Faut-il ériger une statue à la gloire d’Issad Rebrab ? Par Hassan Haddouche

Redaction

Updated on:

Plus qu’une satisfaction éphémère pour l’amour propre national, les acquisitions récentes réalisées à l’étranger par Issab Rebrab, patron du groupe Cevital, sont peut être un modèle économique exemplaire qui pourrait être imité. Y compris pour l’Etat algérien lui-même.

Ne vous inquiétez pas, même si sa nouvelle et toute récente proposition de reprise du sidérurgiste français Ascométal vient d’être écartée au profit d’une offre nationale soutenue par les pouvoirs publics de l’Hexagone, Issad Rebrab n’a pas l’intention de s’arrêter en si bon chemin. Voici quelques mois, il nous confiait que « la crise en Europe est une opportunité unique telle qu’il ne s’en présente qu’une seule en un siècle. On peut aujourd’hui aller faire son marché en Europe et acquérir des usines entières pour une bouchée de pain ». A l’image de ce qu’il avait déjà fait pour le fabriquant de fenêtres Oxxo et de ce qu’il a réalisé depuis à une plus grande échelle avec Fagor Brandt. Ses ambitions dans ce domaine vont en outre être facilitée à l’avenir par la cession, elle aussi toute fraîche, de ses parts dans Djezzy qui va lui permettre, ainsi qu’il vient de le déclarer à la revue française Challenges, de disposer d’un « trésor de guerre » de plus de 200 millions de dollars. De quoi effectivement faire quelques emplettes substantielles .

« Le temps est une denrée rare »

Issad Rebrab est un homme pressé. Il l’annonçait depuis déjà quelques années et il vient de passer à l’action. Si on ne le laisse pas investir en Algérie, il ira investir ailleurs : « Nous sommes des entrepreneurs. Si on nous bloque ici, nous irons chercher notre croissance à l’international. » Le message principal qu’il adresse depuis des années aux décideurs algériens, est que le « temps est une denrée rare ». « Le temps joue contre nous », répète-t-il inlassablement, parce que d’ici 2025, « nous serons 50 millions d’habitants et nous aurons probablement épuisé nos réserves de pétrole. Il ne nous restera plus alors beaucoup de temps pour diversifier notre économie ». 

Pour créer ces emplois, le patron de Cevital a des idées. Il y a d’abord les activités qui fonctionnent déjà très bien en Algérie et qui ont permis d’augmenter le chiffre d’affaire de son groupe au rythme vertigineux de 34% par an depuis 1997. Le premier groupe privé algérien pèse aujourd’hui 3,5 milliards de dollars et exporte 70% de son verre plat ainsi que 600.000 tonnes de sucre par an. Il est également extrêmement rentable et son PDG a annoncé des bénéfices de plus de 200 millions de dollars en 2012 ainsi que « zéro dinar d’endettement ».

Les projets, on le sait, sont à court terme dans la gigantesque usine de production de fenêtres qui va bientôt démarrer à Bord Bou Arreridj, dans le sillage de l’acquisition du leader européen Oxxo, qui apportera la technologie. Ils sont aussi désormais, également dans l’électroménager avec l’acquisition toute fraîche de Fagor Brandt et la construction à Setif d’une usine géante qui va créer 7.000 emplois. Dans les deux cas le modèle est identique. Il repose sur l’acquisition à l’étranger du savoir-faire, de la recherche développement, des brevets, des marques, voire des circuits de distribution internationaux, qui permettront de développer l’exportation d’une partie de la production. Ils sont aussi dans la sidérurgie, la pétrochimie, la banque et l’énergie solaire avec le projet Desertec, auquel Rebrab n’a pas renoncé.

Un modèle pour les patrons privés algériens ….

Les acquisitions à l’étranger réalisées au cours des dernières années par le patron de Cevital lui valent, en tous cas, déjà un regain de popularité auprès du grand public, dont l’amour propre national est certainement flatté par la réussite économique de cet entrepreneur algérien si fortement et favorablement médiatisé de l’autre côté de la méditerranée. Ce n’est cependant sans doute pas l’aspect le plus important de la stratégie mise en œuvre par Issad Rebrab. Ce sont certains de ses pairs du patronat qui l’affirment aujourd’hui. L’un d’entre eux parmi les plus clairvoyants, le patron de NCA Rouiba, Slim Othmani, se disait voici quelques jours « fier des réalisations à l’étranger » d’Issad Rebrab. « On devrait l’encourager plutôt qu’entraver ses efforts », pense Slim Othmani pour qui, faute d’investir lui-même, le gouvernement algérien pourrait aller plus loin dans le travail d’accompagnement des autres acteurs algériens qui souhaiteraient s’internationaliser. M.Othmani ne comprend d’ailleurs pas pourquoi le gouvernement algérien n’a pas profité des dernières années pour faire des acquisitions stratégiques sur le continent européen. « Notre pays a raté beaucoup d’opportunités », a-t-il regretté. Et d’expliquer : « Le gouvernement pourrait à travers un fond d’investissement investir dans des secteurs importants pour la diversification de l’économie algérienne « .

… Et un exemple pour l’Etat algérien selon Hadj Nacer

Un point de vue qui n’est pas seulement celui des patrons du secteur privé. L’ancien Gouverneur de la Banque d’Algérie Abderrahmane Hadj Nacer plaide depuis longtemps, avant même le déclenchement de la crise financière des dernières années, en faveur de la création d’un fonds souverain international capable d’assurer une gestion plus active des réserves financières de notre pays et d’exploiter les opportunités offertes par l’évolution des marchés internationaux. Faute d’avoir pu convaincre les pouvoirs publics d’adopter cette démarche qu’il préconise depuis plus d’une décennie, Hadj Nacersouligne aujourd’hui la valeur exemplaire de la stratégie développée par le patron de Cevital. De façon un peu provocante il nous confiait voici quelques jours chez nos amis de Maghreb émergent qu’il « faudrait ériger une statue à l’effigie de Rebrab ». « Tout ce qu’il fait c’est ce que l’Algérie, tous secteurs confondus, devrait faire depuis 20 ans « . Pour Hadj Nacer, « la seule façon de rattraper le temps perdu c’est d’aller à l’étranger et d’acheter des actifs ». Y compris d’ailleurs dans le cas de nos voisins tunisiens avec lesquels, « au lieu de prêter de l’argent », on ferait mieux, toujours selon l’ancien Gouverneur de la Banque Centrale, de « prendre des participations dans l’économie tunisienne et de favoriser la constitution de partenariats dans des domaines tels que le tourisme ou nos voisins de l’est ont acquis une réelle expertise ».

Hassan HADDOUCHE