans la période la plus récente. Résultat de cette quasi spécialisation, un banquier de la place estimait récemment que le commerce extérieur procure aujourd’hui suivant les établissements « entre 50 et 85% du PNB bancaire ».
Les commissions bancaires en question
Ce sont essentiellement les rémunérations prélevées par les banques qui étaient dans le collimateur du gouvernement. Les coûts de confirmation étaient jugés « très élevés » – on parle d’un montant de 500 euros pour un crédit documentaire de 50 000 euros.
Nos sources soulignent surtout le caractère particulièrement élevé, voire « choquant », des commissions de change prélevées par les banques privées qui atteignaient « entre 1 et 2% alors que la commission de la Banque d’Algérie ne dépasse pas 0,1% ». Les rémunérations substantielles prélevées par l’ensemble des banques privées de la place n’auraient « quasiment aucune contrepartie en terme de service rendu » et seraient « plus de 10 fois supérieure à la normale ». Une situation qui ne serait pas non plus sans conséquence sur le niveau général des prix. Un banquier estime à« plus d’1 point d’inflation » l’impact des commissions bancaires prélevées dans le sillage de la généralisation du crédoc.
La Banque d’Algérie plafonne les marges
Des « performances » qui n’ont manifestement pas été du goût du régulateur du secteur. Le Gouverneur de la Banque d’Algérie, Mohamed Laksaci, instruit par une analyse effectuée sur l’activité des banques au cours des années 2011 et 2012, avait rappelé très sèchement voici quelques mois aux banquiers privés que « les agréments leur ont été délivrés pour faire de l’intermédiation bancaire ,c’est-à-dire principalement pour collecter l’épargne et financer l’investissement ». Un rappel en guise d’avertissement qui a été suivi rapidement de mesures destinées à rendre l’activité de financement du commerce extérieur nettement moins attractive.
Les décisions annoncées au cours de l’été ont pour principal objet de provoquer une réduction très sensible de la commission de change prélevée par les banques privées. Le nouveau texte précise en effet que cette dernière ne devra pas dépasser désormais 0,25%. Idem pour la commission de règlement également plafonnée à 0,25%.
Une importante perte de rentabilité
Ces mesures auront des conséquences importantes sur une rentabilité des banques privées jugée encore « exceptionnelle » à fin 2012. Elle devrait baisser très fortement dès cette année. Un banquier de la place estime la perte probable à « plusieurs centaines de millions de dollars en année pleine du fait que la commission de change à elle seule représentait entre 20 et 60% des revenus des banques privées ».
Face à ce risque important de perte de rentabilité, nos sources estiment que les banques privées vont devoir réviser leur stratégie pour diversifier leurs activités et trouver des revenus de substitution. C’est également le principal objectif des pouvoirs publics qui est de réorienter l’ensemble des banques et notamment les banques du secteur privé vers le financement des PME, chantier de longue haleine dans lequel les résultats enregistrés au cours des dernières années restent très décevants.
Nos interlocuteurs s’attendent à voir les banques privées innover d’avantage au cours des mois à venir en matière de produits offerts notamment aux clientèles des entreprises et des professions libérales qui devraient être de plus en plus courtisées. Une situation qui « pourrait avoir des conséquences positives sur des taux d’intérêt qui restent encore très élevés ». Symétriquement, et dans le but d’augmenter le volume de leurs crédits aux entreprises, les banques privées vont devoir rechercher de nouveaux dépôts et donc développer la collecte des ressources ce que beaucoup d’entre elles n’ont fait que très modestement jusqu’ici .
Les dernières décisions des autorités algériennes marquent donc clairement la fin du laxisme du régulateur et un tournant dans leur politique vis-à-vis du financement du commerce extérieur. Dans un contexte qui est désormais marqué par la volonté des pouvoirs publics de réduire à la fois les importations et le coût des importations , la question est désormais de savoir si le plafonnement des commissions est une mesure qui sera jugée efficace et suffisante ou bien si elle pourrait à l’avenir être complétée par des mesures supplémentaires. Affaire à suivre …
Hassan Haddouche